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À environ deux cents mètres émergea une énorme tête plate, longue de plus de dix mètres, fendue par une immense gueule aux dents pointues et blanches. Le nouvel arrivant se précipita sur un premier calmar, et le coupa en deux. Puis ce fut, entre lui, flanqué de deux de ses congénères accourus à la curée, et les calmars, un combat farouche dont je serais bien en peine de dire s’il dura une heure ou une minute ! La mer se calma, et il ne resta rien que des tronçons de bras flottant à la dérive. Il nous fallut plus de dix minutes pour nous rendre compte que nous étions sauvés. Alors, à pleine vitesse, nous fonçâmes droit au nord.

Au soir nous avions en vue, par bâbord, un archipel de récifs escarpés, dressant contre le couchant des silhouettes ruiniformes. Nous nous approchâmes prudemment. Nous n’en étions plus qu’à quelques encablures quand nous aperçûmes un grouillement suspect entre deux rochers denticulés. Une minute plus tard, nous reconnûmes une bande de calmars, et, la barre à tribord et vitesse toute, nous les laissâmes derrière nous.

La nuit, très claire, nous permit d’avancer assez vite. Nous frôlâmes un calmar isolé, endormi, qui fut pulvérisé d’une salve de fusées. Au matin, nous étions en vue d’une île.

O’Hara monta sur la dunette, apportant la carte qu’il avait dressée d’après les photos à l’infrarouge prises de l’avion. Il nous fut possible d’identifier l’île qui était devant nous avec une terre très allongée, orientée est-ouest, qui se plaçait entre le continent équatorial, d’où nous venions, et le continent boréal. La photo, prise de très haut, ne donnait guère de détails, mais on pouvait distinguer une chaîne axiale et de grandes forêts. Au nord-est, au-delà d’un large détroit, on apercevait la pointe d’une autre terre. Je décidai de toucher la pointe est de la première île, la pointe ouest de la seconde et la grosse péninsule au sud du continent boréal.

Nous longeâmes la côte sud de la première île. Elle était rocheuse, abrupte et inhospitalière. Les montagnes ne semblaient pas très élevées. À la fin du jour, parvenus à la pointe est, nous jetâmes l’ancre dans une petite baie.

À l’aube rouge, le rivage se dessina, plat et monotone, avec quelque végétation. Au lever d’Hélios, nous vîmes plus clairement une savane qui venait mourir dans la mer par une étroite plage de sable blanc. Nous approchâmes à la sonde et fîmes cette heureuse découverte que la plage se terminait par un à-pic, de sorte que la côte n’était qu’à quelques mètres de distance de fonds de 10 brasses. Il nous fut facile de poser le pont volant et de débarquer la voiture. Dans celle-ci, où nous avions remplacé le lance-fusées par une des mitrailleuses de l’avion, plus maniable, prirent place Michel, Wilkins et Jeans. Ce ne fut pas sans appréhension que je les vis disparaître en haut d’une pente. Les herbes couchées gardaient la trace de l’auto, ce qui rendrait, le cas échéant, leur recherche plus aisée. Sous la protection des armes du bord, je descendis à terre et visitai les environs. Je pus recueillir, dans les herbes, une dizaine d’espèces différentes de curieux « insectes » telluriens. Des traces de pas indiquaient la présence d’une faune plus volumineuse. Deux heures plus tard, un ronflement annonça le retour de la camionnette. Michel en descendit, seul.

« Où sont les autres ?

— Restés là-bas.

— Où ça, là-bas ?

— Viens, tu verras. Nous avons fait une trouvaille.

— Quoi donc ?

— Tu verras. »

Intrigué, je passai le commandement à Smith et pris place dans l’auto. La savane ondulait, coupée de bosquets. Près d’un de ceux-ci errait un troupeau d’animaux ressemblant à des Goliaths, mais sans cornes. Après une heure de route environ, je vis une table rocheuse, haute de quelques mètres, et, debout sur elle, Jeans. Michel stoppa juste au pied. Nous descendîmes, et, de l’autre côté, entrâmes dans un abri sous roche.

« Que penses-tu de cela ? » me demanda Michel.

Sur la paroi une série de signes étaient gravés, signes ressemblant curieusement à des caractères sanscrits. Je pensai d’abord à une plaisanterie, mais la patine de la pierre me convainquit vite de mon erreur. Il pouvait y avoir trois ou quatre cents signes.

« Ce n’est pas tout. Viens voir.

— Attends que je prenne une arme. »

Mitraillette en main, nous repartîmes. À deux cents mètres de là, le sol plongeait dans une vallée morte, au fond de laquelle s’étalait un amoncellement de plaques de métal, de poutres tordues, qui avait gardé une allure générale fusoïde. Wilkins rôdait parmi les débris.

« Qu’est-ce que c’est ? Un avion ?

— Peut-être. Mais pas terrestre, à coup sûr ! »

Je m’approchai, et pénétrai dans l’enchevêtrement des épaves. Les tôles plongeaient dans le sable ruisselé. Elles étaient d’un métal jaunâtre, que je ne reconnus pas, mais que Wilkins assura être un alliage d’aluminium.

L’ingénieur me laissa gratter à la base des plaques, et se dirigea vers la pointe de l’amas. Nous l’entendîmes pousser une exclamation, puis appeler. L’étrange engin était moins endommagé à cet endroit, et avait gardé sa forme de pointe de cigare. Dans une cloison intacte s’ouvrait une porte sans huis. Une demi-obscurité régnait dans la cabine tronconique où nous pénétrâmes, et au début je ne pus rien voir, que la silhouette imprécise de mes deux compagnons. Puis, mes yeux s’habituant à la pénombre, je distinguai une sorte de tableau de bord, avec des signes semblables à ceux de l’inscription, des sièges métalliques étroits, des câbles de cuivre rompus et pendants et, crispée sur un levier de métal blanc, une main momifiée. Énorme, noire, encore musculeuse malgré son dessèchement, elle n’avait que quatre doigts munis de griffes qui avaient dû être rétractiles. Le poignet était déchiqueté.

Instinctivement, nous saluâmes. Depuis combien de temps cette main, crispée dans une ultime manœuvre, se momifiait-elle sur cette île perdue ? Quel était l’être qui avait piloté cet engin ? Venait-il d’une autre planète du système d’Hélios, d’une autre étoile, ou avait-il été, comme nous, fauché hors de son propre univers ? Toutes questions dont nous ne devions, bien plus tard, trouver qu’une réponse incomplète.

Nous fouillâmes dans les débris de l’appareil jusqu’au soir. Nos trouvailles furent médiocres. Quelques objets de métaclass="underline" boîtes vides, fragments d’instruments, un livre aux pages d’aluminium, sans aucune illustration, hélas ! un marteau de forme très terrestre. À l’arrière, où avaient dû se placer les moteurs, des blocs rouillés informes, et, dans un tube de plomb épais, un fragment de métal blanc qui, analysé à New-Washington, se révéla être de l’uranium.