Francis Carsac
LES ROBINSONS DU COSMOS
Science Fiction
NOUVELLES ÉDITIONS OSWALD (NéO), coll. Fantastique/SF/Aventure n° 209, dépôt légaclass="underline" mai 1988
192 pages, catégorie/prix: nd, ISBN: 2-7304-0493-7
AVERTISSEMENT
Les personnages de ce récit sont fictifs, toute ressemblance de nom ou de caractère avec des personnes actuellement vivantes, serait pure coïncidence.
PROLOGUE
Je n’entreprendrai pas ici l’histoire du cataclysme, ni celle de la conquête de Tellus. Tout cela vous le trouverez, étudié en détail, dans les ouvrages de mon frère. Je veux simplement raconter ma propre vie. Vous tous, qui descendez de moi ou de mes compagnons et vivez sur ce monde, le vôtre par droit de naissance vous aimerez peut-être connaître les impressions et les luttes d’un homme, né sur un autre monde, et qui fut transporté ici par un phénomène sans précédent et encore mal expliqué, et qui désespéra presque avant de comprendre quelle magnifique aventure s’offrait à lui.
Pourquoi écrire ce livre ? Peu d’entre vous, sans doute, le liront. Vous en connaissez l’essentiel. Aussi est-ce surtout pour les âges futurs que j’écris. Je me souviens que sur cette Terre qui vous est inconnue, et gît dans quelque coin ignoré de l’Espace, la curiosité des historiens s’attachait aux témoignages des hommes des temps passés. Quand cinq ou six cents ans se seront écoulés, ce livre aura l’intérêt d’être la relation d’un témoin oculaire du Grand Commencement.
À l’époque où débute mon récit, je n’étais pas le vieillard courbé et un peu radoteur que je suis. J’avais alors vingt-trois ans, il y a soixante ans de cela ! Soixante ans qui ont glissé comme une onde rapide. Je sais que je baisse: mes mouvements n’ont plus la précision d’autre fois, je suis vite fatigué et je n’aime plus grand-chose, sauf mes enfants et petits-enfants, encore un peu la géologie, et me chauffer au soleil — aux soleils, plutôt, puisqu’il y en a deux qui vous éclairent. Aussi je me hâte de dicter à mon petit-fils Pierre — mes mains tremblent trop pour écrire — l’histoire irremplaçable et unique d’une destinée humaine. Je m’aide pour cela du journal que j’ai tenu tout au long de ma vie, et que je détruirai, une fois ma tâche finie. Tout ce qui importe sera dit ici. Pour le reste, je ne me soucie guère de livrer à la curiosité parfois un peu sadique des historiens ce qui fut mes humbles joies et mes peines.
Tout en dictant, je regarde par la fenêtre les blés onduler sous le vent, et il me semble un moment être revenu sur ma Terre natale, jusqu’au moment où je m’aperçois que les arbres ont deux ombres …
PREMIÈRE PARTIE
LE CATACLYSME
CHAPITRE I
LES SIGNES PRÉCURSEURS
Qui je suis, d’abord. Pour vous, mes descendants immédiats, les précisions sont inutiles. Mais bientôt vos enfants, puis les enfants de vos enfants oublieront même que j’ai un jour existé. Combien peu de chose je sais sur mon propre grand-père !
Ce mois de juillet 1985, j’achevais ma première année comme assistant au laboratoire de Géologie de la Faculté des sciences de Bordeaux, une ville de la Terre. J’avais alors vingt-trois ans, et, sans être beau, j’étais un jeune homme bien planté. Si ma taille, réduite par l’âge, fait piètre figure dans ce monde de jeunes géants, sur Terre mes 1 m 83 et ma carrure en imposaient. Pour vous, 1 m 83 n’est qu’une taille moyenne ! Si vous voulez connaître mon aspect, regardez mon premier petit-fils Jean. Comme lui, j’étais brun, avec un grand nez, de grandes mains et des yeux verts.
J’avais été très heureux de ma nomination. Je revenais ainsi dans le même laboratoire où j’avais, quelques années avant, dessiné mes premiers fossiles. Je m’amusais désormais des erreurs que commettaient les étudiants, en confondant deux formes voisines qui, pour un œil exercé, se différenciaient immédiatement.
Juillet était donc arrivé. Les examens étaient terminés, et je me préparais à aller, avec mon frère Paul, passer quelques vacances chez notre oncle Pierre Bournat, directeur de l’observatoire nouvellement construit dans les Alpes, dont le miroir géant de 5 m 50 d’ouverture allait permettre aux astronomes français de lutter à armes égales avec leurs collègues américains. Mon oncle devait être assisté dans ses travaux par son second, Robert Ménard, quadragénaire prodigieusement savant et effacé, et par une armée d’astronomes, de calculateurs et de techniciens qui n’étaient pas encore arrivés, ou se trouvaient en mission ou en congé, quand se produisit le cataclysme. Il n’avait auprès de lui, en ce moment, outre Ménard, que ses deux élèves Michel et Martine Sauvage, que je ne connaissais pas encore. Michel est mort, maintenant, depuis six ans, et Martine, votre grand-mère, m’a quitté il y a seulement trois mois, comme vous le savez. À cette époque, j’étais loin de me douter des sentiments qui m’uniraient un jour à eux. À vrai dire, de tempérament plutôt solitaire, et satisfait de la compagnie de mon oncle et de mon frère — Ménard ne comptait pas —, je les considérais comme des gêneurs, malgré, ou plutôt à cause de leur jeunesse: Michel avait alors trente ans, et Martine vingt-deux.
Ce fut exactement le 12 juillet 1985, à seize heures, que j’eus connaissance des premiers signes avant-coureurs du cataclysme. J’achevais mes valises quand on sonna à la porte. J’ouvris, et me trouvai en présence de mon cousin Bernard Verilhac, géologue comme moi. Trois ans plus tôt, il avait fait partie de la première expédition internationale Terre-Mars. Il était reparti l’année précédente.
« D’où viens-tu, cette fois ? Lui demandai-je.
— Nous avons fait un petit tour circulaire, sans escale, au-delà de l’orbite de Neptune. Comme une comète.
— Ça a marché ?
— Bien sûr ! Nous avons pris des tas de photos extraordinaires. Mais le retour a été dur.
— Accident ?
— Non. Nous avons dévié. Selon le navigateur, tout se passe comme si une énorme masse matérielle, mais invisible, s’était glissée dans le système solaire. »
Il consulta sa montre.
« 16 h 20. Il faut que je te quitte. Bonnes vacances ! Quand viendras-tu avec nous ? Prochain objectif: les satellites de Jupiter. Et, tu sais, il y aura du travail pour deux géologues — et même plus ! Tu auras là un beau sujet de thèse, assez neuf, je crois. Nous en reparlerons. J’ai l’intention de passer voir ton oncle cet été. »
La porte se referma sur lui. Je ne devais jamais plus le revoir. Cher vieux Bernard ! Il est certainement mort. Il aurait quatre-vingt-seize ans maintenant. S’il avait su ce qui devait m’arriver, il ne m’eût certes pas quitté !
Nous prîmes le train, mon frère et moi, le soir même. Vers seize heures le lendemain, nous arrivâmes à la gare de … peu importe le nom, que je n’ai pas noté, et que je ne retrouve pas dans ma mémoire. C’était une insignifiante petite gare. Nous étions attendus. Appuyé à une auto, un grand jeune homme blond, plus grand que moi, nous fit signe. Il se présenta: