Le Président se détendit et se permit un sourire.
— Là, il vous a eu, mon cher docteur. Je me suis demandé pourquoi vous vous entêtiez à affirmer que vous étiez le seul à posséder les connaissances suffisantes pour détruire Jander, alors que cela causait un tort si considérable à votre situation politique. Je vois clairement, maintenant, que vous préfériez sacrifier votre carrière politique plutôt que de renoncer à vos prérogatives.
Fastolfe se hérissa. Quant à Amadiro, il fronça les sourcils et grommela :
— Est-ce que ça a un rapport avec le problème qui nous occupe ?
— Oui, indiscutablement, répliqua Baley en sentant revenir son assurance. Vous ne pouvez pas soustraire directement des informations au Dr Fastolfe. Vous ne pouvez pas ordonner à vos robots de lui faire du mal, de le torturer, par exemple, pour lui faire révéler ses secrets. Vous ne pouvez lui faire du mal vous-même, puisque le Dr Fastolfe est sous la protection de son personnel. Cependant, vous pouvez isoler un robot et le faire enlever par d’autres robots, tandis que l’être humain présent est trop malade pour prendre les mesures nécessaires destinées à vous en empêcher. Tous les événements d’hier après-midi faisaient partie d’un plan improvisé rapidement pour mettre la main sur Daneel, docteur Amadiro. Vous avez sauté sur l’occasion dès que j’ai insisté pour aller vous voir à l’Institut. Si je n’avais pas renvoyé mes robots, si je n’avais pas été tout juste assez lucide pour affirmer que j’allais très bien, si je n’avais pas envoyé vos robots dans une mauvaise direction, vous vous seriez emparé de lui. Et, éventuellement, vous auriez découvert le secret des robots humaniformes, grâce à une longue analyse détaillée du comportement et des réactions de Daneel.
— Monsieur le Président, je proteste ! s’exclama Amadiro. Je n’ai jamais entendu proférer d’aussi odieuses diffamations. Tout cela est né des fantasmes d’un malade. Nous ne savons pas, et nous ne saurons peut-être jamais, si l’aéroglisseur a réellement été saboté et, s’il l’a été, par qui, ni si des robots ont réellement suivi ce véhicule, ont réellement parlé à monsieur Baley ou non. Il ne fait qu’empiler les unes sur les autres des hypothèses et des insinuations, le tout fondé sur son douteux témoignage au sujet d’événements dont il a été l’unique témoin, et cela à un moment où il était à moitié fou de terreur et souffrait probablement d’hallucinations. Absolument rien de tout cela ne serait recevable dans un tribunal.
— Nous ne sommes pas dans un tribunal, docteur Amadiro, dit le Président, et mon devoir est d’écouter tout ce qui se rapporte à la question qui fait l’objet de ces débats.
— Cela ne s’y rapporte pas, monsieur le Président ! Ce n’est qu’une toile d’araignée.
— Pourtant, cela m’a l’air de se tenir. Je ne puis surprendre monsieur Baley en défaut flagrant de logique. Si l’on admet ce qu’il prétend avoir vécu, alors ses conclusions sont plutôt raisonnables. Niez-vous tout en bloc, docteur Amadiro ? Le sabotage de l’aéroglisseur, la poursuite, l’intention de vous approprier le robot humaniforme ?
— Absolument ! Je le nie absolument ! Rien de tout cela n’est vrai ! s’écria Amadiro. (Il y avait assez longtemps qu’on ne le voyait plus sourire.) Le Terrien peut produire un enregistrement de toute notre conversation et sans aucun doute il fera observer que je l’ai retenu en parlant d’abondance, en l’invitant à visiter l’Institut, en l’invitant à dîner, mais tout cela s’interprète aussi comme une intention de faire le maximum pour me montrer courtois et hospitalier. Je me suis laissé égarer par une certaine sympathie que j’éprouve pour les Terriens, sans doute, mais c’est tout. Je nie toutes ses insinuations et ses fausses conclusions et rien de ce qu’il dit ne peut être soutenu contre mes dénégations. Ma réputation est telle que de simples spéculations ne persuaderont jamais personne que je suis le genre de comploteur sournois que prétend ce Terrien.
Le Président se gratta le menton, d’un air songeur.
— Il est certain que je ne vais pas vous accuser en me fondant sur ce que le Terrien a dit jusqu’ici… Monsieur Baley, si c’est tout ce que vous avez à dire, c’est intéressant mais insuffisant. Vous n’avez pas de révélations plus concluantes, plus substantielles ? Je vous avertis que, si c’est tout, je vous ai maintenant accordé le temps que je pouvais me permettre de vous accorder.
76
— Il n’y a plus qu’un sujet que je voudrais aborder, monsieur le Président, dit Baley. Vous avez sans doute entendu parler de Gladïa Delamarre, ou Gladïa Solaria. Elle-même se nomme simplement Gladïa.
— Oui, monsieur Baley, répondit le Président avec un peu d’agacement dans la voix. J’ai entendu parler d’elle. Nous avons vu cette émission où vous et elle teniez des rôles si remarquables.
— Elle a été en relation avec ce robot, Jander, pendant plusieurs mois. En fait, vers la fin, il était son mari.
L’expression méfiante du Président se changea en fureur.
— Son quoi ?
— Son mari, monsieur le Président.
Fastolfe, qui s’était à moitié levé, retomba dans son fauteuil, l’air perturbé.
— C’est illégal, déclara le Président d’une voix dure. Pire, c’est ridicule. Un robot ne pourrait l’imprégner. Il ne pourrait y avoir d’enfants. Le statut de mari ou de femme n’est jamais accordé sans une déclaration quant à la volonté d’avoir un enfant si l’autorisation est donnée. Même un Terrien, il me semble, devrait le savoir.
— Je le sais, monsieur le Président. Et Gladïa aussi, j’en suis certain. Elle n’employait pas le mot « mari » dans son sens légal, mais dans un sens émotionnel. Elle considérait Jander comme l’équivalent d’un mari. Elle éprouvait pour lui les sentiments d’une femme pour son mari.
Le Président se tourna vers Fastolfe.
— Etiez-vous au courant de cela, docteur Fastolfe ? C’était un robot de votre personnel.
Fastolfe, manifestement embarrassé, bredouilla :
— Je savais qu’elle avait de l’affection pour lui. Je la soupçonnais de se servir de lui sexuellement. Mais j’ignorais tout de cette comédie illégale, avant que monsieur Baley n’en parle.
— Elle est solarienne, dit Baley. Son concept du « mari » n’est pas aurorain.
— C’est évident ! s’exclama le Président.
— Mais elle avait suffisamment le sens des réalités pour garder cela pour elle, monsieur le Président. Elle n’a jamais parlé de cette comédie, comme l’appelle le Dr Fastolfe, à des Aurorains. Elle m’a avoué cela avant-hier, parce qu’elle voulait m’exhorter à poursuivre une enquête qui a beaucoup d’importance pour elle. Malgré tout, je pense qu’elle n’aurait pas employé ce mot si elle n’avait pas su que je suis Terrien, et capable par conséquent de comprendre le sens qu’elle lui donnait, et non le sens aurorain.
— Bien, dit le Président, je lui accorde au moins un minimum de bon sens, pour une Solarienne. Etait-ce là cet autre sujet que vous vouliez aborder ?
— Oui, monsieur le Président.
— Dans ce cas, il n’a aucun rapport avec l’affaire et ne peut jouer aucun rôle dans nos délibérations.
— Monsieur le Président, il y a encore une question, une seule, que je dois poser. Une question. Quelques mots et j’en aurai fini.
Baley parla sur le ton le plus persuasif possible, car tout dépendait de cela.
Le Président hésita.
— Accordé. Une dernière question.
— Merci, monsieur le Président.
Baley avait envie de la hurler, sa question, mais il se retint. Il n’éleva même pas la voix. Il ne montra pas du doigt. Tout en dépendait. Tout avait abouti à cela et pourtant il se rappela l’avertissement de Fastolfe et demanda d’un air presque indifférent :