Выбрать главу

Annalina explosa avec une violence qui rappela à Aldo les colères de sa chère Cecina :

— Une affaire délicate ? Une affaire de femme, oui ! J’ai été écartée de chez moi sous un prétexte fumeux pour qu’Alberto puisse recevoir l’une de ses nombreuses maîtresses et vous, dont je ne veux même pas savoir le nom, vous êtes son complice dans cette histoire ignoble !… Mais ça ne va pas se passer comme ça… Alberto ! Alberto où es-tu ?… Elle se ruait vers la porte. Aldo la saisit au passage sans trop de douceur et la maîtrisa :

— Soyez un peu raisonnable, comtesse ! Je n’ai rien d’une femme, il me semble ?

— Lâchez-moi, voulez-vous ? Cela ne prouve rien, sinon que vous devez être complice vous aussi. Cette femme est quoi, votre sœur, une cousine ?…

Aldo la lâcha, puis d’une voix aussi coupante qu’une lame d’acier, il déclara :

— Je ne fais pas commerce de femmes, comtesse, mais de joyaux anciens ! Et il n’est pas question de maîtresse mais au contraire d’une preuve d’amour ! Apparemment vous n’avez jamais entendu parler de moi ?

Douchée mais avec un maximum de mauvaise grâce la jeune femme admit :

— Si, bien sûr ! Vous êtes connu mais cela ne dit pas ce que vous aviez de si secret à traiter avec mon époux… ni ce que peut bien être cette fameuse preuve d’amour ? Si Alberto veut m’offrir un bijou, il n’a pas besoin d’un si grand secret !

— Si c’était le cas, en effet ! Cependant il ne s’agissait pas pour lui d’acheter mais de vendre.

— De… vendre ? Mais quoi ?… tout de même pas…

— Sa collection de turquoises, si, madame !

Elle pâlit si brusquement qu’Aldo tendit les mains croyant qu’elle allait s’évanouir mais elle se retint à un meuble et resta debout.

— Qu’essayez-vous de me dire ? Que mon époux est… ruiné ?

— Pas encore complètement mais peu s’en faut. Vous savez comme il tient à sa collection ? Jugez en conséquence !

La voix d’Annalina jusque-là emplie des éclats aigres de la colère changea soudain, devint plus douce, plus grave et plus triste :

— Et c’est moi qui l’ai mené là, n’est-ce pas ? Moi et ma manie du tapis vert… Voilà pourquoi il lui fallait m’éloigner pour vous rencontrer en toute tranquillité ?

Morosini s’inclina sans répondre mais, à cet instant, Manfredi reparut portant une mallette :

— Tout est là, mon cher ami ! dit-il. Puis, feignant de s’apercevoir de la présence de sa femme : Comment, tu es là ? Mais il n’y a pas de train à cette heure-ci ? Comment as-tu fait ?

Il s’adressait à Annalina mais son regard interrogeait avec un parfait naturel Vidal-Pellicorne qu’il voyait cependant pour la première fois mais dont il devinait qu’il était l’accompagnateur annoncé par Morosini. Ce qui faisait grand honneur à son talent de comédien !

L’archéologue sourit :

— Le rapide de Milan… et la sonnette d’alarme !

— Tu as fait arrêter le train pour toi, mon cœur ? fit Alberto en s’approchant de sa femme qu’il enveloppa de ses bras. Est-ce bien raisonnable ?

— Pardonne-moi mais… depuis hier soir, je suis comme folle ! Lorsque je suis arrivée chez Ottavia elle tombait des nues, ne comprenait pas ce que je venais faire et quand j’ai parlé du télégramme, elle a juré ses grands dieux n’avoir jamais rien envoyé mais, tout de suite après, elle s’est livrée contre toi à une si violente diatribe que nous nous sommes disputées pendant des heures. Tout ce que nous pouvions avoir de griefs, nous nous les sommes jetés à la tête…

— Elle ne t’a même pas invitée à dîner ?

— Elle non, mais Gottfried, le vieux maître d’hôtel de mon père, nous a fait passer à table… où nous avons continué. Tu sais quel souffle elle peut avoir ?

— Toi aussi, sourit son époux. Un talent de famille en quelque sorte…

— Je sais !… Gottfried avait aussi préparé une chambre pour moi mais j’ai refusé de passer la nuit dans une maison où l’on te traîne dans la boue.

— Et comme ta sœur m’accusait d’avoir voulu recevoir une maîtresse, toi tu as voulu savoir si elle n’avait pas un peu raison ?

— Je l’avoue…

— Eh bien, tu as vu je recevais seulement le prince Morosini dont tu connais la réputation… et qui est aussi un ami.

Tout en parlant, il reprenait la mallette qu’il avait posée pour embrasser Annalina dans l’intention de la donner à Morosini mais la jeune femme s’interposa :

— Non, Alberto ! Tu ne feras pas cela !… Jamais je ne me pardonnerais si, à cause de mes folies tu te séparais des pierres que tu aimes tant. Il doit y avoir moyen de s’arranger autrement. Et d’abord, je vais me faire « interdire » !

— Tu serais trop malheureuse et je te veux heureuse !

— Auprès de toi je le serai toujours !…

Repris par leur amour, Alberto et Annalina semblaient avoir oublié qu’ils avaient des spectateurs mais la jeune femme se reprit et vint vers eux :

— Je suis désolée que l’on vous ait dérangé pour rien, prince… surtout dans des conditions aussi… inhabituelles, dit-elle en tendant une main sur laquelle Morosini s’inclina, mais je veux que mon époux garde ce qui lui est si cher et nous trouverons une autre solution. À vous aussi, monsieur, je dois des excuses, ajouta-t-elle à l’intention d’Adalbert. Je crains de vous avoir fait passer une fort mauvaise nuit !

— Une nuit exaltante, vous voulez dire, comtesse ? sourit l’archéologue.

— Eh bien, j’espère avoir le plaisir de vous recevoir tous deux un autre jour et dans des circonstances plus paisibles.

Souriante, détendue, infiniment gracieuse, la jeune comtesse était redevenue l’exquise créature et la parfaite hôtesse qu’elle était dans la vie quotidienne. Alberto, pour sa part, rayonnait de voir s’achever de si heureuse façon une aventure qui aurait pu briser sa vie à tout jamais. Écartant Giuseppe qu’il venait d’envoyer se coucher, il raccompagna lui-même les deux hommes jusqu’à la voiture laissée par Morosini en dehors de la propriété.

— Je n’oublierai jamais ce que je vous dois, mon ami, fit-il en serrant avec force la main de celui-ci. Le voudrais-je d’ailleurs, qu’un simple regard posé sur la chapelle le rappellerait à ma mémoire…

— Ce ne sera pas une croix trop lourde à porter que cette double présence ? Et vos servantes sauront-elles se taire ?

— Rien à craindre. Elles me sont dévouées et puis Giuseppe les tient bien en main. Elles aimeraient mieux mourir que lui faire de la peine et Giuseppe est mon plus vieux serviteur. Partez tranquilles ! Tout ira bien à présent… et je vous dois beaucoup de mercis…

On se quitta sur ces mots et de chaleureuses poignées de mains. La voiture fit demi-tour et repartit dans le paysage nocturne où la pluie faisait trêve. Pelotonné dans le siège du passager, Adalbert bâillait à se décrocher la mâchoire, exténué par la nuit qu’il venait de passer. En revenant avec Annalina, en effet, il s’était interdit le moindre petit somme craignant que la jeune femme n’en profitât pour lui fausser compagnie d’une manière ou d’une autre. À présent il s’accordait avec volupté la joie de la détente. Au bout d’un instant, un léger ronflement renseignait Aldo amusé sur le degré de profondeur de cette détente. Soudain, Adalbert, comme réveillé d’un cauchemar, sursauta et ouvrit un œil un peu hagard :

— Les émeraudes ! Est-ce qu’on les a ?

— Je me demandais quand tu allais me poser la question, fit Aldo en riant. Rassure-toi, elles sont là ajouta-t-il en posant une main sur sa poitrine. On va pouvoir aller délivrer Lisa…