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— C’est ça ! a dit Clotaire.

— Alors, a dit Alceste, qui a fini par avaler son chocolat, s’il se casse un bras en faisant le guignol, il faut que je lui donne à manger ?

— C’est vrai, a dit Geoffroy, chaque fois qu’on lui parle, on va au piquet ; il nous embête, à la fin, avec son bras ! »

Le surveillant nous a regardés avec des yeux très tristes et puis il nous a parlé avec une voix douce, douce, comme quand Papa explique à Maman qu’il doit aller à la réunion des anciens de son régiment. « Vous n’avez pas de cœur, il nous a dit, le surveillant. Je sais que vous êtes encore bien jeunes, mais votre attitude me fait beaucoup de peine. » Il s’est arrêté, le surveillant et puis il a crié : « Au piquet ! Tous ! »

On a dû tous aller au piquet, même Agnan ; c’est la première fois qu’il y va et il ne savait pas comment faire et on lui a montré. On était tous au piquet, sauf Clotaire, bien sûr. Le surveillant lui a caressé la tête, il lui a demandé si son bras lui faisait mal ; Clotaire a dit que oui, assez, et puis le surveillant est allé s’occuper d’un grand qui frappait un autre grand avec un petit. Clotaire nous a regardés un moment en rigolant et puis il est allé continuer sa partie de saute-mouton.

Je n’étais pas content, quand je suis arrivé à la maison. Papa, qui était là, m’a demandé ce que j’avais. Alors, j’ai crié : « C’est pas juste ! Pourquoi je ne peux jamais me casser le bras, moi ? »

Papa m’a regardé avec des yeux tout ronds et moi je suis monté dans ma chambre pour bouder.

On a fait un test

Ce matin, on ne va pas à l’école, mais ce n’est pas chouette, parce qu’on doit aller au dispensaire se faire examiner, pour voir si on n’est pas malades et si on n’est pas fous. En classe, on nous avait donné à chacun un papier que nous devions apporter à nos papas et à nos mamans, expliquant qu’on devait aller au dispensaire, avec nos certificats de vaccin, nos mamans et nos carnets scolaires. La maîtresse nous a dit qu’on nous ferait passer un « test ». Un test, c’est quand on vous fait faire des petits dessins pour voir si vous n’êtes pas fous.

Quand je suis arrivé au dispensaire avec ma maman, Rufus, Geoffroy, Eudes, Alceste étaient déjà là, et ils ne rigolaient pas. Il faut dire que les maisons des docteurs, moi, ça m’a toujours fait peur. C’est tout blanc et ça sent les médicaments. Les copains étaient là avec leurs mamans, sauf Geoffroy, qui a un papa très riche, et qui est venu avec Albert, le chauffeur de son papa. Et puis, Clotaire, Maixent, Joachim et Agnan sont arrivés avec leurs mamans, et Agnan il faisait un drôle de bruit en pleurant. Une dame très gentille, habillée en blanc, a appelé les mamans et elle leur a pris les certificats de vaccin, et elle a dit que le docteur nous recevrait bientôt, qu’on ne s’impatiente pas. Nous, on n’était pas du tout impatients. Les mamans ont commencé à parler entre elles et à nous passer la main sur les cheveux en disant qu’on était drôlement mignons. Le chauffeur de Geoffroy est sorti frotter sa grosse voiture noire.

— Le mien, disait la maman de Rufus, j’ai toutes les peines du monde à le faire manger ; il est très nerveux.

— Ce n’est pas comme le mien, a dit la maman d’Alceste, c’est quand il ne mange pas qu’il est nerveux.

— Moi, disait la maman de Clotaire, je trouve qu’on les fait trop travailler à l’école. C’est de la folie ; le mien ne peut pas suivre. De mon temps...

— Oh ! je ne sais pas, a dit la maman d’Agnan, le mien, chère madame, a beaucoup de facilité ; ça dépend des enfants, bien sûr. Agnan, si tu ne cesses pas de pleurer, tu auras une fessée devant tout le monde !

— Il a peut-être de la facilité, chère madame, a répondu la maman de Clotaire, mais il semble que le pauvre petit n’est pas très équilibré, non ?

La maman d’Agnan, ça ne lui a pas plu ce qu’avait dit la maman de Clotaire, mais avant qu’elle puisse répondre, la dame en blanc est venue, elle a dit qu’on allait commencer et qu’on nous déshabille. Alors, Agnan a été malade. La maman d’Agnan s’est mise à crier, la maman de Clotaire a rigolé et le docteur est arrivé.

— Qu’est-ce qui se passe ? a dit le docteur. Ces matinées d’examen scolaire, c’est toujours effroyable ! Du calme, les enfants, ou je vous ferai punir par vos professeurs. Déshabillez-vous, et en vitesse !

On s’est déshabillés, et ça faisait un drôle d’effet d’être là tout nus devant tout le monde. Chaque maman regardait les copains des autres mamans, et toutes les mamans faisaient la tête que fait Maman quand elle va acheter du poisson et elle dit au marchand que ce n’est pas frais.

— Bien, les enfants, a dit la dame en blanc, passez dans la pièce à côté ; le docteur va vous examiner.

— Je ne veux pas quitter ma maman ! a crié Agnan, qui n’était plus habillé qu’avec ses lunettes.

— Bon, a dit la dame en blanc. Madame, vous pouvez entrer avec lui, mais essayez de le calmer.

— Ah ! pardon ! a dit la maman de Clotaire, si cette dame peut entrer avec son fils, je ne vois pas pourquoi je ne pourrais pas entrer avec le mien.

— Et moi, je veux qu’Albert vienne aussi ! a crié Geoffroy.

— Toi, t’es un dingue ! a dit Eudes.

— Répète un peu, a dit Geoffroy ; et Eudes lui a donné un coup de poing sur le nez.

— Albert ! a crié Geoffroy, et le chauffeur est arrivé en courant, en même temps que le docteur.

— C’est incroyable ! a dit le docteur. Ça fait cinq minutes, il y en avait un qui était malade, maintenant il y en a un qui saigne du nez ; ce n’est pas un dispensaire, c’est un champ de bataille !

— Ouais, a dit Albert, je suis responsable de cet enfant, au même titre que de la voiture. J’aimerais les ramener tous les deux au patron sans égratignures. Compris ?

Le docteur a regardé Albert, il a ouvert la bouche, il l’a refermée et il nous a fait entrer dans son bureau, avec la maman d’Agnan.

Le docteur a commencé par nous peser.

— Allez, a dit le docteur, toi d’abord ; et il a montré Alceste, qui a demandé qu’on lui laisse finir son petit pain au chocolat, puisqu’il n’avait plus de poches où le mettre. Le docteur a poussé un soupir, et puis il m’a fait monter sur la balance et il a grondé Joachim qui mettait le pied pour que j’aie l’air d’être plus lourd. Agnan ne voulait pas se peser, mais sa maman lui a promis des tas de cadeaux, alors Agnan y est allé en tremblant drôlement, et quand ça a été fini, il s’est jeté dans les bras de sa maman en pleurant. Rufus et Clotaire ont voulu se peser ensemble pour rigoler, et pendant que le docteur était occupé à les gronder, Geoffroy a donné un coup de pied à Eudes pour se venger du coup de poing sur le nez. Le docteur s’est mis en colère, il a dit qu’il en avait assez, que si nous continuions à faire les guignols, il nous purgerait tous et qu’il aurait dû devenir avocat comme son père le lui conseillait. Après, le docteur nous a fait tirer la langue, il nous a écoutés dans la poitrine avec un appareil, et il nous a fait tousser et il a grondé Alceste à cause des miettes.