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— Qu’est-c’vous foutez là ?

Karim sursauta. Il ouvrit la bouche, sa lampe tomba, roula sur le bois du cercueil. Les ténèbres s’abattirent sur lui alors qu’il se retournait. Un homme se penchait — épaules basses et bonnet ras — par l’ouverture. Le Beur tâtonna, cherchant sa torche par terre. Il souffla :

— Police. Je suis lieutenant de police.

L’homme, en haut, ne dit rien, puis grogna soudain :

— Vous avez pas l’droit d’être ici.

Le policier éclaira le sol et revint vers les escaliers. Il fixa le gros type renfrogné, encadré par le rideau de clarté. Sans doute le gardien du cimetière. Karim savait qu’il était en infraction. Même dans un tel cas, il fallait une autorisation écrite, signée par la famille, ou un mandat spécifique pour pénétrer dans une sépulture. Il enjamba les marches et dit :

— Poussez-vous. Je remonte.

L’homme s’écarta. Karim but la lumière comme un élixir de vie. Il présenta sa carte tricolore et déclara :

— Karim Abdouf. Commissariat de Sarzac. C’est vous qui avez découvert la profanation ?

L’homme gardait le silence. Il scrutait l’Arabe de ses pupilles incolores : des bulles d’air dans de l’eau grise.

— Vous avez pas l’droit d’être ici.

Karim acquiesça distraitement. L’air matinal balayait son malaise.

— Ça va, mon vieux. Ne discutez pas. Les flics ont toujours raison.

Le vieux ourla ses lèvres hérissées d’échardes de barbe. Il puait l’alcool, la glaise humide. Karim reprit :

— OK, dites-moi ce que vous savez. A quelle heure avez-vous découvert ça ?

Le vieux soupira :

— J’suis venu à six heures. On a un enterrement, ce matin.

— La dernière fois que vous êtes passé, c’était quand ?

— Vendredi.

— On a donc pu ouvrir le caveau n’importe quand durant ce week-end ?

— Ouais. Sauf que je penche pour cette nuit même.

— Pourquoi ?

— Pas’qu’il a plu dimanche après-midi et qu’y a aucune trace d’humidité dans le caveau… La porte devait donc être encore fermée.

Karim demanda :

— Vous habitez près d’ici ?

— Personne n’habite près d’ici.

L’Arabe lança un regard circulaire sur le petit cimetière qui respirait le calme et la sérénité.

— Des trainards sont-ils déjà venus dans les parages ? reprit-il.

— Non.

— Jamais de visiteurs suspects ? Du vandalisme ? Des cérémonies occultes ?

— Non.

— Parlez-moi de cette tombe.

Le gardien cracha dans les graviers.

— Y a rien à en dire.

— Un caveau pour un seul enfant, c’est bizarre, non ?

— Ouais, c’est bizarre.

— Vous connaissez les parents ?

— Non. Jamais vu.

— En 1982, vous n’étiez pas là ?

— Non. Et le mec avant moi est mort. (L’homme ricana.) Faut bien qu’on y passe, nous aussi…

— Le caveau paraît entretenu.

— J’ai pas dit que personne venait. J’ai dit que je connaissais pas. J’ai l’expérience. Je sais à quelle vitesse s’usent les pierres. J’connais la durée de vie des fleurs, même quand elles sont en plastique. J’sais comment viennent les ronces, les mauvaises herbes, toutes ces saletés. J’peux dire qu’on vient souvent le soigner, c’caveau. Mais moi, j’ai jamais vu personne.

Karim réfléchit encore. Il s’agenouilla de nouveau et observa le petit cadre en forme de camée. Il s’adressa au gardien sans lever les yeux :

— J’ai l’impression que les pilleurs ont volé le portrait du môme.

— Ah ? P’t’être, ouais.

— Vous vous souvenez de son visage ? Du visage de l’enfant ?

— Non.

Karim se redressa et conclut, en retirant ses gants :

— Une équipe scientifique va venir dans la journée, pour relever les empreintes, les éventuels indices. Alors vous annulez la cérémonie de ce matin. Vous dites qu’il y a des travaux, un dégât des eaux, n’importe quoi. Je ne veux personne ici aujourd’hui, compris ? Et surtout pas de journalistes.

Le vieux fit oui de la tête, alors que Karim marchait déjà vers le portail.

Au loin, une cloche lancinante sonnait neuf heures.

9

Avant de gagner le commissariat et de rédiger son rapport, Karim opta pour un nouveau détour par l’établissement scolaire. Le soleil lançait maintenant des rais de cuivre sur les arêtes des maisons. Une nouvelle fois, le flic se dit que la journée allait être superbe, et cette pensée banale lui colla un haut-le-cœur.

Parvenu à l’école, il interrogea la directrice :

— Un petit garçon du nom de Jude Itero a-t-il suivi sa scolarité ici, dans les années quatre-vingt ?

La femme minauda, jouant avec les manches amples de son cardigan :

— Vous avez déjà une piste, inspecteur ?

— S’il vous plait, répondez-moi.

— Eh bien… il faudrait aller voir dans nos archives.

— Allons-y. Tout de suite.

La directrice emmena de nouveau Karim dans le petit bureau aux plantes vertes.

— Les années quatre-vingt, vous dites ? demanda-t-elle en passant un doigt le long des registres tassés derrière la vitre.

— 1982, 1981 et ainsi de suite, répondit Karim.

Soudain il perçut une hésitation chez la femme.

— Qu’est-ce qu’il y a ?

— C’est étrange. Je n’avais pas remarqué ce matin…

— Quoi ?

— Les registres… Ceux de 81 et 82… Ils ont disparu.

Karim écarta la femme et scruta la tranche des livres bruns, empilés à la verticale. Chaque livre portait la mention d’une année. 1979, 1980… Les deux suivants, en effet, manquaient.

— Dans ces bouquins, qu’est-ce qu’il y a exactement ? demanda Karim en feuilletant un des exemplaires.

— La composition des classes. Les remarques des enseignants. Ce sont les journaux de bord de l’école…

Il saisit le registre de 1980 et consulta la composition des classes.

— Si l’enfant avait huit ans en 1980, en quelle classe était-il ?

— Cours élémentaire 2. Ou même cours moyen 1.

Karim lut les listes correspondantes : pas de Jude Itero. Il demanda :

— Y a-t-il d’autres documents dans l’école qui concerneraient les classes des années 81 et 82 ?

La directrice réfléchit.

— Eh bien… Il faudrait voir là-haut… Les registres de cantine, par exemple. Ou les rapports des visites médicales. Tout est rangé sous les combles, suivez-moi. Personne n’y va jamais.

Ils montèrent quatre à quatre les escaliers recouverts de linoléum. La femme semblait surexcitée par toute cette affaire. Ils longèrent un couloir étroit et accédèrent à une porte en fer devant laquelle la directrice resta interdite.

— Ce… C’est incroyable, dit-elle. Cette porte a été forcée, elle aussi…

Karim observa la serrure. Ouverte, mais toujours avec précaution. Le policier fit quelques pas à l’intérieur. C’était une grande pièce mansardée sans fenêtre, à l’exception d’une lucarne grillagée. Sur des structures en ferraille, des liasses et des dossiers étaient entassés. L’odeur du papier sec et poussiéreux frappa Karim.