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— Vous avez parfaitement raison, monsieur le Président, et monsieur Baley partira très vite, avec mes remerciements et, j’espère, les vôtres aussi.

— Ma foi, dit le Président sans trop de bonne grâce, puisque son ingéniosité nous a épargné un douloureux conflit politique, il a droit à mes remerciements… Je vous remercie, monsieur Baley.

XIX. Baley

78

Baley les regarda partir, de loin. Le Dr Amadiro et le Président étaient arrivés ensemble, mais ils s’en allèrent séparément.

Fastolfe revint, après les avoir accompagnés, et ne cacha pas son immense soulagement.

— Venez, Baley, dit-il, vous allez déjeuner avec moi et ensuite, dès que ce sera possible, vous repartirez pour la Terre.

Son personnel robotique était déjà visiblement prévenu et s’activait.

Baley hocha la tête et dit ironiquement :

— Le Président a réussi à me remercier, mais ça lui restait manifestement dans la gorge.

— Vous n’avez aucune idée de l’honneur qu’il vous a fait. Le Président remercie très rarement quelqu’un, mais aussi personne ne remercie jamais le Président. On laisse toujours à la postérité le soin de chanter ses louanges et celui-ci est en fonction, au service du pays, depuis plus de quarante ans. Il est devenu bougon et irritable, comme presque tous les Présidents dans les dernières décennies de leur mandat.

 » Cependant, Mr Baley, une fois de plus je vous remercie moi-même et, par mon intermédiaire, Aurora vous remerciera. Vous vivrez assez longtemps, même avec votre courte vie, pour voir les Terriens conquérir l’espace et nous vous aiderons avec notre technologie.

 » Comment vous avez réussi à résoudre notre problème en deux jours et demi – même moins –, je ne le comprendrai jamais, Baley. Vous avez véritablement du génie… Mais venez, vous voulez certainement vous laver et vous reposer un peu. Je sais que moi-même j’en ai besoin.

Pour la première fois depuis l’arrivée du Président, Baley eut le temps de penser à autre chose qu’à sa phrase suivante.

Il ne savait toujours pas quelle était l’idée qui lui était venue par trois fois, d’abord au moment de s’endormir, puis à l’instant de perdre connaissance et enfin dans l’apaisement post-coïtal.

« Il était là avant. »

Cela ne signifiait toujours rien, et pourtant il avait amené le Président à ses vues. Alors, est-ce que c’était significatif, si cela faisait partie d’un mécanisme sans corrélation aucune et qui ne paraissait pas indispensable ? Etait-ce un non-sens ?

Cela continua de l’irriter quand il se mit à table, en vainqueur mais sans le moindre sentiment de victoire. Il avait l’impression que le plus important lui échappait encore.

Et d’abord, est-ce que le Président serait fidèle à sa résolution ? Amadiro avait perdu la bataille mais ne faisait pas du tout l’effet d’un homme prêt à céder. Mais mieux valait lui rendre justice et supposer qu’il pensait sincèrement ce qu’il disait, qu’il n’avait pas été poussé par une vanité personnelle mais par son patriotisme d’Aurorain. Dans ce cas, il ne pourrait pas renoncer.

Baley jugea nécessaire d’en avertir Fastolfe.

— Docteur Fastolfe, je ne crois pas que ce soit fini. Le Dr Amadiro va continuer de lutter pour exclure la Terre.

Fastolfe hocha la tête, alors qu’on leur servait le repas.

— Je n’en doute pas un instant. Je m’y attends. Mais je ne crains rien, tant qu’il ne sera plus question de l’immobilisation de Jander. Cette affaire mise de côté, je suis sûr de pouvoir déjouer les manœuvres d’Amadiro dans la Législature. N’ayez pas peur, Baley, la Terre ne sera pas exclue. Et vous n’avez pas non plus à craindre pour votre personne une vengeance d’Amadiro. Vous allez quitter la planète et retourner chez vous avant le coucher du soleil. Et Daneel vous accompagnera, naturellement. De plus, le rapport que nous enverrons vous assurera, une fois de plus, une intéressante promotion.

— J’ai hâte de partir, avoua Baley, mais j’espère que j’aurai le temps de faire mes adieux. J’aimerais… j’aimerais revoir une dernière fois Gladïa, et dire aussi au revoir à Giskard, qui m’a probablement sauvé la vie hier soir.

— Très certainement, Baley. Mais mangez donc, je vous en prie.

Baley mangea, mais du bout des dents et sans rien savourer. Comme la confrontation avec le Président et la victoire qui avait suivi, les plats lui paraissaient singulièrement fades.

Il n’aurait pas dû gagner. Le Président aurait dû le faire taire. Amadiro aurait dû tout nier plus vigoureusement. Sa parole aurait été acceptée contre celle du Terrien, ou son raisonnement.

Mais Fastolfe jubilait.

— Je craignais le pire, dit-il. J’avais peur que cette réunion avec le Président soit prématurée et que rien de ce que vous pourriez dire ne parvienne à sauver la situation. Pourtant, vous vous êtes admirablement débrouillé. En vous écoutant, j’étais éperdu d’admiration. Je m’attendais à tout instant à ce qu’Amadiro exige qu’on préfère sa parole à celle d’un Terrien qui, après tout, était dans un état de demi-folie, sur une planète inconnue, en plein air…

— Sauf le respect que je vous dois, docteur Fastolfe, interrompit assez froidement Baley, je n’étais pas dans un état de demi-folie. Hier soir, c’était exceptionnel et c’est le seul moment où j’ai perdu le contrôle de moi-même. Pendant tout le reste de mon séjour ici, j’ai été parfois mal à l’aise, de temps en temps, mais j’ai toujours conservé toute ma lucidité. (Un peu de la colère qu’il avait réprimée à grand-peine durant la conversation avec le Président s’exprimait maintenant.) C’est seulement pendant l’orage, monsieur, et aussi, naturellement, pendant quelques instants dans le vaisseau spatial, avant l’atterrissage…

Baley ne sut absolument pas de quelle manière la pensée, le souvenir, l’interprétation lui vint, ni à quelle rapidité. L’idée n’existait pas et puis soudain, à l’instant suivant, elle était là, nette dans son esprit, comme elle l’avait toujours été et n’avait besoin que de la brusque déchirure d’un voile, de l’éclatement d’une bulle de savon pour resplendir.

— Par Jehosaphat ! murmura-t-il en abattant son poing sur la table au risque de casser la vaisselle. Par Jehosaphat !

— Qu’y a-t-il, Baley ? s’étonna le Dr Fastolfe. Baley le regarda fixement et n’entendit la question qu’avec du retard.

— Rien, docteur Fastolfe. Je pensais simplement à l’infernal toupet d’Amadiro, infligeant ces dommages à Jander et essayant ensuite de rejeter le blâme sur vous, s’arrangeant pour me rendre à moitié fou sous l’orage, hier soir, pour ensuite se servir de cela pour faire douter de mes déclarations. J’étais simplement… momentanément… furieux.

— Vous n’avez pas à l’être, Baley. En réalité, il est tout à fait impossible qu’Amadiro ait immobilisé Jander. Je persiste à penser que c’était un accident fortuit… Certes, il est possible que les investigations d’Amadiro aient accru les risques d’un tel accident, mais je préfère ne pas en discuter.

Baley n’entendit cela que d’une oreille. Ce qu’il venait de dire à Fastolfe était une pure invention et ce que répondait Fastolfe n’avait aucune importance. C’était (comme l’aurait dit le Président) sans rapport avec l’affaire. En fait, tout ce qui s’était passé, tout ce qu’il avait lui-même expliqué, ne comptait pas… Mais cela ne changeait rien.