— C’est l’écriture de Lisa !… Mon Dieu !
D’un doigt nerveux il décachetait l’épaisse enveloppe, en tirait une feuille pliée en quatre ne contenant que quelques mots :
« Si tu m’aimes, écrivait la jeune femme, ne me cherche pas, ne me fais rechercher par personne. Trouve ce que l’on t’a demandé, je suis sûre que tu en es capable. De toute façon je ne suis plus à Jérusalem et je suis bien traitée. Pour toi, pour nous, il faut que je prenne soin de moi. Je t’aime. Lisa… »
— Voilà la réponse à la question que nous nous posions tous, dit Aldo en tendant la lettre à Mme de Sommières – Adalbert, lui, avait lu par-dessus son épaule – Marie-Angéline a été enlevée pour servir de facteur, un point c’est tout !
— Comme c’est flatteur ! fit l’intéressée visiblement vexée.
— Ces Orientaux sont toujours excessifs ! commenta Mme de Sommières. Dans nos châteaux, il est d’usage d’offrir un verre de vin au facteur. Pas de l’imbiber au point qu’il ne tienne plus debout. Que faisons-nous à présent ? On reste ici ?
— Pour quoi faire ? soupira Vidal-Pellicorne. Nous avons la certitude que ce que nous cherchons n’est plus dans le pays depuis longtemps et, si Angélina le permet, j’emploierai le langage des truands pour dire qu’elle est « grillée ». Le mieux serait, je crois, que vous alliez rejoindre, mesdames, le yacht du baron Louis et que vous rentriez en France…
— Il a raison, dit Aldo. Ce qui vient d’arriver à notre amie donne à réfléchir. Pour rien au monde je ne veux que vous courriez quelque danger que ce soit !
— Vous voulez vous séparer de nous ? gémit Plan-Crépin au bord des larmes. Où allez-vous ?
— Je l’ignore, dit Aldo, mais nous ne restons pas…
— Alors, pourquoi ne partirions-nous pas ensemble ?
Avec une soudaine gentillesse, la marquise couvrit de sa main celle de sa fidèle suivante :
— Il faut vous faire une raison, ma chère ! Nous serions plus encombrantes qu’autre chose. Aldo se tourmente déjà suffisamment pour sa femme. Il n’a nul besoin d’en faire autant pour nous. Envoie un télégramme au capitaine du yacht, mon garçon nous rallierons Jaffa demain matin…
En regagnant leurs chambres respectives pour y prendre un peu de repos et une bonne douche, Adalbert gardait un silence inhabituel tandis qu’Aldo qui tenait toujours à la main la lettre de Lisa la caressait doucement du bout des doigts. Finalement, il demanda :
— As-tu une idée de ce qu’on va faire maintenant ? Tu penses à Damas ?
De sous les mèches rebelles où il fourrageait tout en marchant, Adalbert lui offrit un sourire moqueur :
— Je pencherais plutôt pour… Dijon !
— Dijon ? En France ?
— Tu en connais une autre ? La ville de la moutarde !
— Ce n’est vraiment pas le moment de plaisanter.
— Mais je ne plaisante pas. C’est Dijon… ou bien nous allons, la nuit prochaine, cambrioler la bibliothèque de sir Percy.
— Tu sais que tu deviens obscur ?
— Je vais éclairer ta lanterne. As-tu remarqué avec quelle rapidité, quelle virtuosité aussi, il a récupéré le bouquin de La Broquière dès que tu as fini de lire la page qu’il t’indiquait ?
— Oui, je l’ai trouvé un peu vif mais enfin…
— Il ne t’est pas venu à l’idée qu’il n’avait pas envie que tu lises plus avant ?
— Pourquoi l’aurait-il fait ?
— Peut-être parce qu’il ne souhaite pas nous en apprendre davantage au sujet des fameuses pierres ? Après tout, ton ami le rabbin n’est peut-être pas le seul à vouloir se les approprier ?
— Sauf ton respect, tu dérailles, mon bon ! Tu as vu dans quel état il est ? Paralysé jusqu’à la taille, comment veux-tu qu’il entreprenne la moindre recherche ? D’ailleurs nous sommes payés pour le savoir puisque nous l’avons suppléé à Massada…
— Mon cher prince, quand on est riche et que l’on est bien servi, on peut encore faire pas mal de choses prendre un bateau, un train, une voiture, pourquoi pas un avion…
— Mais pas, par exemple, faire de la reptation dans un boyau souterrain ou descendre avec une corde comme nous l’autre soir. En outre…
— On peut toujours le faire faire par quelqu’un d’autre…
— … en outre, s’il reste quelque chose d’intéressant dans ce sacré livre, il n’avait pas besoin de nous attendre.
— J’en conviens. Reste à savoir depuis quand il le possède ? Il nous a dit qu’il l’avait acheté depuis la fuite de Kypros mais ça peut très bien être il y a quinze jours.
— Possible, pourtant je te rappelle qu’il n’a aucune raison de se méfier de nous puisqu’il ignore ce que nous cherchons au juste. Il a même mis… je ne dirais pas une certaine condescendance à nous raconter l’affaire Bérénice.
— Tu ne crois pas que tu exagères ? On dirait que tu l’as soudain pris en grippe ?
— Pas du tout. Je le trouve même plutôt sympathique mais… mais c’est un archéologue et Anglais de surcroît ! Avec ces gens-là on en est toujours plus ou moins à Fontenoy ! Cela dit, je persiste et signe : quelque chose me dit qu’on aurait tout intérêt à lire jusqu’au bout ce passage des aventures de Bertrandon. C’est pourquoi je songe à Dijon : il y a là-bas les archives du duché de Bourgogne, plus la bibliothèque avec au moins un exemplaire…
— Je te crois sans peine, cependant il serait plus simple de retourner chez sir Percy et de lui demander tout simplement de revoir son livre.
— Dix contre un qu’on n’y arrivera pas !
— Pari tenu ! On y va cet après-midi une fois le plus gros de la chaleur passé… Inutile de l’indisposer en tombant au milieu de sa sieste !
— Avec le plus vif plaisir… à condition que tu nous trouves une voiture ! Après les galopades de cette nuit, je ne sens plus mes pieds !
— Ça te fera au moins un sujet de conversation avec ce pauvre Clark, fit Morosini féroce.
— Oh bravo ! C’est d’un goût !
Aldo l’admettait volontiers mais la notion des plus élémentaires convenances lui échappait à ce moment où il souhaitait surtout rester seul pour lire et relire encore la lettre, si courte, de Lisa. Uniquement parce qu’elle s’achevait sur un « je t’aime »… De quoi rêver pendant des semaines !
Longuement, il examina le papier, l’enveloppe : tous deux d’un très beau vélin à la forme dont il n’aurait pas désavoué l’usage. L’écriture aussi ferme, nette ne montrant aucun signe révélant une nervosité quelconque. Lisa, très certainement, était en pleine possession d’elle-même. Elle semblait accepter la captivité qu’on lui imposait mais tous deux avaient connu ensemble trop d’aventures pour qu’elle se laisse aller à la panique ou même à la simple inquiétude. En digne continuatrice des princesses Morosini du temps passé, elle faisait face, tout simplement…
La journée parut longue à Aldo, soudain saisi d’un grand besoin d’activité plus fort que sa fatigue, mais il n’y avait rien d’autre à faire que prendre un bon bain, dormir, déjeuner avec « la famille » et errer dans les jardins de l’hôtel en attendant l’heure convenable pour se rendre chez un vieil homme infirme. Enfin, elle vint et à cinq heures pile la voiture fournie par l’hôtel s’arrêtait devant l’entrée de l’ancien couvent byzantin au flanc du mont des Oliviers… mais l’appel de la cloche fit taire en vain le chant des oiseaux dans les arbres : personne ne se montra.
Pendu à l’antique chaîne, Adalbert réitéra son appel encore et encore sans plus de résultat :