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C’était un demi-cercle de lumière presque parfait quand Baley remarqua ces phases. Il interrogea Daneel qui répondit :

— Nous approchons de l’extérieur du plan orbital, camarade Elijah. Le pôle sud d’Aurora est plus ou moins au centre du disque, plutôt dans la partie éclairée. C’est le printemps, dans l’hémisphère sud.

— D’après les ouvrages que je viens de lire, l’axe d’Aurora est incliné de seize degrés.

Baley avait parcouru la description physique de la planète avec une attention insuffisante, dans sa hâte de connaître les Aurorains, mais il se souvenait de cela.

— Oui, camarade Elijah. Bientôt, nous allons nous mettre sur orbite autour d’Aurora et la phase changera rapidement. Aurora tourne plus vite sur elle-même que la Terre…

— Oui, elle a une journée de vingt-deux heures.

— Une journée de vingt-deux virgule trois heures traditionnelles. Le jour aurorain est divisé en dix heures auroraines de cent secondes. Ainsi, la seconde auroraine correspond plus ou moins à une seconde de la Terre.

C’est ça que veulent dire les livres, quand ils parlent d’heures métriques, de minutes métriques ?

— Oui. Au début, il a été difficile de persuader les Aurorains d’abandonner les unités de temps auxquelles ils étaient habitués et l’on se servait des deux systèmes, le normal et le métrique. Finalement, bien sûr, c’est le métrique qui a gagné. A présent, nous ne parlons plus que d’heures, de minutes et de secondes, sans spécifier, mais c’est invariablement de la version décimalisée qu’il s’agit. Le même système a été adopté dans tous les mondes spatiens, bien que sur les autres il ne concorde pas avec la rotation de la planète. Chacune emploie également un système local, naturellement.

— Comme la Terre.

— Oui, mais la Terre n’utilise que les unités de temps originales standard. C’est gênant pour les mondes spatiens, pour les échanges et le commerce, mais les Spatiens permettent à la Terre d’agir comme il lui plaît en cela.

— Pas par amitié, j’imagine ! Je les soupçonne de vouloir souligner la différence de la Terre… Mais comment est-ce que la décimalisation concorde avec l’année ? Aurora doit avoir une période naturelle de révolution autour de son soleil, qui contrôle le cycle de ses saisons. Comment a-t-on maîtrisé cela ?

— Aurora tourne autour de son soleil en 373, 5 jours aurorains, c’est-à-dire à peu près 0,95 année terrestre. Ce n’est pas considéré comme une question capitale, en chronologie. Aurora accepte que trente de ses jours équivalent à un mois, et dix mois à une année métrique. L’année métrique est égale à environ 0,8 année saisonnière ou à trois quarts d’une année terrestre. Le rapport est différent sur chaque monde, bien entendu. On appelle généralement dix jours un décimois. Tous les mondes spatiens emploient ce système.

— Mais il doit bien y avoir un moyen commode de suivre le cycle des saisons ?

— Chaque monde a son année saisonnière mais on n’y fait pas grande attention. On peut, par l’ordinateur, convertir n’importe quel jour, passé ou présent, à sa position dans l’année saisonnière si, pour une raison quelconque, cette information est souhaitée, et cela est vrai de n’importe quel monde, où la conversion des jours locaux est également possible. Et naturellement, camarade Elijah, n’importe quel robot peut faire la même chose et guider l’activité humaine là où la saison ou l’heure locale ont de l’importance. L’avantage du système métrique, c’est qu’il fournit à l’humanité une chronométrie unifiée qui n’exige guère que le déplacement d’une virgule décimale.

Baley était agacé que les livres qu’il avait parcourus n’expliquent clairement rien de tout cela. Mais aussi, d’après ses propres connaissances de l’histoire de la Terre, il savait qu’à une époque le mois lunaire était la clef du calendrier et qu’à un certain moment, pour faciliter la chronométrie, le mois lunaire avait été abandonné et jamais regretté. Pourtant, s’il avait donné sur la Terre des livres à un étranger, cet étranger n’aurait fort probablement trouvé aucune mention du mois lunaire ni de tout bouleversement historique des calendriers. Les dates étaient données sans explications.

Qu’y avait-il d’autre, que l’on donnait sans explications ?

Jusqu’à quel point pouvait-il compter, par conséquent, sur les connaissances qu’il glanait ? Il aurait à poser constamment des questions, sans rien prendre pour acquis.

Baley se dit qu’il y aurait de nombreux cas où l’évidence lui échapperait, beaucoup de risques de malentendus et mille et une façons de prendre le mauvais chemin.

Maintenant, quand Baley allumait l’astrosimulateur, Aurora emplissait sa vision et ressemblait à la Terre. (Il n’avait jamais vu la Terre de cette façon, mais il y avait des photos dans les ouvrages d’astronomie.)

Or, ce que voyait Baley sur Aurora, c’était les mêmes motifs nuageux, le même aperçu de régions désertiques, les mêmes vastes étendues de jour et de nuit, les mêmes groupements de lumières clignotantes dans l’hémisphère plongé dans la nuit, exactement comme sur les photos du globe terrestre.

Baley regardait avec ravissement et pensait : « Et si, pour une mystérieuse raison, j’avais été emmené dans l’espace, si l’on m’avait dit qu’on me transportait à Aurora alors qu’en réalité on me ramenait sur la Terre dans je ne sais quel dessein… pour une raison subtile et démente ? Comment pourrais-je m’en apercevoir avant l’atterrissage ? »

Y avait-il une raison d’avoir des soupçons ? Daneel avait pris soin de lui dire que les constellations étaient les mêmes dans le ciel des deux planètes, mais est-ce que ce n’était pas naturel, pour des planètes tournant autour d’astres voisins ? Vu de l’espace, l’aspect général des deux planètes était identique, mais ne fallait-il pas s’y attendre si toutes deux étaient habitables et habitées, confortablement adaptées à la vie humaine ?

Y avait-il une raison d’imaginer une aussi invraisemblable tromperie dont il serait victime ? Cela servirait à quoi ? Et si une raison avait existé de faire une chose aussi fantastique, ne l’aurait-il pas immédiatement décelée ?

Daneel pourrait-il être complice d’une telle conspiration ? Sûrement pas, s’il était un être humain. Mais il n’était qu’un robot ; ne pouvait-il donc avoir reçu un ordre de se conduire d’une manière appropriée ?

Baley était incapable de prendre une décision. Il se surprenait à chercher les contours de continents qu’il saurait reconnaître, comme étant terrestres ou non. Ce serait la preuve concluante, mais ça ne marchait pas, hélas !

Les aperçus qui passaient rapidement entre les nuages ne lui étaient d’aucune utilité. Il ne connaissait pas assez bien la géographie de la Terre. Tout ce qu’il connaissait de sa planète, c’était ses villes souterraines, ses caves d’acier.

Les portions de côtes qu’il voyait ne lui rappelaient rien. Il était incapable de dire si elles étaient de la Terre ou d’Aurora.

Et d’ailleurs, pourquoi cette incertitude ? Quand il était allé à Solaria, jamais il n’avait douté de sa destination, pas un instant il n’avait soupçonné qu’il retournait sur la Terre. Oui, mais c’était alors une mission claire et précise, qui avait une chance raisonnable de réussite. Tandis que maintenant, il avait l’impression de n’avoir pas la moindre chance.

Peut-être voulait-il retourner sur la Terre, dans le fond ; alors il échafaudait une conspiration imaginaire, pour croire la chose possible ?

L’incertitude en venait à avoir une vie propre, dans son esprit. Il ne pouvait s’en départir. Il se surprenait à observer Aurora avec une intensité presque démente, il était incapable de revenir à la réalité de la cabine.