Выбрать главу

— On l’a vu dans tous les mondes spatiens, camarade Elijah. Cela a été un programme très populaire et qui a pleinement démontré que vous êtes un enquêteur tout à fait exceptionnel.

— Alors quel que soit le responsable du roboticide, il a très bien pu avoir une peur exagérée de ce que je pourrais accomplir et, par conséquent, risquer gros pour empêcher mon arrivée… ou me tuer.

— Le Dr Fastolfe, dit calmement Daneel, est tout à fait convaincu que personne n’est responsable du roboticide puisque aucun être humain, à part lui, n’aurait été capable de le commettre. Il est d’avis que c’était un événement purement fortuit. Cependant, il y en a qui essaient de profiter de l’occasion et ce serait dans leur intérêt de vous empêcher de le prouver. Pour cette raison, vous devez être protégé.

Baley fit quelques pas rapides vers une paroi de la cabine et puis revint vers l’autre, comme pour accélérer le cheminement de sa pensée par un exemple physique. Il n’arrivait pas à se sentir personnellement en danger.

— Daneel, dit-il, combien y a-t-il de robots humaniformes, en tout, à l’Aurora ?

— Vous voulez dire maintenant que Jander ne fonctionne plus ?

— Oui, maintenant que Jander est mort.

— Un seul, camarade Elijah.

Baley s’arrêta net et regarda fixement Daneel. Ses lèvres articulèrent deux mots, en silence : « Un seul ? »

— Attends, Daneel, dit-il enfin. Que je comprenne bien. Tu es l’unique robot humaniforme d’Aurora ?

— D’Aurora et de tous les autres mondes, camarade Elijah. Je croyais que vous le saviez. Je suis le prototype et ensuite Jander a été construit. Depuis lors, le Dr Fastolfe a refusé d’en fabriquer d’autres et personne sinon lui n’est capable de le faire.

— Mais, dans ce cas, puisque sur deux robots anthropoïdes, ou humaniformes comme tu dis, un a été tué, l’idée ne vient pas au Dr Fastolfe que l’unique humaniforme restant – toi, Daneel – pourrait être en danger ?

— Il reconnaît cette possibilité. Mais le risque qu’un événement aussi invraisemblable qu’un gel mental total se produise une seconde fois, accidentellement, est tellement inimaginable qu’il ne le prend pas au sérieux. Il pense, cependant, qu’il existe le risque d’une autre mésaventure. Cela, je crois, a joué un petit rôle dans sa décision de m’envoyer vous chercher. Cela m’éloignait d’Aurora pendant une semaine ou deux.

— Et tu es maintenant tout aussi prisonnier que moi, n’est-ce pas, Daneel ?

— Je suis un prisonnier, répondit gravement Daneel, uniquement en ce sens que je ne dois pas quitter cette cabine.

— Dans quel autre sens est-on prisonnier ?

— Dans ce sens que la personne ainsi restreinte dans ses mouvements résiste à la contrainte. Un véritable emprisonnement implique qu’il est involontaire. Je comprends très bien la raison de ma présence ici et j’en reconnais la nécessité.

— Toi peut-être, grommela Baley, mais pas moi ! Je suis un prisonnier dans toute l’acception du mot. Et d’abord, qu’est-ce qui garantit notre sécurité ici ?

— Eh bien d’abord, camarade Elijah, Giskard est de garde devant la porte.

— Est-il assez intelligent pour ça ?

— Il comprend entièrement les ordres. Il est solide, fort, et il se rend parfaitement compte de l’importance de sa tâche.

— Tu veux dire qu’il est prêt à être détruit, pour nous protéger tous les deux ?

— Oui, naturellement, tout comme je suis prêt à être détruit pour vous protéger.

Baley se sentit un peu honteux.

— Tu ne t’insurges pas contre une situation où tu pourrais être forcé de renoncer à l’existence pour moi ?

— C’est dans ma programmation, camarade Elijah, dit Daneel avec simplicité, et sa voix parut s’adoucir. Pourtant, je ne sais comment, il me semble que même si ce n’était pas dans ma programmation, vous sauver la vie rendrait la perte de ma propre existence bien peu de chose par comparaison.

Baley fut bouleversé par cet aveu et ne put se contenir. Il tendit la main et la referma sur celle de Daneel, en la serrant farouchement.

— Merci, camarade Daneel, mais je t’en prie, tâche que cela n’arrive pas. Je ne souhaite pas la perte de ton existence. Il me semble qu’à côté, la préservation de la mienne est sans grande importance pour moi.

Baley fut ahuri de s’apercevoir qu’il parlait très sincèrement. Il fut même vaguement horrifié à la pensée qu’il serait prêt à risquer sa vie pour un robot. Non… pas pour un robot. Pour Daneel.

10

Giskard entra sans prévenir. Baley avait fini par s’y habituer. Le robot, étant son gardien, devait être libre d’aller et de venir à son gré. Et Giskard n’était qu’un robot, aux yeux de Baley, même si on ne parlait pas de lui comme d’un objet, même si l’on ne mentionnait pas le « R ». S’il se grattait, se mettait les doigts dans le nez, se livrait à n’importe quelle fonction biologique malpropre, il lui semblait que Giskard resterait indifférent, ne jugerait pas, serait incapable de réagir autrement que froidement, en enregistrant l’observation dans quelque banque interne de mémoire.

Cela faisait simplement de lui un meuble ambulant et Baley n’éprouvait aucune gêne en sa présence, non que Giskard se soit jamais montré importun en faisant irruption à un moment délicat, pensa distraitement Baley.

Giskard apportait une espèce de coffret.

— Monsieur, dit-il, je me doute que vous souhaitez toujours voir Aurora de l’espace.

Baley sursauta. Il fut certain que Daneel avait remarqué son irritation et avait décidé de plaider sa cause ; c’était sa façon de s’y prendre. Laisser faire cela par Giskard et le présenter comme si c’était une idée de son esprit simplet de robot, c’était vraiment de la délicatesse de la part de Daneel. Cela éviterait à Baley d’exprimer obligatoirement sa gratitude. Du moins Daneel le pensait.

Effectivement, Baley avait été plus exaspéré d’être inutilement, à son point de vue, empêché de regarder Aurora que d’être maintenu prisonnier. Depuis le Bond, il y avait déjà deux jours, il ne cessait de fulminer et de regretter de ne pas voir ce spectacle. Il se tourna donc vers Daneel et lui sourit.

— Merci, mon ami.

— C’est une idée de Giskard, répondit Daneel.

— Oui, bien sûr, dit Baley avec un autre petit sourire. Je le remercie aussi. Qu’est-ce que c’est que ça, Giskard ?

— C’est, essentiellement, un récepteur de télévision ordinaire, relié au poste de vision, monsieur. Si je puis me permettre…

— Oui ?

— Vous ne trouverez pas la vue particulièrement passionnante, monsieur. Je ne voudrais pas que vous soyez inutilement déçu.

— J’essaierai de ne pas espérer trop, Giskard. Quoi qu’il en soit, je ne te tiendrai pas pour responsable de la déception que j’éprouverai peut-être.

— Merci, monsieur. Je dois retourner à mon poste mais Daneel pourra vous aider à faire fonctionner l’instrument, si besoin est et si vous avez un problème.

Il sortit et Baley se tourna vers Daneel.

— Je trouve que Giskard s’est très bien débrouillé, là. C’est peut-être un modèle simple, mais il a été bien conçu.

— Lui aussi est un robot Fastolfe, camarade Elijah. Ce poste de télévision se règle automatiquement. Comme il est déjà branché sur Aurora, il vous suffit de toucher la télécommande. Cela le mettra en marche et vous n’aurez rien d’autre à faire. Voulez-vous le mettre en marche vous-même ?

Baley fit un geste d’indifférence.

— Inutile. Tu peux le faire.

— Très bien.

Daneel avait placé le coffret sur la table où Baley avait visionné ses films.