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Le Bouillon s’est passé la main sur la figure, et puis il nous a remis en rang, et ça, il faut dire que ça n’a pas été facile, parce que nous remuons beaucoup. Et puis, le Bouillon nous a regardés longtemps, longtemps, et nous on a vu que ce n’était pas le moment de faire les guignols. Et puis, le Bouillon a reculé et il a marché sur Joachim, qui arrivait derrière lui. « Faites attention ! » a dit Joachim. Le Bouillon est devenu tout rouge et il a crié : « D’où sortez-vous ? » « Je suis allé boire un verre d’eau pendant que Maixent et Eudes se battaient. Je croyais qu’ils en avaient pour plus longtemps », a expliqué Joachim, et le Bouillon lui a donné une retenue et lui a dit de se mettre en rang.

« Regardez-moi bien dans les yeux, a dit le Bouillon. Le premier qui fait un geste, qui dit un mot, qui bouge, je le fais renvoyer de l’école ! Compris ? » Et puis le Bouillon s’est retourné, il a levé un bras, et il a crié : « Section, à mon commandement ! En avant... Marche ! » Et le Bouillon a fait quelques pas, tout raide, et puis il a regardé derrière lui, et quand il a vu que nous étions toujours à la même place, j’ai cru qu’il devenait fou, comme M. Blédurt, un voisin, quand Papa l’a arrosé avec le tuyau par-dessus la haie, dimanche dernier. « Pourquoi n’avez-vous pas obéi ? » a demandé le Bouillon. « Ben quoi, a dit Geoffroy, vous nous avez dit de ne pas bouger. » Alors, le Bouillon, ça a été terrible. « Vous ferai passer le goût du pain, moi ! Vous flanquerai huit dont quatre ! Graines de bagne ! Cosaques ! » il a crié et plusieurs d’entre nous se sont mis à pleurer et le directeur est venu en courant.

« Monsieur Dubon, a dit le directeur, je vous ai entendu de mon bureau. Croyez-vous que ce soit la façon de parler à de jeunes enfants ? Vous n’êtes plus dans l’armée, maintenant. » « L’armée ? a crié le Bouillon. J’étais sergent-chef de tirailleurs, eh bien, des enfants de chœur, les tirailleurs, parfaitement, c’étaient des enfants de chœur, comparés à cette troupe ! » Et le Bouillon est parti en faisant des tas de gestes, suivi du directeur qui lui disait :

« Allons, Dubon, mon ami, allons, du calme ! »

L’inauguration de la statue, c’était très chouette, mais le directeur avait changé d’avis et nous on n’a pas défilé, on était assis sur des gradins, derrière les soldats. Ce qui est dommage, c’est que le Bouillon n’était pas là. Il paraît qu’il est parti se reposer quinze jours chez sa famille, en Ardèche.

Les boys-couts

Les copains, on s’est cotisés pour acheter un cadeau à la maîtresse, parce que, demain, ça va être sa fête. D’abord, on a compté les sous. C’est Agnan, qui est le premier en arithmétique, qui a fait l’addition. On était contents, parce que Geoffroy avait apporté un gros billet de 5 000 vieux francs ; c’est son papa qui le lui a donné ; son papa est très riche, et il lui donne tout ce qu’il veut.

« Nous avons 5 207 francs, nous a dit Agnan. Avec ça, on va pouvoir acheter un beau cadeau. »

L’ennui, c’est qu’on ne savait pas quoi acheter. « On devrait offrir une boîte de bonbons ou des tas de petits pains au chocolat », a dit Alceste, un gros copain qui mange tout le temps. Mais nous, on n’était pas d’accord, parce que si on achète quelque chose de bon à manger, on voudra tous y goûter et il n’en restera rien pour la maîtresse. « Mon papa a acheté un manteau en fourrure à ma maman, et ma maman était drôlement contente », nous a dit Geoffroy. Ça paraissait une bonne idée, mais Geoffroy nous a dit que ça devait coûter plus que 5 207 francs, parce que sa maman était vraiment très, très contente. « Et si on lui achetait un livre ? » a demandé Agnan. Ça nous a tous fait rigoler ; il est fou, Agnan ! « Un stylo ? » a dit Eudes ; mais Clotaire s’est fâché. Clotaire, c’est le dernier de la classe, et il a dit que ça lui ferait mal que la maîtresse lui mette de mauvaises notes avec un stylo qu’il lui aurait payé. « Tout près de chez moi, a dit Rufus, il y a un magasin où on vend des cadeaux. Ils ont des choses terribles ; là, on trouverait sûrement ce qu’il nous faut. » Ça, c’était une bonne idée, et on a décidé d’aller au magasin tous ensemble, à la sortie de la classe.

Quand on est arrivés devant le magasin, on s’est mis à regarder dans la vitrine, et c’était formidable. Il y avait des tas de cadeaux terribles : des petites statues, des saladiers en verre avec des plis, des carafes comme celle dont on ne se sert jamais à la maison, des tas de fourchettes et de couteaux, et même des pendules. Ce qu’il y avait de plus beau, c’étaient les statues. Il y en avait une avec un monsieur en slip qui essayait d’arrêter deux chevaux pas contents ; une autre avec une dame qui tirait à l’arc ; il n’y avait pas de corde à l’arc, mais c’était si bien fait qu’on aurait pu croire qu’il y en avait une. Cette statue allait bien avec celle d’un lion qui avait une flèche dans le dos et qui traînait ses pattes de derrière. Il y avait aussi deux tigres, tout noirs, qui marchaient en faisant des grands pas, et des boys-couts et des petits chiens et des éléphants, et un monsieur, dans le magasin, qui nous regardait et qui avait l’air méfiant.

Quand nous sommes entrés dans le magasin, le monsieur est venu vers nous, en faisant des tas de gestes avec les mains.

— Allons, allons, il nous a dit, dehors ! Ce n’est pas un endroit pour s’amuser, ici !

— On n’est pas venus pour rigoler, a dit Alceste ; on est venus pour acheter un cadeau.

— Un cadeau pour la maîtresse, j’ai dit.

— On a des sous, a dit Geoffroy.

Et Agnan a sorti les 5 207 francs de sa poche, et il les a mis sous le nez du monsieur, qui a dit :

— Bon, ça va ; mais qu’on ne touche à rien.

— C’est combien, ça ? a demandé Clotaire, en prenant deux chevaux sur le comptoir.

— Attention ! Lâche ça. C’est fragile ! a crié le monsieur, qui avait drôlement raison de se méfier, parce que Clotaire est très maladroit et casse tout. Clotaire s’est vexé et il a remis la statue à sa place, et le monsieur a eu juste le temps de rattraper un éléphant que Clotaire avait poussé avec le coude.

Nous, on regardait partout, et le monsieur courait dans le magasin en criant : « Non, non, ne touchez pas ! Ça casse ! » Moi, il me faisait de la peine, le monsieur. Ça doit être énervant de travailler dans un magasin où tout casse. Et puis, le monsieur nous a demandé de nous tenir tous en groupe au milieu du magasin, les bras derrière le dos, et de lui dire ce qu’on voulait acheter.

« Qu’est-ce qu’on pourrait avoir de chouette pour 5 207 francs ? » a demandé Joachim. Le monsieur a regardé autour de lui, et puis il a sorti d’une vitrine deux boys-couts peints, on aurait dit qu’ils étaient vrais. Je n’avais rien vu d’aussi beau, même à la foire, au stand de tir.

« Vous pourriez avoir ceci pour 5 000 francs, a dit le monsieur.

— C’est moins que ce que nous pensions mettre, a dit Agnan.

— Moi, a dit Clotaire, j’aime mieux les chevaux. »

Et Clotaire allait reprendre les chevaux sur le comptoir ; mais le monsieur les a pris avant lui, et il les a gardés dans ses bras.

« Bon, il a dit le monsieur, vous les prenez, les boys-couts, oui ou non ? » Comme il n’avait pas l’air de rigoler, nous avons dit d’accord. Agnan lui a donné les 5 000 francs, et nous sommes sortis avec les boys-couts.