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Baley regarda d’un air sceptique les crêpes.

— Ah ! s’exclama Gladïa, vous n’avez probablement jamais vu ça. C’est une spécialité solarienne. Des pachinkas. J’ai dû reprogrammer mon chef pour qu’il arrive à les réussir. Tout d’abord, il faut utiliser une farine importée de Solaria. Celles d’Aurora ne donnent pas de bons résultats. Et les pachinkas sont fourrées. On peut employer au moins mille garnitures différentes mais celle-ci est ma préférée et je suis sûre que vous l’aimerez aussi. Je ne vous dirai pas tout ce qu’elle contient, à part de la purée de châtaignes et un peu de miel. Mais goûtez et dites-moi ce que vous en pensez. Vous pouvez manger avec vos doigts mais faites attention en mordant.

Elle prit une pachinka, délicatement entre le pouce et le majeur de chaque main, en mordit une petite bouchée, lentement, et lécha la crème dorée, à demi-liquide, qui en coulait.

Baley l’imita. La pachinka était dure au toucher, chaude mais pas brûlante Il en mit prudemment une extrémité dans sa bouche et s’aperçut qu’elle résistait un peu sous les dents. Il mordit plus fortement, la croûte craqua et le contenu se répandit sur ses mains.

— Vous avez pris une trop grande bouchée et mordu trop fort, lui dit Gladïa en se précipitant vers lui avec une serviette. Maintenant léchez vos doigts. D’ailleurs, personne ne peut manger proprement une pachinka. C’est impossible. On est censé se barbouiller. Idéalement, ça devrait se manger tout nu et on prendrait une douche après.

Baley lécha avec précaution le bout de ses doigts et son expression fut assez éloquente.

— Vous aimez ça, n’est-ce pas ? dit Gladïa.

— C’est délicieux, assura-t-il, et il prit une autre bouchée, plus lentement et plus doucement.

Ce n’était pas trop sucré et ça fondait dans la bouche.

Il mangea trois pachinkas et seule la bienséance le retint d’en prendre davantage. Il se lécha les doigts sans avoir besoin d’y être invité et négligea la serviette.

— Trempez vos doigts dans le rinceur, Elijah, dit-elle en lui montrant comment faire.

Le « beurre fondu » n’était autre qu’un rince-doigts. Baley obéit et s’essuya les mains. Elles ne gardaient pas la moindre odeur.

— Etes-vous embarrassé à cause d’hier soir, Elijah ? demanda Gladïa. C’est tout l’effet que ça vous fait ?

Que répondre à cela ? se demanda-t-il. Il finit par acquiescer.

— Un peu, je le crains. Ce n’est pas tout ce que je ressens, de très loin, mais oui, je suis embarrassé. Réfléchissez, Gladïa. Je suis un Terrien, vous le savez, mais pour le moment vous préférez ne pas vous en souvenir et « Terrien » n’est pour vous qu’un mot de deux syllabes sans signification particulière. Hier soir, vous aviez pitié de moi, vous vous inquiétiez des problèmes que j’avais eus pendant l’orage, vous éprouviez pour moi ce que vous auriez éprouvé pour un enfant et… et par compassion, à cause de cette vulnérabilité, vous êtes venue à moi. Mais ce sentiment se dissipera – je suis étonné qu’il n’en soit pas déjà ainsi – et alors vous vous souviendrez que je suis un Terrien et vous aurez honte, vous vous sentirez avilie, souillée. Vous m’en voudrez terriblement et je ne veux pas être détesté… Je ne veux pas être détesté, Gladïa !

(Il se dit que s’il avait l’air aussi malheureux qu’il l’était, il devait avoir une mine vraiment pitoyable.)

Gladïa dut le penser aussi car elle allongea un bras vers lui et lui caressa la main.

— Je ne vous déteste pas, Elijah. Pourquoi vous en voudrais-je ? Vous ne m’avez rien fait que je n’aie désiré. C’est moi qui vous ai forcé et je m’en réjouirai toute ma vie. Vous m’avez libérée par un contact il y a deux ans, Elijah, et hier soir vous m’avez libérée encore une fois. Il y a deux ans, j’avais besoin de savoir que j’étais capable de désir et, hier soir, j’avais besoin de savoir que je pouvais de nouveau éprouver du désir, après Jander. Elijah… Restez avec moi. Ce serait…

Il l’interrompit et parla avec une grande sincérité :

— Comment serait-ce possible, Gladïa ? Je dois retourner dans mon propre monde. J’ai là-bas des devoirs, des tâches et vous ne pouvez pas venir avec moi. Vous seriez incapable de mener la vie que l’on mène sur Terre. Vous pourriez mourir de maladies terriennes, si la foule et la claustrophobie ne vous tuaient pas avant. Vous devez le comprendre !

— Pour ce qui est de la Terre, je comprends, reconnut-elle avec un soupir, mais vous n’avez pas besoin de partir immédiatement.

— Il se peut qu’avant la fin de la matinée je sois chassé de la planète par le Président.

— Vous ne le serez pas, déclara Gladïa avec force. Vous ne le permettrez pas… Et si vous êtes chassé, nous pouvons nous réfugier dans un autre monde spatien. Il y en a des dizaines parmi lesquels nous pouvons choisir. La Terre vous tient-elle tant à cœur que vous ne voudriez pas vivre dans un monde spatien ?

— Je pourrais vous répondre évasivement, Gladïa, faire observer que dans aucun monde spatien on ne me permettra de m’établir définitivement, et vous le savez très bien. Mais ce qui est beaucoup plus vrai, c’est que même si un des mondes spatiens m’accueillait, m’acceptait, la Terre aurait quand même une grande importance pour moi et il faudrait que j’y retourne… Même si pour cela je dois vous abandonner.

— Et ne plus jamais revenir sur Aurora ? Ne plus jamais me revoir ?

— Si je pouvais vous revoir, je reviendrais, dit Baley. Je reviendrais sans cesse. Mais à quoi bon le dire ? Vous savez que je ne serai sûrement plus invité. Et vous savez que je ne puis revenir sans invitation.

— Je ne veux pas croire cela, Elijah, murmura Gladïa d’une voix sourde.

— Gladïa… Gladïa, ne vous rendez pas malheureuse. Il s’est passé quelque chose de merveilleux, mais il vous arrivera d’autres choses merveilleuses – beaucoup, de toutes sortes – mais pas la même chose. Tournez-vous vers l’avenir, tournez-vous vers d’autres.

Elle ne répondit pas.

— Gladïa, reprit Baley sur un ton pressant, a-t-on besoin de savoir ce qui s’est passé entre nous ? Elle releva la tête, l’air peiné.

— En auriez-vous tellement honte ?

— De ce qui s’est passé ? Certainement pas ! Mais même si je n’en ai pas honte, cela pourrait avoir des conséquences plutôt embarrassantes. On parlerait de l’affaire. Par la faute de cette horrible dramatique, qui a présenté une version déformée de nos rapports, nous sommes à la pointe de l’actualité. Le Terrien et la Solarienne. S’il y a jamais le moindre soupçon de… d’amour entre nous, cela se saura sur la Terre, à la rapidité d’un vol hyperspatial.

Gladïa haussa les sourcils avec un certain dédain.

— Et la Terre vous jugera avili ? Vous vous serez permis des relations sexuelles avec une personne au-dessous de votre condition ?

— Mais non, mais non, voyons, bien sûr que non, protesta Baley, mal à l’aise car il savait que ce serait certainement l’opinion de milliards de Terriens. Mais l’idée ne vous est donc pas venue que ma femme pourrait en entendre parler ? Je suis marié !

— Et alors ? Qu’est-ce que ça peut faire ?

Baley poussa un profond soupir.

— Vous ne comprenez pas, Gladïa. Les mœurs de la Terre ne sont pas celles des Spatiens. Nous avons connu des époques dans notre histoire où les mœurs sexuelles étaient assez libres, du moins dans certains pays et pour certaines classes. L’époque actuelle n’est pas comme ça. Les Terriens vivent les uns sur les autres et, dans ces conditions, une morale stricte, puritaine, est indispensable pour conserver la stabilité du système de la famille.