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Niémans demanda pourtant à l’ingénieur d’élargir la recherche au dimanche matin, puis au dimanche après-midi. Aucun orage, aucune averse. Il fit développer l’investigation à un rayon de cent kilomètres. Rien. Deux cents kilomètres. Toujours rien. Le commissaire frappa le bureau.

— Ce n’est pas possible, rumina-t-il. Il a plu quelque part, j’en ai la preuve. Au creux d’une vallée. Au sommet d’une colline. Quelque part, dans les alentours, il y a eu un orage.

Le météorologiste haussa les épaules, en cliquant sur sa souris, tandis que des ombres irisées, des tracés ondulés, des spirales légères voyageaient sur l’écran, au-dessus d’une carte des montagnes, remontant ainsi la genèse d’une journée pure et sans nuages, au cœur de l’Isère.

— Il doit y avoir une explication, marmonna Niémans. Bon sang, je…

Son téléphone cellulaire sonna.

— Monsieur le commissaire ? Alain Derteaux à l’appareil. J’ai réfléchi à votre histoire de lignite. J’ai moi-même mené ma petite enquête. Je suis désolé, mais je me suis trompé.

— Trompé ?

— Oui. Il est impossible qu’une pluie d’une telle acidité soit tombée ici durant le week-end. Ni même à n’importe quel autre moment.

— Pourquoi ?

— Je me suis renseigné sur les industries de la lignite. Même dans les pays de l’Est, les cheminées qui brûlent ce combustible portent aujourd’hui des filtres spécifiques. Ou bien alors les minerais sont désulfurisés. Bref, cette pollution a beaucoup baissé depuis les années soixante. Des pluies aussi polluantes ne tombent plus nulle part depuis trente-cinq ans. Heureusement ! Je vous ai induit en erreur : excusez-moi.

Niémans gardait le silence. L’écologiste reprit, sur un ton incrédule :

— Vous êtes sûr que votre corps porte ces traces d’eau ?

— Certain, répliqua Niémans.

— Alors c’est incroyable, mais votre cadavre provient du passé. Il a essuyé une pluie qui est tombée voici plus de trente ans et…

Le policier raccrocha en esquissant un vague « au revoir ».

Les épaules lasses, il regagna sa voiture. Un bref instant il avait cru tenir une piste. Mais elle s’était diluée entre ses mains, comme cette eau chargée d’acidité, qui aboutissait à une complète absurdité.

Niémans leva une dernière fois les yeux vers l’horizon.

Le soleil dardait maintenant ses rayons transversaux, auréolant les arabesques ouatées des nuages. L’éclat de la lumière venait ricocher sur les cimes du Grand Pic de Belledonne, se réfractant sur les neiges éternelles. Comment avait-il pu, lui, un policier de métier, un homme rationnel, croire un instant que quelques nuages allaient lui indiquer la direction du lieu du crime ?

Comment avait-il pu…

Soudain il ouvrit les bras en direction du paysage flamboyant, imitant le geste de Fanny Ferreira, la jeune alpiniste. Il venait de comprendre où Rémy Caillois avait été tué. Il venait de saisir où l’on pouvait trouver de l’eau qui datait de plus de trente-cinq années.

Ce n’était pas sur la terre.

Ce n’était pas dans le ciel.

C’était dans les glaces.

Rémy Caillois avait été tué bien au-dessus de deux mille mètres de hauteur. Il avait été exécuté dans les glaciers, à trois mille mètres d’altitude. Là où les pluies de chaque année se cristallisent et demeurent dans l’éternité transparente de la glace.

Tel était le lieu du crime. Et ça, c’était du concret.

17

Treize heures. Karim Abdouf pénétra dans le bureau d’Henri Crozier et posa son rapport face à lui. L’homme, concentré sur une lettre qu’il écrivait, ne jeta pas un regard sur la liasse et demanda :

— Alors ?

— Les skins n’ont pas fait le coup, mais ils ont aperçu deux silhouettes sortir du caveau. Cette nuit même.

— Ils t’ont donné leur signalement ?

— Non. Il faisait trop sombre.

Crozier daigna lever les yeux.

— Ils mentent peut-être.

— Ils ne mentent pas. Et ce ne sont pas eux qui ont profané la tombe.

Karim se tut. Le silence s’étira entre les deux hommes. Le lieutenant reprit :

— Vous aviez un témoin, commissaire. (Il braqua son index sur l’homme assis.) Vous aviez un témoin et vous ne me l’avez pas dit. « On » vous a averti que les skins avaient rôdé près du cimetière, cette nuit, et vous en avez conclu que c’étaient eux les coupables. Mais la réalité est plus complexe. Et si vous m’aviez laissé interroger votre témoin, je…

Crozier leva lentement la main, en signe d’apaisement.

— Calme-toi, petit. Les gens d’ici se confient aux anciens. A ceux de leur ville. On ne t’aurait jamais dit le dixième de ce qu’on est venu me déballer, spontanément. C’est tout ce que t’ont révélé les tondus ?

Karim contempla les affiches à la gloire des « agents de la paix ». Sur un des meubles de fer brillaient les coupes que Crozier avait gagnées dans différents concours de tir. Il déclara :

— Les skins ont vu aussi une bagnole blanche partir de ce coin-là aux environs de deux heures du matin. Elle filait sur la D 143.

— Quel genre de bagnole ?

— Une Lada. Ou une autre marque de l’Est. Il faut mettre quelqu’un là-dessus. Les bagnoles de ce type ne doivent pas courir la région et…

— Pourquoi pas toi ?

— Commissaire, vous savez ce que je veux. J’ai interrogé les skins. Maintenant, je veux fouiller le caveau en profondeur.

— Le gardien m’a dit que tu étais déjà entré à l’intérieur.

Karim ignora la remarque.

— Où en est l’enquête, au cimetière ?

— Le zéro absolu. Aucune empreinte digitale. Pas le moindre indice. Nous allons étendre le ratissage aux alentours. S’il s’agit de vandales, ils ont pris de sacrées précautions.

— Ce ne sont pas des vandales. Ce sont des professionnels. En tout cas, des mecs qui savaient ce qu’ils cherchaient. Ce caveau abrite un secret, qu’ils sont venus percer. Vous avez prévenu la famille ? Que disent les parents ? Seraient-ils d’accord pour que nous…

Karim s’arrêta. La trogne de Crozier exprimait un malaise. Le lieutenant plaqua ses deux mains sur le bureau et attendit la réponse du commissaire. L’homme murmura :

— Nous n’avons pas retrouvé la famille. Personne de ce nom dans la ville. Ni dans les communes du département.

— Les obsèques datent de 1982, il y a forcément des documents, de la paperasse.

— Pour l’instant, nous n’avons rien.

— Le certificat de décès ?

— Pas de certificat de décès. Pas à Sarzac.

Le visage de Karim s’éclaira. Il pivota et esquissa quelques pas.

— Il y a un problème avec cette sépulture, avec ce môme. J’en suis sûr. Et ce problème est lié au cambriolage de l’école primaire.

— Karim, tu as trop d’imagination. Il existe mille façons d’expliquer ce mystère. Le petit Jude est peut-être mort dans un accident de la route. Il a peut-être été hospitalisé dans une ville voisine et enterré ici, parce que c’était la solution la plus pratique. Peut-être que sa mère vit toujours ici, mais qu’elle ne porte pas le même nom. Peut-être…