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Alceste est allé se faire interroger sur les fleuves et ça n’a pas marché très bien, parce que les seuls qu’il connaissait, c’était la Seine, qui fait des tas de méandres, et la Nive, où il est allé passer ses vacances l’été dernier. Tous les copains avaient l’air drôlement impatients que la récré arrive et ils discutaient entre eux. La maîtresse a même été obligée de taper avec sa règle sur la table et Clotaire, qui dormait, a cru que c’était pour lui et il est allé au piquet. Moi, j’étais embêté, parce que si la maîtresse me met en retenue, à la maison ça va faire des tas d’histoires et pour la crème au chocolat, ce soir, c’est fichu. Et puis, qui sait ? Peut-être que la maîtresse va me faire renvoyer et ça, ce serait terrible ; Maman aurait beaucoup de peine, Papa me dirait que lui, quand il avait mon âge, il était un exemple pour ses petits camarades, que ça valait bien la peine de se saigner aux quatre veines pour me donner une éducation soignée, que je finirai mal, et que je ne retournerai pas de si tôt au cinéma. J’avais une grosse boule dans la gorge et la cloche de la récré a sonné et moi j’ai regardé Geoffroy et j’ai vu qu’il n’avait pas l’air tellement pressé de descendre dans la cour, lui non plus.

En bas, tous les copains nous attendaient et Maixent a dit : « Allons au fond de la cour, là on sera tranquilles. »

Geoffroy et moi on a suivi les autres, et puis Clotaire a dit à Agnan :

— Ah ! non, pas toi ! Tu as cafardé !

— Moi, je veux voir ! a dit Agnan, et puis il a dit que s’il ne pouvait pas voir, il irait prévenir le Bouillon tout de suite et personne ne pourrait se battre et ce serait bien fait pour nous.

— Bah ! laissons-le voir, a dit Rufus ; après tout, Geoffroy et Nicolas seront punis de toute façon ; alors, qu’Agnan ait prévenu la maîtresse avant ou après, ça n’a aucune importance.

— Punis, punis, a dit Geoffroy, on sera punis si on se bat. Pour la dernière fois, Nicolas, tu retires ce que tu as dit ?

— Il ne retire rien du tout, sans blague ! a crié Alceste.

— Ouais ! a dit Maixent.

— Bon, allons-y, a dit Eudes, moi je serai l’arbitre.

— L’arbitre ? a dit Rufus, tu me fais bien rigoler. Pourquoi ce serait toi l’arbitre et pas un autre ?

— Dépêchons-nous, a dit Joachim, on va pas se bagarrer pour ça, et la récré va bientôt se terminer.

— Pardon, a dit Geoffroy, l’arbitre, c’est drôlement important ; moi, je ne me bats pas si je n’ai pas un bon arbitre.

— Parfaitement, j’ai dit, Geoffroy a raison.

— D’accord, d’accord, a dit Rufus, l’arbitre ce sera moi.

Ça, ça ne lui a pas plu, à Eudes, qui a dit que Rufus ne connaissait rien à la boxe, et qu’il croyait que les boxeurs se donnaient des claques.

— Mes claques valent bien tes coups de poing sur le nez, a dit Rufus, et paf, il a donné une claque sur la figure d’Eudes. Il s’est fâché tout plein, Eudes, je ne l’ai jamais vu comme ça, et il a commencé à se battre avec Rufus et il voulait lui taper sur le nez, mais Rufus ne restait pas tranquille, et ça, ça mettait Eudes encore plus en colère et il criait que Rufus n’était pas un bon copain.

— Arrêtez ! Arrêtez ! criait Alceste, la récré va bientôt se terminer.

— Toi, le gros, on t’a assez entendu ! a dit Maixent.

Alors, Alceste m’a demandé de tenir son croissant, et il a commencé à se battre avec Maixent. Et ça, ça m’a étonné, parce qu’Alceste, d’habitude, il n’aime pas se battre, surtout quand il est en train de manger un croissant. Ce qu’il y a, c’est que sa maman lui fait prendre un médicament pour maigrir et, depuis, Alceste n’aime pas qu’on l’appelle « le gros ». Comme j’étais occupé à regarder Alceste et Maixent, je ne sais pas pourquoi Joachim a donné un coup de pied à Clotaire, mais je crois que c’est parce que Clotaire a gagné des tas de billes à Joachim, hier.

En tout cas, les copains se battaient drôlement et c’était chouette. J’ai commencé à manger le croissant d’Alceste et j’en ai donné un bout à Geoffroy.

Et puis, le Bouillon est arrivé en courant, il a séparé tout le monde en disant que c’était une honte et qu’on allait voir ce qu’on allait voir, et il est allé sonner la cloche.

— Et voilà, a dit Alceste, qu’est-ce que je disais ? A force de faire les guignols, Geoffroy et Nicolas n’ont pas eu le temps de se battre.

Quand le Bouillon lui a raconté ce qui s’était passé, la maîtresse s’est fâchée et elle a mis toute la classe en retenue, sauf Agnan, Geoffroy et moi, et elle a dit que nous étions des exemples pour les autres qui étaient des petits sauvages.

— T’as de la veine que la cloche ait sonné, m’a dit Geoffroy, parce que j’avais bien envie de me battre avec toi.

— Ne me fais pas rigoler, espèce de menteur, je lui ai dit.

— Répète un peu ! il m’a dit.

— Espèce de menteur ! je lui ai répété.

— Bon, m’a dit Geoffroy, à la prochaine récré, on se bat.

— D’accord, je lui ai répondu.

Parce que vous savez, ce genre de choses, moi, il ne faut pas me les dire deux fois. C’est vrai, quoi, à la fin !

King

Avec Alceste, Eudes, Rufus, Clotaire et les copains, nous avons décidé d’aller à la pêche.

Il y a un square où nous allons jouer souvent, et dans le square il y a un chouette étang. Et dans l’étang, il y a des têtards. Les têtards, ce sont des petites bêtes qui grandissent et qui deviennent des grenouilles ; c’est à l’école qu’on nous a appris ça. Clotaire ne le savait pas, parce qu’il n’écoute pas souvent en classe, mais nous, on lui a expliqué.

A la maison, j’ai pris un bocal à confiture vide, et je suis allé dans le square, en faisant bien attention que le gardien ne me voie pas. Le gardien du square, il a une grosse moustache, une canne, un sifflet à roulette comme celui du papa de Rufus, qui est agent de police, et il nous gronde souvent, parce qu’il y a des tas de choses qui sont défendues dans le square : il ne faut pas marcher sur l’herbe, monter aux arbres, arracher les fleurs, faire du vélo, jouer au football, jeter des papiers par terre et se battre. Mais on s’amuse bien quand même !

Eudes, Rufus et Clotaire étaient déjà au bord de l’étang avec leurs bocaux. Alceste est arrivé le dernier ; il nous a expliqué qu’il n’avait pas trouvé de bocal vide et qu’il avait dû en vider un. Il avait encore des tas de confiture sur la figure, Alceste ; il était bien content. Comme le gardien n’était pas là, on s’est tout de suite mis à pêcher.

C’est très difficile de pêcher des têtards ! Il faut se mettre à plat ventre sur le bord de l’étang, plonger le bocal dans l’eau et essayer d’attraper les têtards qui bougent et qui n’ont drôlement pas envie d’entrer dans les bocaux. Le premier qui a eu un têtard, ça a été Clotaire, et il était tout fier, parce qu’il n’est pas habitué à être le premier de quoi que ce soit. Et puis, à la fin, on a tous eu notre têtard. C’est-à-dire qu’Alceste n’a pas réussi à en pêcher, mais Rufus, qui est un pêcheur terrible, en avait deux dans son bocal et il a donné le plus petit à Alceste.

— Et qu’est-ce qu’on va faire avec nos têtards ? a demandé Clotaire.

— Ben, a répondu Rufus, on va les emmener chez nous, on va attendre qu’ils grandissent et qu’ils deviennent des grenouilles, et on va faire des courses. Ça sera rigolo.

— Et puis, a dit Eudes, les grenouilles, c’est pratique, ça monte par une petite échelle et ça vous dit le temps qu’il fera pour la course.