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Aurora bougeait, tournait lentement…

Il l’avait observée assez longtemps pour le remarquer. Alors qu’il contemplait l’espace, tout était resté immobile, comme une toile peinte, un motif silencieux et statique de points lumineux avec, plus tard, un petit demi-cercle de lumière parmi eux. Etait-ce l’immobilité qui lui avait permis de ne pas être agoraphobe ?

Mais à présent il voyait bouger Aurora et il comprenait que le vaisseau entamait sa descente en spirale et se préparait à atterrir. Les nuages montaient à toute vitesse…

Non, pas les nuages, le vaisseau plongeait. Le vaisseau bougeait. Il bougeait lui-même. Il eut soudain conscience de son existence. Il était précipité à travers les nuages. Il tombait, sans protection, dans le vide, vers un sol dur.

Sa gorge se contracta, il avait grand mal à respirer.

Il se répéta désespérément : « Tu n’es pas dehors, les parois de la cabine, du vaisseau sont tout autour de toi ! »

Mais il ne sentait pas de murs.

Il se dit : « Même sans murs, tu es quand même enveloppé. Tu es entouré d’une peau. »

Mais il ne sentait aucune peau.

C’était pire que s’il était un être humain nu, il était une personnalité non accompagnée, l’essence de l’identité totalement découverte, un point vivant, une singularité entourée par un monde vide et infini et il tombait.

Il voulait éteindre la vision, resserrer les doigts autour de la commande, mais rien ne se passa. Ses yeux refusaient de se fermer, ses doigts ne se contractaient pas. Il était pris, hypnotisé par la terreur, paralysé par la frayeur.

Tout ce qu’il sentait autour de lui, c’était des nuages, blancs, pas tout à fait blancs, blanc cassé, un peu dorés, orangés…

Et tout vira au gris… et il se noyait. Il ne pouvait plus respirer. Il se débattit, il lutta désespérément pour libérer sa gorge nouée, pour appeler Daneel au secours…

Il ne pouvait pas émettre le moindre son…

11

Baley respirait comme s’il venait de franchir la ligne d’arrivée après une longue course. La cabine était de travers et il y avait une surface dure sous son coude gauche.

Il s’aperçut qu’il était sur le sol.

Giskard était agenouillé à côté de lui, sa main de robot (ferme mais assez froide) refermée autour de son poignet droit. La porte de la cabine, qu’il apercevait derrière l’épaule de Giskard, était entrebâillée.

Baley comprit, sans le demander, ce qui s’était passé. Giskard avait saisit cette main inerte et l’avait serrée sur la télécommande de l’astrosimulateur. Autrement…

Daneel était là aussi, sa figure tout près de celle de Baley, avec une expression que l’on pouvait croire douloureuse.

— Vous n’avez rien dit, camarade Elijah. Si j’avais eu plus rapidement conscience de votre malaise…

Baley essaya de faire signe qu’il comprenait, que ça n’avait pas d’importance. Il était toujours incapable de parler.

Les deux robots attendirent qu’il fasse un faible mouvement pour se relever. Aussitôt, des bras l’entourèrent, le soulevèrent. Il fut déposé dans un fauteuil et la commande fut doucement retirée de sa main par Giskard.

— Nous allons bientôt atterrir, dit Giskard. Vous n’aurez plus besoin de l’astrosimulateur, je pense. Daneel ajouta gravement :

— D’ailleurs, mieux vaut l’emporter.

— Attendez ! protesta Baley.

Sa voix était rauque, chuchotante, il n’était pas sûr de se faire comprendre, alors il respira profondément, s’éclaircit tant bien que mal la gorge et répéta :

— Attendez !… Giskard !

Giskard se retourna.

— Monsieur ?

Baley ne parla pas immédiatement. Maintenant que Giskard savait que l’on avait besoin de lui, il attendrait le temps qu’il faudrait, indéfiniment peut-être. Baley s’efforçait de mettre de l’ordre dans le chaos de ses idées. Agoraphobie ou non, il lui restait encore cette incertitude quant à sa destination réelle. Cette inquiétude s’était déclarée en premier lieu, et il se pouvait bien qu’elle ait intensifié l’agoraphobie.

Il devait savoir ! Giskard ne mentirait pas. Un robot ne pouvait mentir, à moins qu’on lui ait très soigneusement ordonné de le faire. Et pourquoi donner ces ordres à Giskard ? Son compagnon était Daneel, qui ne devait pas le quitter. S’il y avait des mensonges à débiter, ce serait le travail de Daneel. Giskard n’était qu’un simple « garçon » de courses, un gardien à la porte. Il n’y aurait donc eu nul besoin de lui faire la leçon et de lui programmer un tissu de mensonges.

— Giskard, dit-il enfin d’une voix redevenue normale.

— Monsieur ?

— Nous sommes sur le point d’atterrir, n’est-ce pas ?

— Dans un peu moins de deux heures, monsieur.

Deux heures métriques, probablement, pensa Baley. Plus que deux heures réelles ? Moins ? peu importait. Ça ne ferait que tout compliquer. Laissons tomber.

Il dit, avec autant d’autorité qu’il le put :

— Donne-moi immédiatement le nom de la planète sur laquelle nous allons atterrir.

Un être humain, s’il avait répondu, ne l’aurait fait qu’après une légère pause et d’un air considérablement surpris.

Mais Giskard répondit instantanément, par une affirmation dépourvue de la moindre inflexion :

— C’est Aurora, monsieur.

— Comment le sais-tu ?

— C’est notre destination. Et puis, aussi, ça ne pourrait pas être la Terre, par exemple, puisque le soleil d’Aurora, Tau Ceti, ne représente que 90 % de la masse du soleil de la Terre. Tau Ceti est légèrement plus froid, par conséquent, et sa lumière a une teinte orangée très nette pour l’œil neuf de Terriens qui n’y sont pas habitués. Vous avez peut-être déjà remarqué la couleur caractéristique du soleil d’Aurora dans les reflets de la couche supérieure des nuages. Vous la verrez certainement dans tout l’aspect du paysage, jusqu’à ce que vos yeux s’y accoutument.

Baley se détourna de la figure impassible de Giskard. Il avait effectivement remarqué la couleur différente mais n’y avait attaché aucune importance. Une grave erreur, se dit-il.

— Tu peux aller, Giskard.

— Bien, monsieur.

Amèrement, Baley se tourna vers Daneel.

— Je viens de me ridiculiser, Daneel.

— Si je comprends bien, vous avez cru que nous vous trompions et vous emmenions ailleurs qu’à Aurora. Aviez-vous une raison de soupçonner cela, camarade Elijah ?

— Aucune. Il est possible que ce soupçon ait été provoqué par le malaise venant d’une agoraphobie subliminale. En contemplant tout cet espace immobile, je n’ai pas ressenti de malaise perceptible mais il devait exister juste sous la surface, créant une inquiétude croissante.

— La faute est la nôtre, camarade Elijah. Connaissant votre aversion pour les grands espaces, nous avons eu tort de vous soumettre à l’astrosimulation ou, l’ayant fait, de ne pas mieux vous surveiller.

Baley, agacé, secoua la tête.

— Ne dis pas ça, Daneel. J’étais bien assez surveillé. La question qui se pose pour moi, c’est de savoir à quel point je serai surveillé à Aurora même.

— Il me semble, camarade Elijah, qu’il sera difficile de vous permettre un libre accès à Aurora et aux Aurorains.

— Néanmoins, c’est justement ce qui doit m’être permis. Si je veux découvrir la vérité sur ce roboticide, je dois être libre d’enquêter directement sur les lieux et d’interroger toutes les personnes en cause.