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Tout en buvant le sien, Adalbert déclara :

— Il faut prendre au sérieux l’avertissement qu’elle nous a donné. Khaled et ses fils sont dangereux. Ils ont attendu qu’elle trouve une partie du trésor pour l’attaquer et, très certainement, ils attendent nos résultats à nous…

— Que proposes-tu ?

— De faire tout le jour comme si de rien n’était et, cette nuit, de décamper sans tambours ni trompettes…

— C’est commode ! La voiture est à Ein Guedi, sous leur garde… S’ils ont de mauvaises intentions, ils ne nous la rendront jamais…

Adalbert tira sa pipe, la bourra, l’alluma soigneusement et tira deux ou trois bouffées méditatives.

— Te souviens-tu de notre petit exploit sportif quand nous avons quitté Hallstatt pour rentrer à Bad Ischl en vaillants routiers ?

— Tu veux nous faire rentrer à Jérusalem à pied ?

— Si c’était la seule chance de sauver notre peau je n’y verrais aucun inconvénient… et toi non plus. Il sera suffisant de gagner Hébron… une trentaine de kilomètres à travers les montagnes de Judée. On laisse tout le saint-frusquin ici, la voiture chez Khaled et on fera récupérer le tout par les autorités anglaises.

— Autrement dit, nous allons fuir, laisser impuni l’assassinat de cette pauvre femme ? Nous avons des armes, que diable !

— Ça ne me séduit pas plus que toi mais nous ne sommes que deux… contre tout un village sans doute. Il leur serait si facile de nous abattre puis de crier très fort ensuite que nous avons eu… un accident. Dans une voiture qui flambe on ne retrouve pas grand-chose. Rien ne nous empêchera, ensuite, de participer à l’expédition punitive… si sir Percy juge que la mort horrible de sa fille en mérite une… Tu me suis ?

— Pas à pas ! Le vieil archéologue nous en dira peut-être d’avantage sur cette plaquette d’ivoire.

Quand la nuit fut complète, vers onze heures du soir, les deux hommes quittaient leur campement en emportant seulement leurs trouvailles, leurs armes, l’appareil photo et ce qu’ils avaient sur le dos. Sans faire le moindre bruit, ils tournèrent le dos à la porte du Serpent et se dirigèrent vers celle qu’avait abattue le bélier de Flavius Silva.

Le soleil levant les trouva loin de Massada cheminant bravement à travers les rochers rouges des montagnes de Juda heureusement peu élevées mais ils n’en étaient pas moins exténués quand ils gravirent enfin la dernière pente grimpant jusqu’à Hébron, petite ville blanche perchée sur quatre collines dont le nom arabe, Al Khalil, signifie Ami de Dieu. Presque entièrement musulmane – les Juifs n’y étaient pas tout à fait cinq cents ! – Hébron, dont cependant la principale mosquée s’élevait sur le tombeau d’Abraham considéré comme l’un des prophètes de l’Islam, n’aimait pas les étrangers. Les deux voyageurs, qui évidemment ne payaient pas de mine, le comprirent devant l’air rogue des aubergistes et se résignèrent à demander l’asile du poste anglais établi là depuis que, en 1917, le général Allenby s’en était emparé à la suite d’une rébellion. Le nom de sir Percival Clark leur ouvrit les bras de l’hospitalité britannique et leur donna même, le lendemain, des chevaux pour regagner Jérusalem distante d’un peu plus de quarante kilomètres. Il y firent, à l’hôtel, une entrée remarquée…

CHAPITRE III

UNE LETTRE VENUE DE NULLE PART

— C’est un chapitre du Deutéronome et je puis vous assurer qu’il est contemporain du siège, dit sir Percy en passant une main caressante sur la double plaque de verre enfermant un large fragment du parchemin déroulé. C’est une découverte importante mais il doit y en avoir d’autres ?… Vous auriez dû persévérer, chercher encore…

En dépit du « self control » qui, s’il n’est pas inné, fait partie de l’éducation de tout sujet britannique digne de ce nom, la voix de l’archéologue tremblait d’une excitation infiniment émouvante chez cet homme dont les jambes mortes le condamnaient à la chaise roulante. Avec son goût de l’œuvre parfaite, Morosini pensait que c’était dommage car, à plus de soixante-dix ans et en dépit de l’infirmité, son hôte demeurait un magnifique spécimen humain. Le masque érigé sur des épaules et un cou encore puissants aurait pu être celui de César ou de Tibère. Rasés et casqués de courts cheveux presque blancs, les traits volontaires encadraient à merveille les yeux d’un gris de nuage dont aucune paire de lunettes ne déformaient le regard passionné…

Il recevait ses visiteurs dans un vaste cabinet de travail ouvrant par de larges baies sur une terrasse ombragée par un vieil olivier tordu d’où l’on découvrait toute la cité sainte par-dessus la vallée du Cédron. Sa maison était un ancien couvent byzantin transformé. Autour de la dalle de marbre blanc portée par des lions de pierre qui servait de bureau, on voyait beaucoup de livres de toutes tailles, de toutes couleurs dans leurs reliures, souvent fatiguées comme il arrive lorsqu’on les a beaucoup lus et peu d’objets mais très beaux : une admirable lampe de mosquée en verre bleuté gravée d’or, un chandelier à sept branches en bronze verdi datant sans doute de l’époque du Christ et, dans une niche, derrière une vitrine, une étonnante statue d’Astarté phénicienne devant laquelle Adalbert était tombé en extase.

Ce fut celui-ci qui releva la protestation de sir Percy :

— Pour continuer à chercher, il nous aurait fallu une protection armée.

— Contre qui, mon Dieu ?

— Une tribu d’assassins. Votre précieux Khaled et ses fils. Ils attendaient que nous ayons découvert de l’or ou des bijoux ou n’importe quoi d’intéressant pour eux et nous aurions été exterminés sans pitié comme…

— Khaled ? Vous êtes fou ! Cet homme m’a toujours témoigné un dévouement total et c’est la raison pour laquelle je vous ai envoyé à lui. Vous avez dû l’offenser…

— Vous ne m’avez pas laissé finir ma phrase, fit Adalbert avec une douceur factice. J’allais dire comme ils ont assassiné une femme que vous devez connaître, dès l’instant où elle venait de découvrir une partie du trésor d’Hérode le Grand.

De pâle, le visage de l’archéologue devint gris :

— Kypros ?… Vous avez vu Kypros ?… Elle était donc là-bas ?

— Elle y était. Khaled, qui la détestait, nous avait dit qu’elle venait parfois à Massada. Environ deux fois l’an…

— Au moment des solstices sans doute, murmura sir Percy comme pour lui-même…

— Cette fois, dit Aldo, elle ne repartira plus jamais. Nous avons enfermé son corps mutilé dans la seconde partie de la grotte qu’elle habitait mais, avant de mourir, elle a eu le temps de nommer ses assassins.

— Comment est-elle morte ?

— Éventrée. Afin d’adoucir ses derniers instants, mon ami Vidal-Pellicorne lui a injecté de la morphine…

— Racontez-moi cela en détail !

La voix de sir Percy était aussi décolorée que sa figure et il ne souffla plus mot tandis qu’Adalbert lui faisait le récit de leur séjour, de leurs rencontres avec cette femme qu’ils croyaient presque sauvage et de ce qui s’était passé la nuit précédant leur départ clandestin.