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De retour à Paris, elle s’aperçoit que son étoile est ternie. Sur les conseils de son frère Raphaël qui a pris le relais du père et se révèle homme d’affaires, elle part pour l’Amérique avec toute sa famille. Malheureusement, la tournée est un fiasco dont Rachel revient épuisée.

Après avoir essayé de la campagne – elle a acheté un superbe domaine à Thun, sur la route de Mantes, elle se décide, à l’automne 1856 à suivre les conseils de son médecin qui recommande l’Égypte. Elle sait qu’elle n’a plus grand-chose à attendre sinon la mort. Et pourtant, c’est alors que l’amour lui tend une dernière perche : la plus solide.

Il s’appelle Gabriel Aubaret et il est commandant en second sur le navire qui emmène la tragédienne à Alexandrie. Il est de cinq ans plus jeune qu’elle mais il est bon, loyal, sincère et cette femme diaphane qui porte sur ses épaules le poids de tant de gloire l’émeut. Cette émotion se change vite en amour et Rachel croit revivre. Est-ce que, vraiment, on peut encore l’aimer à ce point ? Alors, elle ne va pas rester en Égypte où Gabriel ne la verrait pas souvent. Elle rentre en France son amant loue pour elle une propriété près de Montpellier, non loin de sa propre famille. Il espère l’épouser mais chrétien et même pieux il essaie de convertir Rachel au catholicisme. Ce qui déchaîne la fureur de la famille Félix et, le jour où Rachel doit abjurer le judaïsme, elle reçoit un télégramme – faux ! – qui la rappelle à Paris : son fils est malade. Elle quitte Gabriel désespéré.

À Paris où elle a vendu son hôtel de la rue Trudon, elle s’est installée place Royale où, dans un très bel appartement, elle reçoit encore le Tout-Paris. L’Empereur et l’impératrice lui ont conservé leur amitié. Mais le mal empire. La toux destructrice la mine. Elle ne veut pas retourner à Montpellier et elle accepte l’offre de la villa Sardou, au Cannet, une villa de style pompéien où sa chambre a l’air d’un mausolée antique. Elle s’y rend avec Sarah : quelques jours de joie au milieu des orangers. Ses fidèles viennent la voir et surtout Gabriel qui refuse de la quitter. Il y a aussi, bien sûr, la famille, l’envahissante famille. Et c’est au chant des psaumes hébraïques, au milieu des siens que, le dimanche 3 janvier 1858, la Grande Rachel s’éteint dans les bras de son médecin, le docteur Czemicki. Elle n’a pas trente-sept ans et elle emporte avec elle l’une des plus hautes gloires du théâtre.

Ramenée à Paris, elle aura des obsèques presque nationales comme, plus d’un siècle plus tard, la grande Édith Piaf qui lui ressemble par bien des points. Une foule immense l’accompagne au Père-Lachaise où elle repose toujours cependant que la Comédie-Française révère encore en elle celle qui fut peut-être sa plus grande tragédienne.

LA DAME AUX CAMÉLIAS

Un soir aux Variétés

Un jour de septembre 1844, deux jeunes « lions » c’est-à-dire deux jeunes gens appartenant à cette jeunesse parisienne élégante, romantique et dorée par intermittence, se rencontrent à la promenade à cheval en forêt de Saint-Germain et, comme cela arrive aisément lorsque l’on a vingt ans, ils se sont tout de suite liés d’amitié et décident de continuer la journée ensemble : l’un se nomme Eugène Déjazet et il est le fils de la célèbre comédienne Virginie Déjazet mais l’autre porte un nom encore plus célèbre : on l’appelle Alexandre Dumas fils pour le distinguer de son monumental père, le grand Alexandre Dumas qui vient tout juste de faire paraître Les Trois Mousquetaires, le roman vedette que les foules s’arrachent.

Les deux nouveaux amis pourraient d’ailleurs aller dîner chez lui, à la Villa Médicis où il tient table ouverte mais préférant leur seule compagnie, ils optent pour un autre programme : ils iront au théâtre et ensuite souperont dans un endroit à la mode. Alexandre propose le théâtre des Variétés, un peu boudé par les femmes du monde mais où celles du demi-monde souvent plus belles viennent volontiers. C’est donc là qu’ils dirigeront leurs pas.

Ayant réussi, non sans peine, à s’assurer deux fauteuils dans une salle déjà bien remplie ils se livrent tout d’abord à l’occupation habituelle des jeunes élégants au théâtre : examiner à la lorgnette les femmes qui ornent les loges. La pièce, en effet, ne les intéresse que médiocrement.

Les jumelles d’Alexandre Dumas ne vont pas loin et se fixent sur l’une des deux grandes loges d’avant-scène illuminée par une femme merveilleusement belle, vêtue d’une robe de satin blanc largement décolletée avec, autour du cou, une rivière de diamants. Quelque temps plus tard, devenu un dramaturge célèbre il la décrira ainsi : « Elle était grande, très mince, noire de cheveux, rose et blanche de visage. Elle avait la tête petite, de longs yeux d’émail comme une Japonaise mais vifs et fiers, les lèvres du rouge des cerises, les plus belles dents du monde. On aurait dit une figurine de Saxe… »

Pour l’instant, elle l’éblouit et il remarque à peine l’homme âgé et richement vêtu qui l’accompagne : il ne voit qu’elle et le bouquet de camélias blancs posé devant elle sur le velours rouge de la loge. Et, naturellement, il demande à son compagnon s’il la connaît.

Déjazet se met à rire. Comment ? Le fils du grand Dumas ne connaît pas la plus célèbre des courtisanes de Paris ? Eh bien non, il ne la connaît pas mais comblerait volontiers cette lacune. Déjazet alors s’exécute : la belle se nomme Marie Duplessis. Elle n’a que vingt ans mais elle est déjà célèbre par sa beauté, son luxe, son élégance et même sa culture car elle lit beaucoup. Quant au vieil homme, c’est l’ancien ambassadeur de Russie, le comte Stackelberg, fabuleusement riche qui dépense pour elle une fortune. Chaque jour, il lui offre ces camélias que l’on commence à associer à son nom et qu’il paie très cher parce qu’elle ne supporte pas les fleurs parfumées.

En réalité, la belle enfant s’appelle Alphonsine Plessis, née en Normandie, à Nonant-le-Pin, le 15 janvier 1824, fille d’un mercier ivrogne qui, dès l’âge de treize ans, la vendait à ses clients contre quelques verres. À quinze ans, elle a fui cette horreur, est venue à Paris et s’y est placée comme lingère puis comme modiste et, pour se distraire, elle a fréquenté le fameux bal Mabille.

C’est là qu’elle rencontre, un jour, le journaliste Nestor Roqueplan qui lui fait changer de nom et lui conseille de s’intéresser uniquement aux hommes fortunés. Cela commence mal : un restaurateur du Palais-Royal l’installe dans un petit appartement de la rue de l’Arcade où il prétend la séquestrer. Elle s’échappe, devient la maîtresse du jeune duc de Guiche et, grâce à lui, grâce aussi à ceux qui lui succéderont : Édouard Delessert, Henri de Contades, Fernand de Montguyon, Marie va acquérir les manières parfaites et le vernis de culture qui vont lui donner son image définitive. Elle est, en outre, une excellente maîtresse de maison et dans son grand appartement du 11, boulevard de la Madeleine (le 16 actuel) Marie va recevoir toute la noblesse masculine et tout ce que Paris compte d’illustrations littéraires… dont le père Dumas.

Il y a, dans la salle, une autre femme avec laquelle Marie semble avoir établi une sorte de télégraphie discrète. C’est une modiste en vogue nommée Clémence Prat, une entremetteuse aussi mais elle est pour la jeune femme non seulement une voisine mais aussi une amie fidèle. Si Dumas veut se faire présenter, c’est elle qu’il faut aller visiter à l’entracte. En dépit d’une certaine répugnance, Alexandre accepte et la Prat l’invite chez elle après le spectacle : Marie, qui ne se couche jamais avant deux heures du matin y passe toujours un moment car elle souffre de la poitrine mais la fièvre en général la quitte vers cette heure tardive.