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Nous fûmes aussi des explorateurs. Le restant de ma vie s’est passé à établir des cartes, géologiques ou topographiques, seul ou avec mes deux collègues américains, puis bientôt avec les trois aînés de mes sept fils, Bernard, Jacques et Martin. J’ai survolé toute la planète, navigué sur bien des océans, et foulé maintes îles et continents. Les grandes découvertes ! Mais avec un matériel dont jamais Colomb ni Vasco de Gama n’auraient osé rêver ! J’ai étouffé à l’Équateur, sous 60 degrés de chaleur, gelé aux Pôles, combattu des Sswis rouges, noirs ou jaunes, ou fait alliance avec eux, affronté les calmars et les hydres, non sans une peur terrible. Et toujours Michel m’accompagna, et Martine m’attendit, quelquefois pendant des mois. Je ne veux pas m’attribuer la gloire de toutes ces découvertes. Elles auraient été impossibles sans le courage et l’intelligence des matelots ou des aviateurs qui vinrent avec moi. Michel me fut incomparablement précieux, et sans le dévouement de ma femme, je n’aurais pas résisté à la terrible fièvre des marais qui me tint au lit pendant six mois, au retour de ma troisième exploration. Martine m’accompagna trois fois, partageant, comme toujours, les ennuis et les dangers sans se plaindre.

Et je ne fus pas le seul. La passion des découvertes s’était emparée de nous tous. Que dire de l’exploit de Paul Bringer et Nathaniel Hawthome, partis en auto vers le sud, et qui firent le tour du « Vieux Continent », perdirent leur voiture à plus de sept mille kilomètres de la Nouvelle-France, et revinrent à pied, au milieu des Goliaths, des tigrosaures et des indigènes hostiles ? Que dire de l’aventure du capitaine Unset, beau-frère de Michel, qui, avec son fils Eric et treize hommes, fit le premier tour du monde à bord du Téméraire, en sept mois et vingt jours ?

Vingt ans après notre première visite, je revis, avec Michel, l’île Mystère. Rien n’avait changé. La terre avait simplement un peu plus recouvert l’étrange épave. Entrant à nouveau dans la cabine où se trouvait encore la main momifiée, nous vîmes la trace de nos pas, restée à l’abri des intempéries. Au retour, nous visitâmes la cité des catapultes. Nous avions emmené cette fois le fils de Vzlik, Ssiou, qui put entrer en rapport avec les Sswis rouges qui connaissaient l’acier. Le chef nous fit voir les hauts fourneaux rudimentaires où ils le fabriquaient. Il consentit à nous dire la légende. Il y avait plus de 500 ans telluriens, trois êtres étranges étaient arrivés dans une barque « qui marchait toute seule » sur une grève située au sud de la cité actuelle. Attaqués, ils s’étaient défendus « en lançant des flammes ». Non point, précisa le chef, « des flèches courtes qui font boum », comme nous, mais de longues flammes bleues. Quelques jours plus tard, ils avaient été surpris endormis, et faits prisonniers. Il y avait eu dans la tribu une violente dispute à leur sujet, pour un motif oublié, et la moitié des Sswis rouges était partie vers le nord. De ceux-ci descendaient les tribus de Vzlik. Les étrangers avaient appris la langue et avaient montré aux Sswis à fondre le métal. Deux fois ils avaient sauvé la tribu affaiblie de l’attaque des Slwips « en lançant des flammes ». Ils semblaient attendre quelque chose venant du ciel. Puis ils étaient morts, non sans avoir écrit tout un long livre qui restait comme un dépôt sacré dans la grotte-temple, avec des objets leur ayant appartenu. J’essayai de me faire décrire les étrangers. Le chef ne le put, mais nous mena au temple. Là, un très vieux Sswi nous montra des peintures rupestres: il y avait trois silhouettes peintes en noir, bipèdes, avec une tête et un corps analogues aux nôtres, mais de très longs bras pendant presque jusqu’au sol, et un seul œil bien dessiné placé au milieu du front. En les comparant aux Sswis représentés à côté d’eux, j’évaluai leur taille à deux mètres cinquante. Nous demandâmes à voir les objets: il y avait trois livres en métal, semblables à celui que nous avions trouvé sur l’île Mystère, quelques outils plus compréhensibles, et les restes des armes « qui lançaient les flammes ». C’étaient trois tubes de 70 centimètres de long, élargis à un bout, et plaqués intérieurement de platine. Un filetage à l’autre bout devait se raccorder à une partie disparue. Probablement les êtres ne s’étaient pas souciés de laisser une arme trop puissante entre les mains de sauvages. Enfin nous vîmes le livre, fait de parchemin, épais d’environ cinq cents feuilles, couvert des mêmes signes que ceux des livres en métal. Comme je me lamentais à l’idée que nul ne saurait jamais ce qu’il contenait, le vieux Sswi affirma qu’il était écrit en sa langue, et qu’il savait le lire. Après maintes réticences, il le prit, et, le tenant probablement à l’envers, commença à réciter:

« Tilir, Tilir, Tilir ! À ceux qui viendront trop tard, salut ! Nous avons espéré jusqu’au bout. Maintenant, deux sont morts. Nous ne reverrons jamais Tilir. Soyez bons pour les Sswis qui nous ont bien traités … »

Io se tut.

« Je ne sais pas lire plus loin », ajouta-t-il.

Je réussis à lui faire dire que les premières lignes, apprises par cœur, se transmettaient de prêtre en prêtre, et que « Tilir » devait servir de mot de passe si des congénères des étrangers débarquaient de nouveau sur Tellus. Il m’avoua aussi que le livre était double, écrit d’une part en langue sswie, et, à partir de la moitié, dans celle des étrangers. Quoi qu’il en fût, cela donnait une clef précieuse pour le déchiffrement, et je pris une copie soigneuse.

Bien des fois, j’ai rêvé devant ces feuillets noircis de caractères bizarres. Bien des fois j’ai retardé mon travail habituel pour commencer à le traduire avec l’aide de Vzlik. Finalement, je n’ai jamais eu le temps. À peine, puisant une phrase par-ci, par-là, ai-je augmenté ma curiosité sans la satisfaire. Il y était question de Tilir, de monstres, de catastrophes, de glace et de peur … Aujourd’hui le livre est à Union, où mon petit-fils Henri et Hoï, le petit-fils de Vzlik, un Sswi « humanisé », essaient de le traduire. Il semble que les êtres qui l’ont écrit venaient de la première planète extérieure, qui est la plus proche de nous, et que nous appelons Arès, en homologie avec l’ancien Mars de notre vieux système solaire. Peut-être vivrai-je assez pour connaître le mot de l’énigme. Mais il faudra qu’ils se hâtent.

Nous vous avons tracé la voie, à vous de la suivre. Nous n’avons pas résolu tous les problèmes, tant s’en faut. Les deux plus importants n’ont même pas été effleurés. Le premier est celui de la cohabitation de deux espèces intelligentes sur une même planète. Pour celui-ci, il n’y a que trois solutions: notre extermination, qui est évidemment pour nous la pire, l’extermination des Sswis — dont nous ne voulons à aucun prix — et leur acceptation comme nos égaux, ce qui implique leur intégration dans les États-Unis de Tellus, ce dont les Américains ne veulent pas, pour le moment. Pour moi, le problème ne se pose pas. Ils sont nos égaux, et même, sur certains points, nos supérieurs peut-être, si je prends pour exemple l’œuvre mathématique de Hoï, que peu d’entre nous comprennent.