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— A quoi vous vous défoncez ?

L’homme crachait du sang.

— Qu… quoi ?

Karim enfonça encore le canon.

— Qu’est-ce que vous prenez pour vous déchirer ?

— Amphèt’… speed… colle…

— Quelle colle ?

— La Di… la Dissoplastine…

— La colle à rustine ?

Le tondu acquiesça sans comprendre.

— Où est-elle ? reprit Karim.

Le crâne rasé roulait des yeux injectés.

— Dans le sac poubelle, près du frigo…

— Tu bouges, je te tue.

Karim partit à reculons, balayant la salle du regard, braquant son arme à la fois sur le skin blessé et sur les silhouettes immobiles, qui lui tournaient le dos. De la main gauche, il retourna le sac : des milliers de pilules se répandirent à terre, ainsi que des tubes de colle. Il ramassa les tubes, les ouvrit et traversa la salle. Il dessina des serpentins visqueux sur le sol, juste derrière les skins acculés. Au passage, il leur balançait des coups de pied dans les jambes, dans les reins, tout en envoyant à bonne distance leurs couteaux et autres ustensiles.

— Tournez-vous.

Les crânes rasés traînaient des Docs.

— Vous allez faire des pompes à ma santé, les mecs. Vous aussi, les poufs. Et vous visez les traînées de colle.

Toutes les mains s’écrasèrent sur la Dissoplaste qui gicla entre les doigts serrés. A la troisième traction, les paumes étaient collées définitivement. Les skins se laissèrent tomber, poitrine contre le sol, se tordant les poignets en s’écrasant sur le bitume.

Karim rejoignit son premier adversaire. Il s’assit en tailleur, position du lotus, et inspira profondément pour se calmer. Sa voix se fit plus posée :

— Où étiez-vous hier soir ?

— C’est… c’est pas nous.

Karim dressa l’oreille. Il avait humilié les skins par bravade et posait maintenant ses questions pour la forme. Il était certain que ces connards n’avaient rien à voir avec la profanation du cimetière. Pourtant ce skin semblait déjà savoir. Le Beur se pencha :

— De quoi parles-tu ?

Le crâne rasé s’appuya sur un coude.

— Le cimetière… C’est pas nous.

— Comment es-tu au courant ?

— Nous… nous sommes passés là-bas…

Une idée surgit dans l’esprit de Karim. Crozier avait un témoin. Quelqu’un, ce matin, l’avait prévenu : les skins avaient rôdé près du cimetière et ils avaient été vus. Le commissaire l’avait donc envoyé au carton, sans rien lui dire. Karim réglerait ses comptes plus tard.

— Raconte-moi.

— On zonait dans ce coin-là…

— A quelle heure ?

— J’sais pas… Deux heures, p’t’être…

— Pourquoi ?

— J’sais pas… on voulait déconner… foutre la merde… On cherchait les baraquements des chantiers pour casser du crouille…

Karim frémit.

— Et alors ?

— On est passés près du cimetière… Putain… La grille était ouverte… On a vu des ombres… des mecs qui sortaient du caveau…

— Combien étaient-ils ?

— D… Deux, j’crois…

— Tu pourrais les décrire ?

Le blessé ricana.

— Mec, on était raides…

Karim lui donna une claque sur l’oreille broyée. Le skin étouffa un cri, qui s’acheva en un sifflement de serpent.

— Tu pourrais donner leur signalement ?

— Non ! C’était la nuit noire…

Karim réfléchit. Une certitude lui revint en tête, à propos des casseurs : des pros.

— Et ensuite ?

— Putain… Ça nous a foutu les j’tons… on s’est tirés… On s’est dit qu’on allait nous coller ça sur le dos… à… à cause de Carpentras…

— C’est tout ? Vous n’avez rien remarqué d’autre ? Un détail ?

— Non… rien… A deux heures du mat’, dans ce bled… c’est la mort…

Karim imagina la solitude de la petite route, avec l’unique réverbère, une griffe blanche au-dessus de la nuit envoûtant les papillons nocturnes. Et la bande de crânes rasés jouant des coudes, défoncés jusqu’aux yeux, hurlant des hymnes nazis. Il répéta :

— Réfléchis encore.

— Ce… C’est un peu plus tard… J’crois qu’on a vu une bagnole de l’Est, une Lada ou un truc dans l’genre, qui fonçait dans l’aut’sens… Elle v’nait du cimetière… Sur la D 143…

— Quelle couleur ?

— Bl… Blanche…

— Rien de particulier ?

— Elle… Elle était couverte de boue…

— Tu as relevé la plaque ?

— Putain… On est pas des flics, ducon, je…

Karim lui balança un coup de talon dans la rate. L’homme se tordit, émettant un gargouillis sanglant. Le lieutenant se releva et épousseta son jean. Il n’y avait plus rien à glaner ici. Il entendait les autres gémir derrière lui. Leurs mains étaient sans doute brûlées au troisième ou quatrième degré. Karim conclut :

— Tu vas gentiment aller au poste de Sarzac. Aujourd’hui. Pour signer ta déclaration. Dis que tu viens de ma part, tu auras un traitement de faveur.

Le skin acquiesça de sa tête pantelante, puis leva des yeux de bête terrassée.

— Pourquoi… pourquoi tu… fais ça, mec ?

— Pour que tu te souviennes, murmura Karim. Un flic, c’est toujours un problème. Mais un flic arabe, c’est un putain de sacré problème. Essaie encore de casser du crouille et tu feras connaissance avec le problème. (Karim lui balança un dernier coup de pied.) En profondeur.

Le Beur partit à reculons et récupéra son Glock 21 au passage.

Karim démarra en trombe et s’arrêta quelques kilomètres plus loin, dans un sous-bois, pour laisser le calme revenir dans ses veines et réfléchir. La profanation s’était donc déroulée avant deux heures du matin. Les pilleurs étaient deux et conduisaient — peut-être — une bagnole de l’Est. Il regarda sa montre : il avait juste le temps de consigner tout ça par écrit. L’enquête allait pouvoir démarrer sérieusement. Il fallait lancer un avis de recherche, appeler les cartes grises, interroger les gens qui vivaient le long de la D143…

Mais il avait déjà l’esprit ailleurs. Il s’était acquitté de sa mission. Crozier allait maintenant lui lâcher la bride. Il allait pouvoir mener l’investigation à sa façon : fouiner, par exemple, du côté d’un petit garçon, disparu en 1982.

11

« L’examen de la face antérieure du thorax révèle de longues entailles longitudinales, réalisées sans doute avec un instrument tranchant. Nous relevons également d’autres lacérations, effectuées avec le même instrument, sur les épaules, les bras… »

Le médecin légiste portait un treillis fripé et des petites lunettes. Il s’appelait Marc Costes. C’était un homme jeune, aux traits affûtés et aux yeux vagues. Au premier coup d’œil, il avait plu à Niémans, qui avait reconnu en lui un passionné, un véritable enquêteur, manquant sans doute d’expérience, mais certainement pas de rage. Il lisait son rapport d’une voix méthodique :

« … Multiples brûlures : sur le torse, les épaules, les flancs, les bras. Nous comptons environ vingt-cinq traces de ce type, dont de nombreuses se confondant avec les entailles précédemment décrites… »

Niémans intervint :

— Qu’est-ce que ça veut dire ?

Le docteur leva un regard timide au-dessus de ses lunettes.

— Je pense que le tueur cautérisait les plaies au feu. Il semble avoir aspergé les blessures avec de faibles quantités d’essence pour les enflammer ensuite. Je dirais qu’il a utilisé un aérosol trafiqué, peut-être un Karcher.