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« Mes chers amis, comme vous le savez, une catastrophe sans précédent nous a arrachés, pour jamais je le crains, à notre vieille Terre, et nous a projetés dans ce monde inconnu. Quel est ce monde ? Je ne saurais vous le dire. Vous avez pu constater qu’il a deux soleils et trois lunes. Que ceci ne vous effraie pas. M. le curé, et votre instituteur, qui sont souvent venus me voir à l’observatoire, vous diront que c’est fréquent dans le ciel. Par un hasard providentiel — ici le curé hocha la tête d’un air approbateur — nous sommes tombés sur une planète qui possède un air respirable pour nous, à peine différent, à vrai dire, de l’air de la Terre. D’après mes premiers calculs, cette planète doit être légèrement plus grosse que la Terre. Louis Maurière, tout à l’heure, a excellemment esquissé ce qu’il nous reste à faire. Dès que je saurai quelque chose de nouveau sur ce monde qui est maintenant le nôtre, je vous le ferai savoir. »

La réaction des auditeurs fut bonne en général. Les paysans avaient manifestement accepté le cataclysme. Casaniers et attachés à la terre, la plupart avait conservé toute leur famille. Chez les villageois, l’incrédulité fut plus grande:

« Il nous en raconte, le vieux, avec son autre monde ! D’abord, on n’y va que quand on est mort !

— Pourtant, les deux soleils ?

— Il est tout petit, le deuxième. Et puis, on a tellement vu avec leur science ! Si vous voulez mon avis, c’est encore un coup des Chinois dans le genre de la bombe atomique. »

Les drames familiaux y étaient aussi plus fréquents. Un jeune homme était atterré à l’idée qu’il ne reverrait plus jamais sa fiancée, en voyage chez une cousine. Il voulait à tout prix lui télégraphier. D’autres avaient eu des parents enterrés sous les montagnes, ou sous les ruines de leurs maisons.

Le lendemain était un dimanche. Au matin, nous fûmes réveillés par un carillon. Le curé, aidé de ses ouailles, avait récupéré les cloches dans les ruines de l’église, et maintenant, suspendues à la maîtresse branche d’un chêne, elles sonnaient à toute volée. Quand nous arrivâmes, il finissait de célébrer la messe en plein air. C’était un bien brave homme, ce curé, et il montra plus tard que sa personne grassouillette recélait de vastes possibilités d’héroïsme. Je m’approchai de lui.

« Eh bien, Monseigneur, je vous félicite. Vos cloches nous ont agréablement rappelé la Terre.

— Monseigneur ? interrogea-t-il.

— Eh oui, vous êtes évêque maintenant. Que dis-je ? Pape !

— Mon Dieu, je n’y avais pas pensé ! C’est une terrible responsabilité, ajouta-t-il en pâlissant.

— Bah ! Ça marchera très bien ! »

Je le plantai là tout effaré et rejoignis Louis, installé à l’école. Il était assisté de l’instituteur et de sa femme, tous deux jeunes.

« Ton recensement avance ?

— À peu près. Ce que l’un ne veut pas dire, l’autre le dit pour lui. Voici un décompte provisoire:

2 instituteurs.

2 charrons.

3 maçons.

1 charpentier.

1 apprenti-charpentier.

1 garagiste auto-vélo.

1 curé et un abbé.

1 sacristain.

3 cafetiers.

1 boulanger.

2 mitrons.

2 merciers.

3 épiciers.

1 forgeron et deux aides.

6 carriers.

2 gendarmes.

5 contremaîtres.

350 ouvriers.

5 ingénieurs.

4 astronomes.

1 géologue — toi.

1 chirurgien.

1 médecin.

1 pharmacien.

1 biologiste.

1 historien — ton frère.

1 anthropologue.

1 vétérinaire.

1 horloger T.S.F.

1 tailleur et deux apprentis.

2 couturières.

1 garde-champêtre.

« Les autres sont cultivateurs. Quant au père Boru, il a tenu à se faire recenser comme « braconnier ! Ah ! J’oubliais: un châtelain, son fils, sa fille, sa maîtresse, et au moins douze sbires, sans compter les larbins. Ceux-là ne nous causeront que des em … bêtements !

— Et les ressources matérielles ?

— 11 autos en état de marche, plus celle de ton oncle et la 20 chevaux de Michel, qui consomme trop ; 8 tracteurs, dont un à chenilles ; 18 camions, dont 15 à l’usine ; 10 motos, une centaine de vélos. Malheureusement, seulement 12 000 litres d’essence et 13 600 litres de gas-oil. Assez peu de pneus de rechange.

— Bah, pour l’essence, on les fera marcher au gazogène.

— Et comment les construiras-tu, ces gazogènes ?

— L’usine ?

— Pas d’électricité ! Il y a bien les génératrices de secours, à vapeur. Mais nous avons si peu de charbon — et pas tellement de bois.

— Il y avait de la houille, pas très loin d’ici, dans les montagnes. Elle a dû « suivre ». Difficilement exploitable, certainement. Mais nous n’avons pas le choix.

— Trouve-la. C’est ton travail. Pour les vivres, nous sommes parés, mais il faudra faire attention jusqu’à la récolte prochaine. Il faudra probablement des tickets de rationnement. Je me demande comment nous allons faire accepter cela ! »

Les premières élections sur Tellus eurent lieu le lendemain. Elles se firent sans programme précis: les électeurs furent simplement avertis qu’ils allaient élire un comité de salut public.

Il devait se composer de neuf membres, élus à la majorité relative, chaque électeur votant pour une liste de neuf noms.

Le résultat fut une surprise. Le premier élu, avec 987 voix sur 1 302 votants, fut le premier adjoint au maire, Alfred Charnier, un riche paysan. Le second fut l’instituteur, son cousin éloigné, avec 900 voix, le troisième le curé, avec 890 voix. Puis venaient Louis Maurière, avec 802 voix, Marie Presle, une paysanne instruite, ancienne conseillère, avec 801 voix, mon oncle, 798 voix, Estranges, 780 voix et, à notre étonnement, Michel, avec 706 voix — il était très populaire parmi l’élément féminin ! — et moi-même, avec 700 voix. J’ai su plus tard que Louis avait fait campagne pour moi, disant que je saurais trouver le fer et le charbon nécessaire. À son grand dépit, le principal cafetier n’obtint que 346 voix !