Ça fait drôlement mieux que quand c’est écrit a la plume, nous a dit Maixent, et c’est vrai.
— Hé, les gars, a dit Rufus, si on faisait un journal ? Ça, c’était une drôlement bonne idée et on a été tous d’accord, même Agnan, qui est le chouchou de la maîtresse et qui, d’habitude, ne joue pas avec nous pendant la récré parce qu’il repasse ses leçons. Il est fou, Agnan !
— Et on va l’appeler comment, le journal ? j’ai demandé.
Là, on n’a pas pu se mettre d’accord. Il y en avait qui voulaient l’appeler « le Terrible », d’autres « le Triomphant », d’autres « le Magnifique » ou « le Sans-Peur ». Maixent voulait qu’on l’appelle « le Maixent » et il s’est fâché quand Alceste a dit que c’était un nom idiot, et qu’il préférait que le journal s’appelle « la Délicieuse », qui est le nom de la charcuterie qui est à côté de chez lui. On a décidé que le titre, on le trouverait après.
— Et qu’est-ce qu’on va mettre dans le journal ? a demandé Clotaire.
— Ben, la même chose que dans les vrais journaux, a dit Geoffroy : des tas de nouvelles, des photos, des dessins, des histoires avec des voleurs et des morts tout plein, et les cours de la Bourse.
Nous, on ne savait pas ce que c’était, les cours de la Bourse. Alors, Geoffroy nous a expliqué que c’était des tas de numéros écrits en petites lettres et que c’était ce qui intéressait le plus son papa. Avec Geoffroy, il faut pas croire ce qu’il raconte : il est drôlement menteur et il dit n’importe quoi.
— Pour les photos, a dit Maixent, je ne peux pas les imprimer ; il n’y a que des lettres dans mon imprimerie.
— Mais on peut faire des dessins, j’ai dit. Moi, je sais faire un château avec des gens qui attaquent, des dirigeables et des avions qui bombardent.
— Moi, je sais dessiner les cartes de France avec tous les départements, a dit Agnan.
— Moi, j’ai fait un dessin de ma maman en train de se mettre des bigoudis, a dit Clotaire, mais ma maman l’a déchiré. Pourtant, Papa avait bien rigolé quand il l’avait vu.
— Tout ça, c’est très joli, a dit Maixent, mais si vous mettez vos sales dessins partout, il ne restera plus de place pour imprimer des choses intéressantes dans le journal.
Moi, j’ai demandé à Maixent s’il voulait une claque, mais Joachim a dit que Maixent avait raison et que lui il avait une rédaction sur le printemps, où il avait eu 12, et que ça serait très chouette à imprimer et que, là-dedans, il parlait des fleurs et des oiseaux qui faisaient cui-cui.
— Tu crois pas qu’on va user les lettres pour imprimer tes cui-cui, non ? a demandé Rufus, et ils se sont battus.
— Moi, a dit Agnan, je pourrais mettre des problèmes et on demanderait aux gens de nous envoyer les solutions. On leur mettrait des notes.
On s’est tous mis à rigoler ; alors Agnan a commencé à pleurer, il a dit qu’on était tous des méchants, qu’on se moquait toujours de lui et qu’il se plaindrait à la maîtresse et qu’on serait tous punis et qu’il ne dirait plus rien et que ça serait bien fait pour nous.
Avec Joachim et Rufus qui se battaient et Agnan qui pleurait, on avait du mal à s’entendre : c’est pas facile de faire un journal avec les copains !
— Quand le journal sera imprimé, a demandé Eudes, qu’est-ce qu’on va en faire ?
— Cette question ! a dit Maixent. On va le vendre ! Les journaux, c’est fait pour ça : on les vend, on devient très riches et on peut s’acheter des tas de choses.
— Et on le vend à qui ? j’ai demandé.
— Ben, a dit Alceste, à des gens, dans la rue. On court, on crie « Édition spéciale » et tout le monde donne des sous.
— On en aura un seul, de journal, a dit Clotaire ; alors, on n’aura pas des tas de sous.
— Ben, je le vendrai pour très cher, a dit Alceste.
— Pourquoi toi ? C’est moi qui vais le vendre, a dit Clotaire ; d’abord, toi, tu as les doigts toujours pleins de gras, alors tu vas faire des taches sur le journal et personne ne voudra l’acheter.
— Tu vas voir si j’ai les mains pleines de gras, a dit Alceste, et il les a mises sur la figure de Clotaire, et ça, ça m’a étonné, parce que d’habitude Alceste n’aime pas se battre pendant la récré : ça l’empêche de manger. Mais là, il n’était pas du tout content, Alceste, et Rufus et Joachim se sont poussés un peu pour laisser de la place à Alceste et à Clotaire pour se battre. C’est pourtant vrai qu’Alceste a les mains pleines de gras. Quand on lui dit bonjour, ça glisse.
— Bon, alors, c’est entendu, a dit Maixent, le directeur du journal, ce sera moi.
— Et pourquoi, je vous prie ? a demandé Eudes.
— Parce que l’imprimerie est à moi, voilà pourquoi ! a dit Maixent.
— Minute, a crié Rufus qui est arrivé ; c’est moi qui ai eu l’idée du journal, le directeur c’est moi !
— Dis donc, a dit Joachim, tu me laisses tomber comme ça ? On était en train de se battre. T’es pas un copain !
— T’avais ton compte, a dit Rufus, qui saignait du nez.
— Ne me fais pas rigoler, a dit Joachim, qui était tout égratigné ; et ils ont recommencé à se battre à côté d’Alceste et de Clotaire.
— Répète-le, que j’ai du gras ! criait Alceste.
— T’as du gras ! T’as du gras ! T’as du gras ! criait Clotaire.
— Si tu veux pas mon poing sur le nez, a dit Eudes, tu sauras, Maixent, que le directeur c’est moi.
— Tu crois que tu me fais peur ? a demandé Maixent ; et moi je crois que oui, parce qu’en parlant, Maixent faisait des petits pas en arrière ; alors, Eudes l’a poussé et l’imprimerie est tombée avec toutes les lettres par terre. Maixent, il est devenu tout rouge et il s’est jeté sur Eudes. Moi j’ai essayé de ramasser les lettres, mais Maixent m’a marché sur la main ; alors, quand Eudes m’a laissé un peu de place, j’ai donné une gifle à Maixent et puis le Bouillon (c’est notre surveillant, mais ce n’est pas son vrai nom) est arrivé pour nous séparer. Et on n’a pas rigolé, parce qu’il nous a confisqué l’imprimerie, il nous a dit que nous étions tous des garnements, il nous a mis en retenue, il est allé sonner la cloche et il est allé porter Agnan à l’infirmerie, parce qu’il était malade. Il a été drôlement occupé, le Bouillon !
Le journal, on ne le fera pas. Le Bouillon ne veut pas nous rendre l’imprimerie avant les grandes vacances. Bah ! de toute façon, on n’aurait rien eu à raconter dans le journal.
Chez nous, il ne se passe jamais rien.
Le vase rose du salon
J’étais à la maison, en train de jouer à la balle, quand, bing ! j’ai cassé le vase rose du salon.
Maman est venue en courant et moi je me suis mis à pleurer.
— Nicolas ! m’a dit Maman, tu sais qu’il est défendu de jouer à la balle dans la maison ! Regarde ce que tu as fait : tu as cassé le vase rose du salon ! Ton père y tenait beaucoup, à ce vase. Quand il viendra, tu lui avoueras ce que tu as fait, il te punira et ce sera une bonne leçon pour toi !
Maman a ramassé les morceaux de vase qui étaient sur le tapis et elle est allée dans la cuisine. Moi, j’ai continué à pleurer, parce qu’avec Papa, le vase, ça va faire des histoires.
Papa est arrivé de son bureau, il s’est assis dans son fauteuil, il a ouvert son journal et il s’est mis à lire. Maman m’a appelé dans la cuisine et elle m’a dit :