Выбрать главу

Heureusement pour elle ses amis veillaient. On l’installa dans la fameuse pension Belhomme où elle resta jusqu’à la chute du propriétaire. L’ombre de la guillotine se rapprocha du joli cou de la comédienne. Mais Barras veillait et le jour où Mlles Lange et Montansier devaient être transférées à la Conciergerie, elles se retrouvèrent tout simplement dans la rue. Le 9 thermidor approchait. Barras devint quasiment roi et la belle Élisabeth fut en quelque sorte sa reine comme on l’a chanté depuis dans La Fille de Madame Angot.

La vie reprit de plus belle et la jeune femme, engagée au théâtre Feydeau en devint la grande vedette, ne comptant plus ses admirateurs. L’un d’eux, un banquier nommé Hopé lui offrit un hôtel particulier puis une petite fille que l’on nomma Palmyre, que l’on mit en nourrice.

Si dépravé que fut le Tout-Paris d’alors, il s’y trouvait tout de même des gens pour déplorer le couple mal assorti que formait la jeune femme et Lieuthraud-Beauregard. Elle était fine, cultivée, élégante et lui un paysan à peine dégrossi. Néanmoins, comme il avait le goût et le sens du faste, elle réussit à le supporter durant une année ce qui lui permit d’ailleurs de surpasser ses rivales par ses folies. On parla longtemps de la fête que donna l’ancien perruquier dans l’hôtel du prince de Salm où l’on fit une loterie ne comportant que des gagnants et où les lots étaient tous des bijoux de prix.

Curieusement d’ailleurs, le jour où Mlle Lange donne son congé à son nabab celui-ci est à la veille de gros ennuis. Bonaparte qui rentre chargé des lauriers moissonnés en Italie est un homme curieux et il va s’occuper d’un peu près des affaires trop fructueuse de notre coquin. Arrêté en juin 1798, le faux comte est envoyé au bagne pour quatre ans et l’on ignore ce qu’il y devint. Élisabeth qui avait si bien su tirer à temps son épingle du jeu ne le pleura pas. D’autres amours l’attendaient et elle aimait trop la vie pour s’encombrer de regrets.

C’est à un bal de l’Opéra qu’elle va rencontrer un jeune Bruxellois riche et de bonne famille venu là pour oublier un récent divorce et aussi pour essayer d’obtenir des commandes de fournitures de bourrellerie et de carrosserie pour les armées. Il se nomme Michel Simons.

Le jeune homme tombe instantanément amoureux de cette éclatante créature si simplement vêtue de mousseline blanche… et d’une cascade de diamants. L’ami qui l’accompagne tente alors de le mettre en garde : cette femme est sans doute la plus belle de Paris mais elle est vénale et elle a déjà ruiné plus d’un homme. Mais comme il n’est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre, Michel Simons put ce soir-là s’incliner sur la main de la belle et recevoir une invitation à dîner.

En l’escortant chez Élisabeth, l’ami qui l’avait présenté tenta un dernier effort pour le mettre en garde contre le danger que représentait cette trop jolie femme. Peine perdue : Simons était déjà éperdument amoureux.

Or, les cœurs simples et sincères possèdent sans toujours le savoir des armes d’une étrange puissance. Ce soir-là, oubliant ses principes un rien mercantiles, la belle Lange tomba amoureuse de ce Bruxellois timide dont les yeux bleus la regardaient avec une adoration si ingénue. Elle eut soudain envie de le connaître mieux, de garder auprès d’elle un amour aussi pur. Prenant le bras du jeune homme, elle l’entraîna à travers ses salons pour le présenter à ses invités comme s’il était un personnage des plus importants. Naturellement, elle l’invita à revenir. Aussi souvent qu’il le souhaiterait.

Il ne se le fit pas répéter. On put le voir attendre Élisabeth dans sa loge au théâtre pendant les représentations puis l’emmener souper au Rocher de Cancale, chez Véry ou Aux Trois Frères provençaux. Il portait son châle ou son bouquet, la couvrait de fleurs et de billets tendres, se comportant en résumé comme un parfait chevalier servant. La comédienne appréciait ce compagnon qui se dévouait si entièrement sans avoir seulement tenté d’obtenir d’elle un baiser. Il la traitait en reine et c’était pour elle chose toute nouvelle que cet amour qui se doublait de respect…

Le rire de l’Empereur

Paris sourit d’abord de l’idylle presque ingénue qui s’était nouée entre Élisabeth Lange et le jeune Bruxellois. Puis, intriguée par cette romance, la ville engagea des paris : était-il son amant ? De fait, il ne l’était pas parce qu’il n’osait pas demander à son idole ce qu’elle était toute prête à lui accorder et cette situation n’était pas le moindre des embarras de la comédienne amoureuse comme une grisette pour la première fois de sa vie. Elle qui, jusque-là, avait administré son corps comme un fonds de commerce, éprouvait en face de cet homme sincère des pudeurs de jeune fille et un vague dégoût de sa conduite passée. Elle ne savait comment lui dire combien elle l’aimait…

Ne sachant comment s’y prendre, elle en parle, un matin, à Jeannette, sa vieille et fidèle femme de chambre. Et ce qu’elle dit stupéfie la brave femme : son Élisabeth ne songe-t-elle pas à abandonner le théâtre et ce qui s’ensuit pour épouser Simons qui vient tout juste de lui demander sa main ! Or, pour cette femme entièrement dévouée à la comédienne, c’est une idée stupide. Le mariage est une chose grave dont il ne sort jamais rien de bon quand on est faite pour régner sur les hommes.

Seulement, cette fois, Jeannette perd son temps. Jamais personne n’a offert à Mlle Lange de l’épouser et c’est une proposition qui lui va droit au cœur. En revanche et pour rendre à son ami un peu du bonheur qu’il vient de lui donner, Élisabeth lui propose de faire venir à Paris la petite fille qu’il a eue de son premier mariage et de veiller sur elle. Bien sûr, Simons est touché et, pour marquer sa gratitude à son aimée, il s’en va acheter pour elle et l’enfant le joli château de Montalais sur les hauteurs de Meudon.

Pourtant, alors que les deux amoureux font des essais de vie familiale avec la petite Élise, un gros nuage en forme de vieux Bruxellois à principes, se rassemble au-dessus d’eux : le père Simons, bourrelier de son état, n’entend pas voir son fils épouser une comédienne. Il est d’une humeur d’autant plus massacrante que sa fille vient de s’enfuir pour rejoindre un bel officier de l’armée de Sambre-et-Meuse sans sou ni maille. C’en est trop ! Le vieux monsieur s’embarque pour Paris bien décidé à jouer avec la « théâtreuse » la grande scène du père Duval avant même La Dame aux camélias. Néanmoins la vie lui réserve une surprise.

Lorsqu’il arrive à Paris, il ignore qu’Élisabeth, inquiète, a demandé à sa meilleure amie, Julie Candeille, d’assister à l’entrevue. Or, lorsqu’il entre dans son salon, Élisabeth constate que le père de Michel n’est pas tout à fait le vieillard cacochyme qu’elle attendait : c’est un homme d’une cinquantaine d’années, grand et fort, avec un visage ouvert et sympathique. Mais elle a tout juste le temps de faire ces constatations car son visiteur vient de remarquer Julie et fonce sur elle. Apparemment ils se connaissent depuis une certaine soirée de Bruxelles. Et ils semblent tellement heureux de se revoir que Mlle Lange se demande si elle ne ferait pas mieux de se retirer. Néanmoins, estimant qu’il faut vider l’abcès, elle demande à son visiteur pour quelle raison il a souhaité la rencontrer. Et le miracle se produit :

— Je voulais seulement savoir si mon fils vous avait bien dépeinte, fait-il aimablement. En vérité, il était fort au-dessous de la vérité.

L’entrevue qui promettait d’être orageuse se terminera par un dîner à quatre chez Véry.

Il faut reconnaître à Jean Simons d’être l’homme des décisions rapides. Il commence par accorder son consentement au mariage de son fils mais s’arrange pour le gagner de vitesse et, au mois d’août, il épouse Julie Candeille alors qu’Élisabeth et son fils ne se marieront qu’en décembre.