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Le fossoyeur hurla et lâcha son fusil. Lorsqu’il releva les yeux, ce fut pour découvrir l’orifice noir de l’automatique, pointé à quelques centimètres de son front.

— Écoute-moi, connard, souffla Karim. J’ai besoin d’informations. Tu réponds à mes questions et je me casse, sans histoire. Tu joues au con, et ça devient compliqué. Très compliqué. Surtout pour toi. Alors tu marches ?

Le gardien acquiesça, les yeux hors de la tête. Toute agressivité s’était envolée de son visage, au profit d’une rougeur d’âtre. C’était le « rouge panique » que Karim connaissait bien. Il serra encore la gorge fripée.

— Sylvain Hérault. Août 1980. Incinéré. Raconte.

— Hérault ? balbutia le fossoyeur. Connais pas.

Karim l’attira à lui et le poussa de nouveau contre l’arête du mur. Le gardien grimaça. Du sang éclaboussa la pierre, au niveau de sa nuque. La panique avait contaminé les niches. Des pigeons voletaient maintenant en tous sens, prisonniers des grillages. Le flic susurra :

— Sylvain Hérault. Sa femme est très grande. Brune. Frisée. Des lunettes. Et très belle. Comme sa petite fille. Réfléchis.

Le baveux hocha la tête en petits mouvements nerveux.

— D’accord, j’me souviens… c’était un enterrement très bizarre… Y avait personne.

— Comment ça : personne ?

— C’est comme j’te l’dis : même la bonne femme, elle est pas venue. Elle m’a payé d’avance, pour l’incinération, et on l’a jamais plus revue à Guernon. J’ai brûlé le corps. Je… J’étais tout seul.

— L’homme : de quoi est-il mort ?

— Un… un accident… Un accident de voiture.

Le Beur se souvenait de l’autoroute et des photographies atroces du corps de l’enfant. La violence de la route : un nouveau leitmotiv, un nouvel élément récurrent. Abdouf avait relâché sa prise. Des pigeons tournoyaient en vrilles, se déchirant contre les mailles du toit.

— Je veux les circonstances. Qu’est-ce que tu sais là-dessus ?

— Y… Y s’est fait écraser par un chauffard, sur la départementale qui mène au Belledonne. Il était à vélo… Il allait au boulot… Le conducteur devait être un mec bourré… Je…

— Il y a eu une enquête ?

— Je ne sais pas… En tout cas, on n’a jamais su qui c’était… On a retrouvé le corps sur la route, complètement écrabouillé.

Karim était déconcerté.

— Tu dis qu’il allait au boulot ; quel genre de boulot ?

— Il bossait dans les villages d’altitude. Il était cristallier…

— Qu’est-ce que c’est ?

— Les mecs qui vont chercher des cristaux précieux, en haut des cimes… Y paraît qu’c’était le meilleur, mais y prenait de sacrés risques…

Karim changea de cap :

— Pourquoi personne de Guernon n’est-il venu à l’enterrement ?

L’homme se massait le cou, brûlé comme celui d’un pendu. Il jetait des regards effarés vers ses pigeons blessés.

— C’étaient des nouveaux… Y v’naient d’un autre bled… Taverlay… Dans les montagnes… Personne n’aurait eu l’idée d’aller à c’t’enterrement. Y avait personne, j’te dis !

Karim posa sa dernière question :

— Il y a un bouquet de fleurs devant la porte de l’urne : qui vient les déposer ?

Le gardien roulait des yeux traqués. Un oiseau moribond tomba sur ses épaules. Il réprima un cri puis balbutia :

— Y a toujours des fleurs devant…

— Qui vient les déposer ? répéta Karim. Est-ce une femme très grande ? Une femme avec une tignasse noire ? Est-ce Fabienne Hérault elle-même ?

Le vieux nia énergiquement.

— Alors qui ?

Le baveux hésita, comme redoutant de prononcer les mots qui frémissaient sur ses lèvres dans un fil de salive. Les plumes planaient comme une neige grise. Il murmura enfin :

— C’est Sophie… Sophie Caillois.

Le flic fut comme ébloui. Soudain, devant lui, un nouveau lien se tendait entre les deux affaires. Un putain de garrot qui se serrait à lui faire éclater le cœur. Il demanda, à quelques millimètres de l’homme :

— QUI ?

— Ouais…, hoqueta-t-il. La… La femme de Rémy Caillois. Elle vient chaque semaine. Des fois même plusieurs fois… Quand j’ai appris l’meurtre, à la radio, j’voulais l’dire aux gendarmes… J’vous jure… J’voulais donner l’renseignement… Ça a peut-être un rapport avec le crime… Je…

Karim balança le vieux dans ses grillages et sa poulaille. Il poussa le portail de fer et courut à sa voiture. Son cœur battait comme un gong.

42

Karim roula jusqu’à l’édifice central de l’université. Il repéra aussitôt le policier qui surveillait l’entrée principale. Sans doute l’officier chargé de surveiller Sophie Caillois. Il poursuivit sa route, mine de rien, contourna le bâtiment et découvrit une entrée annexe : deux portes vitrées obscures, sous un auvent de béton ébréché, plus ou moins rafistolé avec une bâche plastique. Le flic stoppa sa voiture à cent mètres de là et consulta le plan de l’université, qu’il était passé prendre au QG de Niémans — un plan annoté où était indiqué l’appartement des Caillois : le n° 34.

Il sortit sous la pluie et marcha vers les portes. Il joignit ses mains sur ses tempes et les plaqua contre la vitre afin de regarder à l’intérieur. Les portes étaient verrouillées entre elles par un antivol de moto, un vieux modèle en forme d’arceau. La pluie redoublait et frappait la bâche selon un rythme techno tonitruant. Un tel bruit coupait court à tout complexe en matière d’effraction. Karim recula et brisa la vitre d’un grand coup de talon.

Il s’engouffra dans un étroit couloir, puis découvrit un hall immense et sombre. D’un coup d’œil à travers les vitres, il aperçut encore le planton, qui grelottait dehors. Il se glissa dans la cage d’escalier, sur sa droite, puis gravit les marches quatre à quatre. Les veilleuses de secours lui permettaient de se diriger sans allumer les néons. Karim s’efforçait de ne faire résonner ni les marches suspendues ni les lames de métal verticales qui se dressaient au centre de la cage.

Au huitième étage, occupé par les chambres des internes, le silence régnait. Karim s’engagea le long du couloir, toujours guidé par le plan annoté de Niémans. Il avança et discerna des noms griffonnés au-dessus des sonnettes. Il percevait sous ses pas l’indolence des plaques de linoléum.

Même à une heure du matin il se serait attendu ici à entendre de la musique, une radio, n’importe quoi qui évoquât les solitudes confinées des internes. Mais non, rien. Peut-être que les étudiants se terraient dans leur piaule, pétrifiés à l’idée que le tueur vienne leur arracher les yeux. Karim avança encore. Enfin, il découvrit la porte qu’il cherchait. Il hésita à utiliser la sonnette, puis frappa d’un coup léger sur la paroi de bois.

Aucune réponse.

Il frappa de nouveau, toujours en douceur. Pas de réponse. Aucun bruit à l’intérieur. Pas le moindre frémissement. Bizarre : la présence de la sentinelle, en bas, induisait que Sophie Caillois était chez elle.

Mû par un réflexe, Karim dégaina son Glock et scruta les serrures. La porte n’était pas verrouillée. Le flic enfila ses gants de latex et sortit un éventail de tiges en polymère. Il glissa l’une d’entre elles sous le pêne de la serrure principale et exerça en même temps une poussée contre la porte, tout en la tirant vers le haut. Elle s’ouvrit en quelques secondes. Karim entra, sans faire plus de bruit qu’un souffle.