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— Soit. Aide-moi à descendre, alors, et mène-moi à l’infirmerie. Vous venez, Vandal ?

— J’aurais bien aimé participer à ce raid, dit le biologiste. Je suppose que la partie terrestre n’est pas très étendue, et que vous avez l’intention d’en faire le tour.

— Pour autant que nous trouverons des chemins praticables. Soit, venez. Nous découvrirons peut-être de la faune inédite. Ce raid risque d’ailleurs de ne point être de tout repos, et votre expérience de Nouvelle-Guinée peut nous être utile. »

Je réveillai Michel et Louis.

« Bien, dit ce dernier, mais je voudrais d’abord parler à votre oncle. Monsieur Bournat, voudriez-vous, pendant notre absence, vous occuper de faire recenser la population, les ressources en vivres, armes, outils, etc. Depuis que le maire est mort, vous êtes ici le seul que tous écouteront. Vous êtes en bons termes aussi bien avec le curé qu’avec l’instituteur. Je ne vois guère que Jules, le bistrot, qui ne vous aime pas, peut-être parce que vous n’allez jamais chez lui. Mais celui-là, je me charge de le faire marcher droit. Bien entendu, nous serons de retour bien avant que vous ayez fini. »

Nous montâmes dans l’auto, un vieux modèle découvert, très robuste. Comme je prenais le volant, mon oncle m’appela:

« Tiens, prends ce qui est dans ma serviette. »

Je l’ouvris, et en tirai un pistolet d’ordonnance, calibre 45.

« C’était mon arme d’officier d’artillerie. Prends-la. Qui sait ce que vous rencontrerez ? Dans la poche de l’auto, il y a deux boîtes de balles.

— Ça, c’est une bonne idée, dit Louis. Vous n’avez pas d’autre arme ?

— Non, mais je pense qu’il doit y avoir des fusils de chasse au village.

— En effet. Arrêtez-vous chez le père Boru. C’est un ancien adjudant de la coloniale et un chasseur enragé. »

Nous réveillâmes le bonhomme, et, malgré ses protestations, nous nous emparâmes d’une bonne partie de son arsenaclass="underline" une Winchester et deux fusils de chasse, avec des cartouches de chevrotines. Nous partîmes au soleil levant, vers l’est. Nous suivîmes la route autant que nous le pûmes ; par endroits, elle était coupée de failles gênantes, mais à faible rejet, et nous réussîmes toujours à passer. Un éboulement nous arrêta pendant une heure. Trois heures après notre départ, nous tombâmes sur une zone chaotique: à perte de vue ce n’était que montagnes écroulées, immenses amoncellements de terre, de rocs, d’arbres, et, hélas ! De débris de maisons.

« Nous devons être près du bord, dit Michel. Allons à pied. »

Abandonnant, peut-être un peu imprudemment, l’auto sans gardien, nous prîmes nos armes, quelques provisions, et nous gagnâmes la zone dévastée. Nous avançâmes pendant plus d’une heure, d’une marche pénible. Pour un géologue, le spectacle était fantastique: c’était une purée de roches sédimentaires, un magma de primaire, de secondaire et de tertiaire, bouleversés au point que je recueillis, en quelques mètres, un trilobite, une ammonite cénomanienne et des nummulites.

Louis et Vandal, en tête, gravirent une pente pendant que je m’attardais ainsi à glaner des fossiles. Ils parvinrent au sommet et nous les entendîmes pousser une exclamation. En quelques instants, Michel et moi, nous les rejoignîmes. Aussi loin que la vue pouvait porter s’étendait un marais aux eaux huileuses, peuplé d’une végétation d’herbes raides, grisâtres, comme couvertes de poussière. Le paysage était sinistre et grandiose. Vandal prit ses jumelles et fit le tour de l’horizon.

« Des montagnes », dit-il.

Il me prêta l’appareil d’optique. Très loin, au sud-est, une ligne bleuâtre se découpait sur le ciel.

Autour du promontoire que formait la zone terrestre, la vase avait giclé, s’entassant en bourrelet, culbutant la végétation et l’ensevelissant. Avec précautions, nous descendîmes au bord de l’eau. Vue de près, elle était assez transparente ; le marais avait l’air profond, et il était saumâtre.

« Tout est désert, remarqua Vandal. Ni poisson, ni oiseau.

— Regardez-là », dit Michel.

Il indiquait, sur un banc de vase, un être verdâtre, long d’à peu près un mètre. Une bouche saillait à une extrémité, entourée d’une couronne de six tentacules mous ; à la base de chaque tentacule, un œil fixe et glauque. À l’autre extrémité du corps, une queue puissante s’aplatissait en nageoire. Nous ne pûmes l’examiner de plus près, le banc de vase étant inaccessible. Comme nous remontions la pente, un animal identique passa, très vite, à la surface, les tentacules ramenés le long du corps. Nous eûmes à peine le temps de l’entrevoir que déjà il plongeait.

Avant de regagner l’auto, nous jetâmes un dernier regard sur les marais. Alors, pour la première fois depuis notre arrivée dans ce monde, nous aperçûmes un nuage. Il flottait très haut, et était verdâtre. Nous devions en apprendre plus tard la terrible signification.

Nous trouvâmes les phares de l’auto allumés.

« Je suis pourtant absolument sûr, dis-je, de les avoir laissés éteints. Quelqu’un a dû venir tripoter la voiture ! »

Mais, autour d’elle, dans la poussière de la route, il n’y avait trace que de nos propres pas. Je tournai le bouton pour éteindre les phares, et poussai une exclamation: la manette était enduite d’une substance gluante et froide, comme de la bave d’escargot.

Nous retournâmes jusqu’à un embranchement se dirigeant vers le nord, et, très vite, fûmes arrêtés par des montagnes écroulées.

« Le mieux, dit Louis, est de revenir au village, et de prendre la route de la clairière. Ici, nous sommes trop près de la zone morte. »

Nous trouvâmes mon oncle assis dans un fauteuil, le pied bandé, parlant avec le curé et l’instituteur. Nous annonçâmes qu’il ne fallait pas nous attendre avant le lendemain, et filâmes droit au nord. La route montait d’abord vers un petit col, puis descendait sur une vallée parallèle. Nous trouvâmes quelques fermes, qui n’avaient pas trop souffert ; les paysans soignaient leurs animaux, et vaquaient à leurs travaux comme si rien ne s’était passé. Quelques kilomètres plus loin, nous fûmes de nouveau arrêtés par des éboulements. Mais ici, la zone détruite était moins large, et, au milieu d’elle, se dressait un petit mont intact. Nous le gravîmes et pûmes ainsi nous rendre compte de l’aspect général des lieux. Là aussi, un marécage bordait la terre. Comme la nuit rouge venait, nous couchâmes dans une ferme, épuisés par nos escales. Après six heures de sommeil, nous partîmes vers l’ouest. Cette fois, ce ne fut pas un marais qui nous arrêta mais une mer désolée.

Nous allâmes ensuite au sud. La terre s’étendait sur douze kilomètres environ avant la zone morte. Par miracle, la route était à peu près intacte au milieu des éboulements, ce qui facilita grandement notre exploration. Nous étions cependant obligés de rouler à petite vitesse, car de temps à autre elle était à demi barrée par des rochers. Brusquement, après un tournant, nous débouchâmes sur un coin épargné. C’était, environné de pâturages et de forêt, un petit vallon où stagnait un lac formé par un torrent barré par l’éboulement. À mi-pente se dressait un marais. Une allée ombragée y conduisait. J’y fis entrer la voiture, et remarquai un écriteau: Entrée interdite, propriété privée.