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— Mais pourquoi moi, Gladïa ? Pourquoi pas quelqu’un d’autre ?

— Non, Elijah, il fallait que ce soit vous. Nous sommes arrivés et nous vous avons trouvé, Giskard et moi, et vous étiez sans défense. Vous n’étiez pas totalement inconscient mais votre corps ne vous obéissait plus. Vous deviez être porté, déposé dans la voiture. J’étais là quand vous avez été réchauffé, soigné, baigné, incapable de faire quoi que ce soit par vous-même. Les robots se sont occupés de vous avec une merveilleuse efficacité, se sont affairés pour vous faire revivre et empêcher qu’il vous arrive du mal, mais sans éprouver le moindre sentiment. Tandis que moi j’observais, et j’éprouvais des émotions, des sentiments.

Baley baissa la tête, serrant les dents à la pensée d’avoir été publiquement si désarmé. Sur le moment, il avait savouré le plaisir d’être dorloté, mais à présent il se sentait honteux.

— J’aurais voulu faire tout cela. pour vous, reprit-elle. J’en voulais aux robots de se réserver le droit d’être gentils avec vous, de donner. Et je me voyais à leur place. J’éprouvais une excitation sexuelle croissante, ce que je n’avais pas ressenti depuis la mort de Jander… Et l’idée m’est venue, alors, que pendant mes seuls rapports sexuels réussis, je n’avais fait que prendre, recevoir. Jander donnait ce que je désirais mais il ne prenait jamais. Il était incapable de prendre puisque son seul plaisir était de me faire plaisir. Et il ne m’est jamais venu à l’idée de donner, parce que j’avais été élevée parmi des robots et que je savais qu’ils ne pouvaient pas recevoir.

« Et, en observant, j’ai pensé que je ne connaissais que la moitié des choses du sexe. Et je voulais désespérément connaître l’autre moitié. Mais alors, ensuite, à table au dîner, vous avez paru fort. Vous étiez assez fort pour me consoler et comme j’avais éprouvé ce sentiment pour vous, alors qu’on vous soignait, je n’ai plus eu peur de vous parce que vous étiez de la Terre. J’acceptais volontiers d’être dans vos bras, je le voulais. Mais même là, alors que vous m’enlaciez, j’ai eu des remords et du chagrin parce que, encore une fois, je prenais sans rien donner.

« Et vous m’avez dit alors que vous aviez besoin de vous asseoir. Ah, Elijah, c’est la chose la plus merveilleuse que vous pouviez me dire !

Baley se sentit rougir.

— J’en ai été affreusement gêné, c’était un aveu de faiblesse, à mes yeux.

— C’était justement ce qu’il me fallait. Cela m’a rendue folle de désir. Je vous ai obligé à vous coucher et puis je suis venue à vous et, pour la première fois de ma vie, j’ai donné. Je n’ai rien pris et le charme de Jander a été rompu car je comprenais qu’il n’avait pas suffi. Ce devait être possible de prendre et de donner à la fois… Elijah, restez avec moi !

Baley secoua la tête.

— Gladïa, si je me coupais le cœur en deux, cela ne changerait rien à la réalité. Je ne peux pas rester sur Aurora. Je dois retourner sur la Terre. Vous ne pouvez pas venir sur la Terre.

— Et si je pouvais venir sur la Terre, Elijah ?

— Pourquoi dites-vous une telle sottise ? Même si vous le pouviez, je vieillirais rapidement et ne vous servirais plus à rien. Dans vingt ans, trente au plus, je serai un vieillard, et plus probablement mort, alors que vous resterez telle que vous êtes pendant des siècles.

— Mais c’est justement ce que je veux dire, Elijah ! Sur Terre, je serai sujette à vos maladies et je vieillirai moi aussi très vite.

— Vous ne le voudriez pas. D’ailleurs, la vieillesse n’est pas une maladie. On s’affaiblit, on tombe malade et, très rapidement, on meurt. Gladïa, Gladïa, vous pouvez trouver un autre homme.

— Un Aurorain ? dit-elle avec mépris.

— Vous pouvez enseigner. Maintenant que vous savez comment recevoir et donner, apprenez-leur à faire aussi les deux.

— Si j’enseigne, apprendront-ils ?

— Quelques-uns, oui. Il y en aura sûrement. Vous avez tout le temps de trouver un tel homme. Il y a…

(Non, pensa-t-il, ce n’est pas prudent de mentionner Gremionis en ce moment, mais peut-être que s’il venait à elle… moins poliment et avec un peu plus de détermination…)

Elle resta un moment songeuse.

— Est-ce possible ? murmura-t-elle, puis elle posa sur Baley ses yeux gris-bleu embués de larmes. Ah, Elijah ! Vous ne vous rappelez donc rien de ce qui s’est passé cette nuit ?

— Je dois avouer, dit-il un peu tristement, qu’une partie de cette nuit reste assez vague dans mon souvenir.

— Si vous vous en souveniez, vous ne voudriez pas me quitter.

— Je ne veux pas vous quitter, Gladïa. Simplement, je le dois.

— Et, ensuite, vous aviez l’air si paisiblement heureux, si reposé. J’étais blottie contre votre épaule et je sentais votre cœur battre, rapidement d’abord, puis plus lentement, sauf quand vous vous êtes redressé brusquement… Vous vous rappelez ça ?

Baley sursauta et recula un peu, en la regardant au fond des yeux.

— Non, je ne m’en souviens pas. Que voulez-vous dire ? Qu’est-ce que j’ai fait ?

— Je vous l’ai dit. Vous vous êtes redressé brusquement.

— Oui, mais quoi encore ?

Le cœur de Baley battait rapidement, maintenant, aussi rapidement sûrement que la veille après l’amour. Trois fois, quelque chose qui semblait être la vérité lui était apparu, mais les deux premières fois, il était seul. La troisième, la veille, Gladïa était là. Il avait un témoin.

— Il n’y a rien eu d’autre, vraiment, dit-elle. Je vous ai demandé : « Qu’y a-t-il, Elijah ? » Mais vous n’avez pas fait attention à moi. Vous avez dit : « Ça y est, je l’ai. Je l’ai. » Vous ne parliez pas clairement et vos yeux étaient fixes. C’était assez effrayant.

— C’est tout ce que j’ai dit ? Par Jehosaphat, Gladïa ! Je n’ai rien dit d’autre ?

Elle fronça les sourcils.

— Je ne me souviens pas. Vous vous êtes rallongé et je vous ai dit de ne pas avoir peur, que vous étiez en sécurité. Et je vous ai caressé, vous avez refermé les yeux et vous vous êtes endormi… et vous avez ronflé ! Je n’avais encore jamais entendu personne ronfler ; mais c’était sûrement cela, d’après les descriptions.

Visiblement, elle en était amusée.

— Ecoutez-moi, Gladïa. Qu’est-ce que j’ai dit, exactement ? « Je l’ai. Je l’ai. » Est-ce que je n’ai pas dit ce que c’était, que j’avais ?

Elle réfléchit encore.

— Non. Je ne me souviens pas… Si, attendez ! Vous avez dit autre chose, d’une voix très basse. Vous avez dit : « Il était là avant. »

— « Il était là avant. » C’est tout ce que j’ai dit ?

— Oui. J’ai pensé que vous vouliez dire que Giskard était arrivé avant les autres robots, que vous cherchiez à surmonter votre peur d’être enlevé, que vous reviviez ces moments sous l’orage. Oui ! C’est pour cela que je vous ai dit de ne pas avoir peur, que vous étiez en sécurité. Et vous avez fini par vous détendre.

— « Il était là avant… » « Il était là avant… » Maintenant, je ne l’oublierai pas, Gladïa. Merci pour hier soir. Merci de m’avoir parlé.

— Est-ce que c’est important, que vous ayez dit que Giskard vous a trouvé avant les autres ? C’est la vérité. Vous le savez bien.

— Il ne peut pas s’agir de ça, Gladïa. Ce doit être quelque chose que je ne sais pas mais que je parviens à découvrir uniquement quand mon esprit est totalement détendu.

— Mais alors, qu’est-ce que ça veut dire ?

— Je n’en suis pas sûr, mais si c’est bien ce que j’ai dit, cela doit avoir une signification. Et j’ai à peu près une heure pour le découvrir : (Il se leva.) Je dois partir, maintenant.