Dans la rue, on a commencé à discuter pour savoir qui allait garder le cadeau jusqu’à demain pour le donner à la maîtresse.
« Ce sera moi, a dit Geoffroy, c’est moi qui ai mis le plus d’argent.
— Je suis le premier de la classe, a dit Agnan, c’est moi qui donnerai le cadeau à la maîtresse.
— Tu n’es qu’un chouchou », a dit Rufus.
Agnan s’est mis à pleurer et à dire qu’il était très malheureux, mais il ne s’est pas roulé par terre, comme il le fait d’habitude, parce qu’il tenait les boys-couts dans les mains et il ne voulait pas les casser. Pendant que Rufus, Eudes, Geoffroy et Joachim se battaient, moi j’ai eu l’idée de jouer à pile ou face pour savoir qui allait donner le cadeau. Ça a pris pas mal de temps, et on a perdu deux monnaies dans l’égout, et puis c’est Clotaire qui a gagné. Nous, on était très embêtés, parce qu’on avait peur qu’avec Clotaire, qui casse tout, le cadeau n’arrive pas jusqu’à la maîtresse. On a donné les deux boys-couts à Clotaire, et Eudes lui a dit que, s’il les cassait, il lui donnerait des tas de coups de poing sur le nez. Clotaire a dit qu’il ferait attention, et il est parti chez lui en portant le cadeau, en marchant tout doucement et en tirant la langue. Nous, avec les 205 francs qui nous restaient, on a acheté des tas de petits pains au chocolat et on n’a pas eu faim pour dîner, et nos papas et nos mamans ont cru que nous étions malades.
Le lendemain, on est tous arrivés très inquiets à l’école, mais on a été contents quand on a vu Clotaire avec les boys-couts dans les bras. « J’ai pas dormi cette nuit, nous a dit Clotaire ; j’avais peur que la statue ne tombe de la table de nuit. »
En classe, je regardais Clotaire, qui surveillait le cadeau, qu’il avait mis sous son pupitre. J’étais drôlement jaloux, parce que, quand Clotaire lui donnerait le cadeau, la maîtresse serait contente et elle l’embrasserait, et Clotaire deviendrait tout rouge, parce qu’elle est très jolie, la maîtresse, quand elle est contente, presque aussi jolie que ma maman.
« Que caches-tu sous ton pupitre, Clotaire ? » a demandé la maîtresse. Et puis elle s’est approchée du banc de Clotaire, l’air fâché. « Allons, a dit la maîtresse, donne ! » Clotaire lui a donné le cadeau, la maîtresse l’a regardé et elle a dit : « Je vous ai déjà interdit d’apporter des horreurs à l’école ! Je confisque ceci jusqu’à la fin de la classe, et tu auras une punition ! »
Et puis, quand on a voulu se faire rembourser, on n’a pas pu, parce que, devant le magasin, Clotaire a glissé et les boys-couts se sont cassés.
Le bras de Clotaire
Clotaire, chez lui, a marché sur son petit camion rouge, il est tombé et il s’est cassé le bras. Nous, ça nous a fait beaucoup de peine parce que Clotaire c’est un copain et aussi parce que le petit camion rouge, je le connaissais : il était chouette, avec des phares qui s’allumaient, et je crois qu’après que Clotaire lui a marché dessus, on ne pourra plus l’arranger.
On a voulu aller le visiter chez lui, Clotaire, mais sa maman n’a pas voulu nous laisser entrer. On lui a dit qu’on était des copains et qu’on connaissait bien Clotaire, mais la maman nous a dit que Clotaire avait besoin de repos et qu’elle nous connaissait bien, elle aussi.
C’est pour ça qu’on a été drôlement contents quand on a vu arriver Clotaire en classe, aujourd’hui. Il avait le bras retenu par une sorte de serviette qui lui passait autour du cou, comme dans les films quand le jeune homme est blessé, parce que dans les films, le jeune homme est toujours blessé au bras ou à l’épaule et les comiques qui jouent le jeune homme dans les films devraient déjà le savoir et se méfier. Comme la classe était commencée depuis une demi-heure, Clotaire est allé s’excuser devant la maîtresse, mais au lieu de le gronder la maîtresse a dit : « Je suis très contente de te revoir, Clotaire. Tu as beaucoup de courage de venir en classe avec un bras dans le plâtre. J’espère que tu ne souffres plus. » Clotaire a ouvert des yeux tout grands : comme il est le dernier de la classe, il n’est pas habitué à ce que la maîtresse lui parle comme ça, surtout quand il arrive en retard. Clotaire est resté là, la bouche ouverte, et la maîtresse lui a dit :
« Va t’asseoir à ta place, mon petit. »
Quand Clotaire s’est assis, on a commencé à lui poser des tas de questions : on lui a demandé si ça lui faisait mal, et qu’est-ce que c’était que ce truc dur qu’il avait autour du bras et on lui a dit qu’on était drôlement contents de le revoir ; mais la maîtresse s’est mise à crier que nous devions laisser notre camarade tranquille et qu’elle ne voulait pas que nous prenions ce prétexte pour nous dissiper. « Ben quoi, a dit Geoffroy, si on ne peut plus parler aux copains, maintenant...» et la maîtresse l’a mis au piquet et Clotaire s’est mis à rigoler.
« Nous allons faire une dictée », a dit la maîtresse. Nous avons pris nos cahiers et Clotaire a essayé de sortir le sien de son cartable avec une seule main. « Je vais t’aider », a dit Joachim, qui était assis à côté de lui. « On ne t’a pas sonné », a répondu Clotaire. La maîtresse a regardé du côté de Clotaire et elle lui a dit : « Non, mon petit, pas toi, bien sûr ; repose-toi. » Clotaire s’est arrêté de chercher dans son cartable et il a fait une tête triste, comme si ça lui faisait de la peine de ne pas faire de dictée. La dictée était terrible, avec des tas de mots comme « chrysanthème », où on a tous fait des fautes, et « dicotylédone » et le seul qui l’a bien écrit c’est Agnan, qui est le premier de la classe et le chouchou de la maîtresse. Chaque fois qu’il y avait un mot difficile, moi je regardais Clotaire et il rigolait.
Et puis, la cloche de la récré a sonné. Le premier qui s’est levé, ça a été Clotaire. « Il vaudrait peut-être mieux, a dit la maîtresse, que tu ne descendes pas dans la cour avec ton bras. » Clotaire a fait la même tête que pour la dictée, mais en plus embêté. « Le docteur a dit qu’il me fallait prendre de l’air, a dit Clotaire, sinon, ça pourrait être drôlement grave. » La maîtresse a dit que bon, mais qu’il fallait faire attention. Et elle a fait sortir Clotaire le premier, pour que nous ne puissions pas le bousculer dans l’escalier. Avant de nous laisser descendre dans la cour, la maîtresse nous a fait des tas de recommandations : elle nous a dit que nous devions être prudents et ne pas jouer à des jeux brutaux et aussi que nous devions protéger Clotaire pour qu’il ne se fasse pas mal. On a perdu des tas de minutes de la récré, comme ça. Quand on est enfin descendus dans la cour, nous avons cherché Clotaire : il était en train de jouer à saute-mouton avec les élèves d’une autre classe, qui sont tous très bêtes et que nous n’aimons pas.
On s’est tous mis autour de Clotaire et on lui a posé des tas de questions. Il avait l’air tout fier, Clotaire, qu’on soit si intéressés. On lui a demandé si son petit camion rouge était cassé. Il nous a dit que oui, mais qu’on lui avait donné des tas de cadeaux pour le consoler pendant qu’il était malade : il avait eu un voilier, un jeu de dames, deux autos, un train et des tas de livres qu’il échangerait contre d’autres jouets. Et puis il nous a dit que tout le monde avait été drôlement gentil avec lui : le docteur lui apportait chaque fois des bonbons, son papa et sa maman avaient mis la télé dans sa chambre et on lui donnait des tas de bonnes choses à manger. Quand on parle de manger, ça donne faim à Alceste, qui est un copain qui mange tout le temps. Il a sorti de sa poche un gros morceau de chocolat et il a commencé à mordre dedans. « Tu m’en donnes un bout ? » a demandé Clotaire. « Non », a répondu Alceste. « Mais mon bras ?...», a demandé Clotaire. « Mon œil », a répondu Alceste. Ça, ça ne lui a pas plu à Clotaire, qui s’est mis à crier qu’on profitait de lui parce qu’il avait un bras cassé et qu’on le traiterait pas comme ça s’il pouvait donner des coups de poing, comme tout le monde. Il criait tellement, Clotaire, que le surveillant est venu en courant. « Qu’est-ce qui se passe ici ? » il a demandé, le surveillant. « Il profite parce que j’ai le bras cassé », a dit Clotaire en montrant Alceste du doigt. Alceste était rudement pas content ; il a essayé de le dire, mais avec la bouche pleine, il a envoyé du chocolat partout et on n’a rien compris à ce qu’il a dit. « Vous n’avez pas honte ? a dit le surveillant à Alceste, profiter d’un camarade physiquement diminué ? Au piquet !