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Baley ne put résister.

— De la soupe au poulet ?

— Certainement, dit-elle. (Puis, innocemment :) C’est exactement ce que j’aurais suggéré, avec de jolis morceaux de poulet pour que ce soit plus nourrissant.

Baley fut servi avec une rapidité surprenante.

— Vous ne mangez pas, Gladïa ? demanda-t-il.

— J’ai déjà dîné, pendant qu’on vous soignait et vous baignait.

— On me soignait ?

— Simple adaptation biochimique de routine, Elijah. Vous avez été plutôt psycho-atteint et nous ne voulions pas qu’il y ait de répercussions… Mais mangez donc !

Il porta une cuillerée à sa bouche. Ce n’était pas un mauvais potage au poulet, mais comme toute la cuisine auroraine, il avait tendance à être un peu trop épicé à son goût. Ou peut-être, plus simplement, on employait des épices différentes de celles auxquelles il était habitué.

Il se rappela soudain sa mère, un souvenir vivace où elle paraissait plus jeune qu’il ne l’était lui-même maintenant. Il la revoyait debout à côté de lui, tandis qu’il rechignait à manger sa « bonne soupe ».

Elle lui disait : « Voyons, mange, Lija. C’est du vrai poulet, c’est très cher. Même les Spatiens n’ont rien de meilleur. »

C’était vrai. Il lui cria par la pensée, à travers les années : Ils n’ont rien de meilleur, maman !

Vraiment ! S’il pouvait se fier à sa mémoire, même en tenant compte du manque de discernement des papilles enfantines, la soupe au poulet de sa mère, quand elle n’était pas affadie par la répétition, était infiniment supérieure.

Il goûta encore une cuillerée, en prit une autre et, quand il eut fini, il marmonna avec un peu de confusion :

— Est-ce qu’il y en aurait encore un peu ?

— Tant que vous voudrez, Elijah.

— Rien qu’un peu.

Et quand il eut fini la seconde assiettée, Gladïa dit :

— Elijah, à propos de cette réunion de demain…

— Oui ?

— Est-ce que ça signifie que votre enquête est terminée ? Est-ce que vous savez ce qui est arrivé à Jander ?

Baley répondit judicieusement :

— Je n’ai pas la moindre idée de ce qui a pu arriver à Jander. Je ne pense pas que je puisse persuader quelqu’un que j’ai raison.

— Alors pourquoi cette conférence ?

— Ce n’est pas moi qui l’ai voulue, Gladïa. C’est une idée du Maître roboticien Amadiro. Il s’oppose à l’enquête, il va essayer de me faire renvoyer sur Terre.

— C’est lui qui a saboté votre aéroglisseur et qui a envoyé ses robots enlever Daneel ?

— Je le crois.

— Eh bien, ne peut-il être jugé, condamné et puni pour ça ?

— Il le pourrait certainement, sans le tout petit problème du manque total de preuves !

— Et peut-il faire tout cela, s’en tirer impunément, et mettre fin aussi à l’enquête ?

— J’ai bien peur qu’il n’ait une bonne chance d’y parvenir. Comme il le dit lui-même, les gens qui n’espèrent pas de justice n’ont pas à souffrir de déceptions.

— Mais il ne faut pas ! Vous ne devez pas le laisser faire, vous devez terminer votre enquête et découvrir la vérité ! Baley soupira.

— Et si je ne peux pas la découvrir ? Ou si je peux, et que je n’arrive pas à me faire écouter ?

— Vous pouvez découvrir la vérité ! Et vous pouvez vous faire écouter.

— Vous avez en moi une confiance touchante, Gladïa. Malgré tout, si la Législature auroraine veut me renvoyer et ordonner l’abandon de l’enquête, je ne pourrai absolument rien y faire.

— Vous n’allez sûrement pas accepter de repartir sans avoir rien accompli !

— Non, bien sûr. C’est encore pire que de ne simplement rien accomplir. Je retournerai là-bas avec ma carrière brisée et l’avenir de la Terre détruit.

— Alors ne les laissez pas faire ça, Elijah.

— Par Jehosaphat, Gladïa ! Je vais essayer, mais je ne peux pas soulever toute une planète avec mes mains nues. Vous ne pouvez pas exiger de moi des miracles.

Gladïa hocha la tête et, les yeux baissés, elle porta un poing à sa bouche et resta immobile, comme plongée dans ses réflexions. Baley mit un moment à s’apercevoir qu’elle pleurait sans bruit.

66

Baley se leva vivement et contourna la table pour aller vers Gladïa. Il remarqua distraitement, et avec irritation, que ses jambes tremblaient et qu’il avait un tic dans la cuisse droite.

— Gladïa, implora-t-il, ne pleurez pas !

— Ne vous inquiétez pas pour moi, murmura-t-elle. Ça va passer.

Il resta les bras ballants, ne sachant que faire, hésitant à lui mettre une main sur l’épaule.

— Je ne vous touche pas, dit-il. Je crois que j’aurais tort, mais…

— Oh, touchez-moi. Touchez-moi. Je n’aime pas tellement mon corps et vous n’allez pas me contaminer. Je ne suis pas… ce que j’étais.

Alors Baley leva une main et lui caressa légèrement, maladroitement, le bras du bout des doigts.

— Je ferai ce que je pourrai demain, Gladïa. Je ferai tout mon possible.

Elle se leva et se tourna vers lui :

— Elijah…

Sachant à peine ce qu’il faisait, Baley la prit dans ses bras. Et, tout aussi spontanément, elle s’y blottit, et il la serra contre lui en tenant sa tête au creux de son épaule.

Il la serrait aussi légèrement qu’il le pouvait, attendant qu’elle se rende compte qu’elle était enlacée par un Terrien. (Elle avait bien embrassé un robot humaniforme, mais il n’était pas un Terrien.)

Elle renifla bruyamment et parla, la bouche contre la chemise de Baley.

— Ce n’est pas juste ! C’est parce que je suis solarienne. Personne ne se soucie de ce qui est arrivé à Jander, alors que ce serait une autre affaire si j’étais auroraine. Tout se résume à des préjugés et à des considérations politiques.

Baley pensa : Les Spatiens sont des êtres humains. C’était exactement ce que Jessie dirait, dans un cas semblable. Et si c’était Gremionis qui tenait Gladïa dans ses bras, il dirait la même chose que moi… si je savais ce que je dirais.

— Ce n’est pas tout à fait vrai, répondit-il. Je suis sûr que le Dr Fastolfe se soucie de ce qui est arrivé à Jander.

— Non, pas du tout. Pas vraiment. Il veut simplement imposer sa volonté à la Législature et cet Amadiro veut imposer la sienne, et l’un comme l’autre échangerait volontiers Jander contre la réalisation de son ambition.

— Je vous promets, Gladïa, que je n’échangerai Jander contre rien.

— Non ? S’ils vous disent que vous pouvez retourner sur la Terre en sauvant votre carrière, sans que votre monde ait à souffrir, à condition que vous ne pensiez plus à Jander, que ferez-vous ?

— Il est inutile d’imaginer des situations hypothétiques qui ne peuvent absolument pas exister. Ils ne vont rien me donner en échange de l’abandon de Jander. Ils vont simplement essayer de me renvoyer sans rien d’autre que la ruine pour moi et pour ma planète. Mais s’ils me laissaient faire, je retrouverais l’homme qui a détruit Jander, et je veillerais à ce qu’il soit puni comme il le mérite.

— Que voulez-vous dire, s’ils vous laissent faire ? Contraignez-les à vous laisser faire !

Baley sourit amèrement.

— Si vous pensez que les Aurorains ne se soucient pas de vous parce que vous êtes solarienne, imaginez le peu d’attention que l’on vous accorderait si vous veniez de la Terre, comme moi.