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C’est presque la gloire. Au point d’inquiéter un instant la reine de l’opérette, l’inégalable Hortense Schneider. Sans suite d’ailleurs. Blanche était trop bonne fille et n’aimait pas se faire des ennemis parmi ses camarades ou le personnel des théâtres. Il lui suffisait de ruiner proprement tous ceux qu’attirait sa chair opulente et sa merveilleuse blondeur.

Le 21 janvier 1869 marque, dans la vie de Blanche d’Antigny une date qui n’a rien à voir avec l’anniversaire de la mort de Louis XVI : ce soir-là, elle inaugure le magnifique hôtel particulier qu’elle s’est fait offrir rue Lord-Byron, au coin de l’avenue Friedland, un hôtel dont on se répète à l’envi les merveilles. Par exemple, la seule chambre à coucher renferme pour cinquante-cinq mille francs (or !) de dentelles et de tapis entre ses murs tendus de satin bleu turquoise.

La pendaison de crémaillère est une débauche de luxe : des laquais en habits à la française forment une double haie dans le vestibule décoré de précieuses tapisseries. Un treillage doré tout garni de lilas blanc recouvre les murs des salons, de la salle à manger et de l’escalier. Quant à la table du festin, elle étincelle d’or, d’argent et de cristaux disposés autour d’un énorme samovar d’or massif hérissé de fleurs. Les convives sont composés des hommes les plus en vue et des plus célèbres courtisanes.

Pourtant, au milieu de ce luxe effréné et de tous ces hommes qui se ruinent pour elle, Blanche garde au fond de son cœur une petite fleur bleue, une romance discrète, mélancolique et même pitoyable : l’amour qu’elle porte à l’un de ses camarades de théâtre, le jeune Pierre Luce qui lui voue une adoration sans borne.

C’est un garçon doux, timide… et très malade car il est miné par la tuberculose. Mais il est le seul au milieu de tous ces hommes plus beaux et plus riches que lui à avoir su éveiller une tendresse dans le cœur de la chanteuse, un sentiment pur, dépouillé, fait d’un amour un peu maternel et de tout ce que sa vie insensée n’a jamais permis à Blanche d’exprimer.

Quand Luce meurt, dans les débuts de la guerre de 1870, Blanche, en larmes, s’en va trouver le caissier de son théâtre pour lui demander de lui avancer 150 francs sur ses cachets.

L’homme s’étonne, s’indigne même, hausse les épaules puis désignant les boucles d’oreilles en diamants qu’elle porte :

— Besoin d’argent, vous ? Et d’une si petite somme ? Mais avec un seul de vos diamants vous aurez dix mille francs tout de suite.

— Je sais… mais c’est pour Pierre. Je ne veux payer les fleurs de sa tombe qu’avec de l’argent honnêtement gagné.

Elle eut ses cent cinquante francs et Pierre Luce les lilas blancs qu’il aimait.

Cependant, cet unique amour va laisser des traces redoutables, ineffaçables à cette époque. Au contact du jeune malade, Blanche à son tour contracte la tuberculose qui va la détruire peu à peu.

La guerre terminée, elle fait quelques tournées, une saison à Londres en 1872 mais qui lui est funeste et dont elle essaie de corriger les effets par un voyage en Égypte. Elle compte sur le soleil pour lui rendre sa belle santé d’autrefois. Si belle, si fraîche, si rose, si ronde, si blonde, elle maigrit et voit avec horreur se creuser ses joues, se plomber son joli teint. Le séjour d’Alexandrie n’arrange rien. En outre, elle doit y faire face à une cabale orchestrée par un riche Égyptien qu’elle a repoussé.

Dégoûtée des voyages, épuisée aussi, elle regagne Paris qu’elle aime toujours plus que tout autre endroit au monde et s’installe à l’hôtel du Louvre. C’est là que la mort va interrompre la course folle d’une destinée vouée tout entière à la gaieté et au plaisir.

Le 27 juin 1874 meurt Blanche d’Antigny… munie des sacrements de l’Église, à trente-quatre ans et c’est au cimetière du Père-Lachaise qu’est enterrée cette femme dont la vie tumultueuse va inspirer à Émile Zola sa scandaleuse et redoutable Nana. Une Nana pas tout à fait fidèle à son modèle car, même si elle le cachait bien, Blanche d’Antigny, elle, possédait un cœur.

« DU BARRY »

Un mariage à la sauvette…

Être la fille naturelle d’une couturière en chambre et d’un moine plus ou moins en rupture de couvent n’a jamais été une bonne carte de visite pour faire carrière dans la société. C’est cependant le lot de la jeune Jeanne Bécu lorsqu’elle naît à Vaucouleurs le 10 août 1743. En religion son père porte le nom séraphique de Frère Ange, ce qui donne à penser, mais ce père essentiellement épisodique se nommait fort honorablement Jean-Baptiste Gomard de Vaubernier.

Néanmoins, le ciel compatissant eut la bonne idée de doter Jeanne d’une beauté qui éclata aux yeux de tous dès ses premières années, une beauté qui allait grandir avec elle et la doter finalement de cet éclat rayonnant auquel bien peu d’hommes purent résister.

Si peu séraphique qu’il ait pu être, Frère Ange a néanmoins rempli ses devoirs envers sa fille en lui faisant donner, chez les dames de Sainte-Anne, une éducation susceptible de lui permettre de paraître en compagnie. Au point qu’à sa sortie, la jeune Jeanne est engagée comme demoiselle « pour accompagner » chez une veuve suffisamment noble pour avoir souhaité que son nom ne soit pas mentionné dans la suite éclatante d’une carrière galante qu’elle ne pouvait approuver.

Pas plus qu’elle n’acceptait d’ailleurs les nettes tendances de sa protégée pour l’amour libre. Un beau matin, Jeanne se retrouve sur le pavé ce qui lui permet d’entrer comme « demoiselle de magasin » chez Labille, rue Neuve-des-Petits-Champs. Une maison de mode pleine de dentelles, de soieries et de rubans dont la jeune fille fut bientôt le plus joli des ornements. Et quels ornements : dire qu’elle était blonde c’est faire tort à l’éclat d’une foisonnante chevelure dorée. Sa peau était de nacre rose, ses yeux immenses et d’un bleu foncé dont la nuance changeait suivant les circonstances. Quant à son corps, le plus exigeant des statuaires grecs n’aurait pu en trouver de plus parfait, de plus tendre et de plus soyeux.

Un corps dont elle n’est pas avare. L’un de ses amants la conduit dans une maison de jeux où elle va rencontrer celui que l’on pourrait appeler l’homme de sa vie car c’est son astuce qui va propulser cette petite vie modeste et encore cachée jusqu’au firmament de Versailles : il se nomme Jean, comte Du Barry mais on le connaît mieux, dans les endroits où l’on s’amuse sous le sobriquet du « Roué ». Car, roué, il l’est comme personne… Mis en présence de Jeanne, il a tôt fait de sentir qu’elle peut aller très loin. Alors il commence par mettre, sur elle, ce que l’on pourrait appeler une option sous forme de la lettre suivante : « Ma belle demoiselle, venez demeurer avec moi. Vous serez d’abord la maîtresse de mon cœur ; en cette qualité la souveraine de mon hôtel où vous commanderez à tous mes gens qui seront désormais les vôtres. Vous paraîtrez sur un ton imposant. Vous ne manquerez ni de robes ni de diamants. Je tiens chez moi, une fois par semaine, une assemblée brillante. Vous en ferez l’honneur ; vous recevrez les vœux et les adorations de ceux qui vous approcheront. Je vous instruirai de la manière dont il faudra vous conduire pour bien mener votre barque… »