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— Vous voyez, dit la femme en désignant une des vitrines, ils ont ouvert cette armoire. Ce sont nos archives. Mais à première vue ils n’ont rien volé. Ni même rien touché.

Karim s’agenouilla et observa la serrure de la vitrine. Dix ans de casses et de vols de voitures lui avaient forgé une solide expérience en matière de cambriolage. Sans aucun doute, l’intrus qui avait manipulé cette serrure disposait de véritables connaissances dans le domaine. Karim était stupéfait : pourquoi un pro serait-il venu cambrioler une école primaire, à Sarzac ? Il saisit un des registres, le feuilleta brièvement. Des listes de noms, des commentaires d’enseignants, des lettres administratives… Chaque volume correspondait à une année distincte. Le lieutenant se releva.

— Personne n’a rien entendu ?

La femme répondit :

— Vous savez, l’école n’est pas vraiment surveillée. Il y a bien une gardienne, mais franchement…

Karim observait toujours l’armoire vitrée, forcée en douceur.

— Vous pensez que l’effraction a eu lieu dans la nuit de samedi ou de dimanche ?

— N’importe quelle nuit, ou même la journée. Encore une fois, durant le week-end, notre petite école est un vrai moulin. Il n’y a rien à voler ici.

— Très bien, conclut-il. Il faudra que vous passiez au poste central, pour votre déposition.

— Vous êtes infiltré, non ?

— Pardon ?

La directrice observait Karim d’un œil attentif. Elle reprit :

— Je veux dire : votre habillement, votre allure. Vous vous mélangez aux gangs des cités et…

Karim éclata de rire.

— Les gangs ne courent pas les champs, par ici.

La directrice ignora la remarque et poursuivit, d’un ton expert :

— Je sais comment ça se passe. J’ai vu un documentaire là-dessus. Les types comme vous portent des vestes réversibles, marquées au sigle de la Police nationale et…

— Madame…, intervint Karim. Vraiment, vous surestimez votre petite ville.

Il tourna les talons et s’achemina vers la porte. La directrice le rattrapa :

— Vous ne relevez pas les indices ? Les empreintes ?

Karim rétorqua :

— Je crois que, compte tenu de la gravité de l’affaire, nous allons nous contenter de recueillir votre témoignage et d’effectuer un petit tour de piste dans le quartier.

La femme parut déçue. Elle regarda de nouveau Karim avec attention.

— Vous n’êtes pas de la région, n’est-ce pas ?

— Non.

— Qu’avez-vous fait pour vous retrouver ici ?

— C’est une longue histoire. Un de ces quatre, je repasserai peut-être pour vous la raconter.

Dehors, Karim rejoignit les policiers en uniforme qui fumaient dans leur poing serré, avec des regards traqués d’écoliers. Sélier jaillit du fourgon.

— Lieutenant, bon sang, y a un nouveau truc.

— Quoi ?

— Un aut’cambriolage. Depuis que j’suis là, j’ai jamais…

— Où ?

Sélier hésita, regarda ses collègues. Son souffle raclait sous ses moustaches.

— Je… Au cimetière. On est entré dans un caveau.

Les tombes et les croix se déployaient sur une pente légère, variant les gris et les verts, comme des ciselures de lichen brillant sous le soleil. Derrière la grille, le jeune Arabe respira le parfum de rosée et de fleurs fanées.

— Attendez-moi ici, marmonna-t-il à l’attention des flics.

Karim enfila des gants de latex en se disant que Sarzac se souviendrait longtemps d’un tel lundi.

Il était cette fois repassé à son studio pour prendre son équipement « scientifique » : un kit comprenant des poudres d’aluminium et de granit, des adhésifs et de la nynhidrine pour déceler les empreintes digitales latentes, ainsi que des élastomères pour mouler d’éventuelles traces de pas… Il était décidé à relever le moindre indice avec précaution.

Il suivit les allées de gravier rejoignant le caveau profané dont on lui avait indiqué l’emplacement. Un bref instant, il avait craint une véritable profanation, dans le goût de celles qui survenaient en France depuis plusieurs années, selon une mode macabre. Crânes de morts et macchabées mutilés. Mais non : tout était ici parfaitement en ordre. Les profanateurs n’avaient visiblement rien touché, excepté le caveau. Karim parvint au pied du bloc de granit : un monument en forme de chapelle.

La porte était seulement entrouverte. Il s’agenouilla et observa la serrure. Comme dans la petite école, les cambrioleurs avaient apporté un soin particulier à l’ouverture du sépulcre. Le policier caressa l’arête de la paroi et décida qu’il s’agissait, une nouvelle fois, de pros. Les mêmes ?

Il ouvrit plus largement la porte et tenta d’imaginer la scène. Pourquoi les intrus avaient-ils pris tant de précautions pour ouvrir une sépulture et étaient-ils repartis sans refermer la paroi ? Le lieutenant actionna plusieurs fois le pan de pierre et comprit : des gravillons s’étaient glissés sous l’arête et avaient fait jouer le chambranle. Impossible désormais de verrouiller le caveau. C’étaient ces petits éclats minéraux qui avaient trahi le passage des profanateurs.

Le flic scruta ensuite le système de goupillons de pierre qui composaient la serrure. Une structure spécifique, sans doute habituelle pour ce genre d’édifice, mais que seuls des spécialistes pouvaient connaître. Le policier réprima un frisson : des spécialistes ? Une nouvelle fois, Karim se demanda si c’était réellement la même équipe qui avait cambriolé l’école primaire et le cimetière. Quel pouvait être le lien entre ces deux intrusions ?

C’est la stèle qui lui livra un début de réponse. L’inscription funéraire indiquait : « Jude Itero. 23 mai 1972-14 août 1982 ». Karim réfléchit. Peut-être ce petit garçon avait-il suivi sa scolarité à l’école Jean Jaurès. Il regarda de nouveau la plaque funéraire : aucune épitaphe, aucune prière. Seul un petit cadre ovale, en argent vieilli, était cloué sur le marbre. Mais il n’y avait aucun portrait à l’intérieur.

— C’est un prénom de nana, non ?

Karim se retourna : Sélier se tenait debout, avec ses croquenots et son air effaré. Le lieutenant répondit du bout des lèvres :

— Non, c’est masculin.

— Mais c’est anglais ?

— Non, juif.

Sélier s’essuya le front.

— Bon sang, c’est une profanation comme à Carpentras ? Un truc d’extrême droite ?

Karim se releva et frotta l’une contre l’autre ses mains gantées.

— Non, je ne crois pas. Sois gentil. Va m’attendre au portail, avec les autres.

Sélier partit en maugréant, casquette relevée. Karim le regarda s’éloigner puis observa de nouveau la porte entrouverte.

Il se décida pour une petite plongée sous terre. Il s’avança, voûté sous la niche, tout en allumant sa torche. Il descendit les marches tandis que la poussière crissait sous ses pas. Il avait le sentiment de violer un tabou ancestral. Il songea qu’il n’avait aucune conviction religieuse et, sur l’instant, s’en félicita. Le faisceau halogène tranchait déjà l’obscurité. Karim avança encore puis s’arrêta net. Le petit cercueil de bois clair, posé sur deux tréteaux, se découpait dans le rai de sa torche.

La gorge sèche, Karim s’approcha et détailla le cercueil. Il mesurait environ un mètre soixante. Ses coins étaient surmontés de torsades, d’arabesques d’argent. L’ensemble paraissait en bon état, malgré les écoulements. Il palpa les jointures tout en songeant que, sans ses gants, jamais il n’aurait osé toucher ce cercueil. Il s’en voulait d’éprouver une telle crainte. A première vue, le couvercle n’avait pas été ouvert. Il carra sa lampe entre ses dents pour attaquer un examen plus approfondi des vis. Mais une voix résonna au-dessus de lui :