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Tout en parlant, il s’agenouillait sur le bord du bassin le plus proche du cadavre puis, comprenant qu’il allait tomber, s’étendit à plat ventre en s’étirant le plus possible. Il en était presque au point de rupture d’équilibre quand il réussit à attraper un pan de la lévite et tira le tout à lui…

— Viens m’aider ! souffla-t-il et Adalbert se précipita.

À eux deux, ils réussirent à sortir le corps et l’étendirent sur le sol.

— Et maintenant, qu’est-ce que vous allez en faire ? grogna l’Écossais nettement réprobateur.

— Ce ne sont pas les tombeaux désaffectés qui manquent dans la vallée du Cédron, répondit Adalbert entièrement acquis à l’idée de son ami. On va prendre le tunnel d’Ézéchias. Et ne dites pas que ce sera long et difficile : on le sait mais, comme dit Morosini, on n’a pas le choix. Retournez au King David, lieutenant, mais laissez-nous votre lampe !

— Pour qu’on me retrouve avec une jambe cassée ? Non !… je vais vous éclairer.

— Et l’incident diplomatique ? ironisa Morosini.

— On va essayer de l’éviter. Et puis une femme comme la princesse vaut que l’on risque une guerre !

Ne sachant s’il devait remercier ou montrer les dents, Aldo choisit de se taire et alla s’atteler aux pieds du corps dont il enleva les chaussures pour les vider et les fourrer dans ses poches.

— N’oubliez pas ça, grogna l’Écossais qui, du bout de son inséparable stick, avait repêché le chapeau et le posait sur la poitrine du mort. Sinon on pourrait se demander ce qu’il faisait là.

Bien que feu Goldberg fût petit, descendre son corps par un tunnel d’environ cinq cents mètres aux marches raides et glissantes fut plus que difficile : un vrai calvaire, dont Aldo et Adalbert admirent volontiers que, sans la lampe de Mac Intyre, ils ne s’en seraient pas tirés mais enfin, après un temps qui leur parut durer l’éternité, on retrouva l’air libre, la nuit du Seigneur et les senteurs de cèdre et d’eucalyptus dans la verte vallée… Trouver près des grands tombeaux un trou dans la falaise fut beaucoup plus aisé. On y installa le corps du mieux que l’on put, on empila pierres et branches sèches à l’entrée et l’on reprit, enfin, le long chemin qui ramenait à l’hôtel… Le sort de Lisa allait dépendre à présent du temps qui s’écoulerait avant la découverte du cadavre.

Vu l’heure tardive – et même matinale ! – le bar de l’hôtel était fermé, pourtant Morosini n’eut aucune peine à obtenir du portier de nuit une bouteille de whisky, un siphon, de la glace et des verres :

— Il n’est pas rare, dit cet homme courtois avec un regard de connivence à Mac Intyre, que quelques-uns de ces messieurs passent la nuit dans l’un de nos petits salons pour jouer au poker tranquillement…

— Je crois que ça m’aurait plu, fit Adalbert, mais pour l’instant nous avons mieux à faire !

À considérer les smokings et l’uniforme mouillés, froissés et salis, le portier voulut bien le croire mais se garda de commenter. Dans un palace de quelque pays qu’il soit, on en voyait bien d’autres…

Plongé dans ses pensées sombres, Aldo laissa Adalbert se charger du récit après qu’ils eurent changé de vêtements et aidé Douglas à retrouver un aspect présentable. Il fumait cigarette sur cigarette, allumant une nouvelle à celle qui allait s’éteindre. En fait il n’écoutait pas, préférant chercher une solution à leur difficile problème.

— À présent Goldberg est mort et lui seul savait où Lisa est retenue… conclut Adalbert.

— On pourrait en tout cas chercher le gamin nommé Ézéchiel qui lui était si cher. Il doit bien savoir quelque chose, celui-là.

— Qui est Ézéchiel ? demanda Douglas.

— Celui qui a porté les lettres et que Lisa a suivi chez Goldberg. Sur nos indications, Mlle du Plan-Crépin avait tiré un portrait dont je dois avoir encore une copie dans mes bagages, dit Adalbert.

— Inutile ! Je m’en souviens très bien. J’ai une bonne mémoire des visages et je vais le faire rechercher, dit le lieutenant. Il serait bien étonnant d’ailleurs que l’annonce de la mort du rabbin ne le ramène pas à la surface : je peux vous assurer que ça va faire du bruit !

— Il y autre chose qu’il faudrait savoir, reprit Aldo. Cette femme… Hilary puisque nous n’avons pas d’autre nom à notre disposition, a dit qu’elle travaillait pour quelqu’un d’autre et il faudrait peut-être se soucier de la malheureuse qu’elle a prise pour ma femme et qu’elle a emmenée pour couvrir sa fuite. Elle ne va pas tarder à s’apercevoir que ce n’est pas Lisa et alors le mystérieux employeur pourrait vouloir s’en débarrasser… L’idée qu’elle pourrait mourir me gêne…

— Moi aussi, mais, à propos du mystérieux employeur, tu n’as pas une petite idée ? Par exemple, tu n’as pas été frappé par le fait que la garde rapprochée d’Hilary était composée des fils de Khaled et, de quelques-uns de leurs copains ?

— Bien sûr que si ! Mais inutile de songer à sir Percy ! Tu oublies qu’il avait un compte à régler avec ces gens depuis la mort de Kypros ?…

— Sir Percy ? intervint Mac Intyre. Vous ne voulez pas parler de sir Percival Clark ?

— Pourquoi pas ? fit Aldo en considérant le visage soudain empourpré du jeune homme. C’est l’un de vos parents ou vous lui vouez un culte ?

— Parent ? Non. Je suis écossais, Dieu merci ! mais c’est un trop grand homme et qui sert trop bien son pays pour que je permette qu’on le soupçonne à propos d’une si vilaine histoire. Je ne vous suivrai pas sur ce chemin-là !

— Et qui vous demande de nous suivre ? s’emporta soudain Aldo. Vous êtes tous les mêmes, les Anglais ! Prêts à toutes les aventures à condition qu’on ne touche pas à votre sacré pays et à ses illustrations !

— Je ne suis pas anglais ! clama Douglas. Je suis…

— On le sait ! Et le roi George cinquième du nom, que vous servez, il est quoi ? Hottentot ?…

— Calme-toi ! intervint Vidal-Pellicorne inquiet de la façon dont tournaient les événements. Souviens-toi que ce garçon vient de nous tirer d’un mauvais pas…

— Je n’oublie rien mais il faut savoir ce que l’on veut dans la vie ou il nous aide à sauver Lisa ou il chante la gloire de Clark !

— Je veux vous aider ! émit Douglas au bord des larmes, mais je veux aussi qu’on respecte un vieil homme honorable !

Aldo se détourna, prit une nouvelle cigarette et l’alluma d’une main dont le léger tremblement traduisait son énervement :

— C’est bon ! Respectez-le autant que vous voulez… mais tâchez au moins de mettre la main sur Ézéchiel. C’est lui le plus important pour nous et il faut faire vite !

Mais on n’eut pas à rechercher le jeune garçon bien longtemps.

Alors que, rentré dans sa chambre, Aldo s’était jeté sur son lit pour détendre au moins son corps à défaut de son esprit, il surgit soudain devant lui, rejetant la moustiquaire dont la couche l’enveloppait comme une mariée son voile :

— Où est le rabbin Goldberg ? demanda-t-il en braquant sur Morosini un pistolet tenu d’une main trop ferme pour qu’il n’en eût pas l’habitude.

— Vous devriez le savoir ? fit Aldo à qui la vue de l’arme rendit soudain tout son sang-froid.

Sans paraître s’en soucier le moins du monde, il glissa au bord du lit, s’assit et commença à se chausser. En même temps, il reprenait :

— Vous êtes son fidèle acolyte, n’est-ce pas ? Vous ne le quittez jamais ? Alors ?

— Je ne l’ai pas vu depuis hier vers six heures. Il m’avait chargé d’une… commission mais je savais qu’il vous rencontrait à onze heures à Siloé. Il était très heureux parce qu’il allait recevoir les « sorts sacrés » et il avait fait de longues prières pour remercier le Très-Haut…