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Baley était maintenant tout à fait remis, bien qu’encore un peu fatigué. Curieusement, et cela l’embarrassa, l’intense épreuve par laquelle il venait de passer lui laissait un violent désir d’une pipe de tabac, une habitude dont il croyait s’être définitivement débarrassé depuis plus d’un an. Il croyait sentir le goût et l’odeur du tabac passant par sa gorge et son nez.

Il lui faudrait cependant se contenter du souvenir. Il savait qu’à Aurora, en aucun cas il ne serait autorisé à fumer. Il n’y avait pas de tabac dans les mondes spatiens et, s’il en avait eu sur lui, on le lui aurait confisqué et détruit.

— Camarade Elijah, dit Daneel, il faudra discuter de cela avec le Dr Fastolfe, dès que nous aurons atterri. Je n’ai aucun pouvoir pour prendre quelque décision que ce soit à ce sujet.

— Je le sais bien, Daneel, mais comment vais-je parler à Fastolfe ? Par l’équivalent d’un astrosimulateur ? Avec une télécommande dans la main ?

— Pas du tout, camarade Elijah. Vous vous entretiendrez face à face. Il a l’intention de vous attendre et de vous accueillir au cosmoport.

12

Baley guettait les bruits de l’atterrissage. Il ne savait pas quels ils seraient, bien entendu. Il ignorait le mécanisme du vaisseau, le nombre d’hommes et de femmes qu’il transportait, ce que l’équipage aurait à faire au cours du processus d’atterrissage, quel genre de bruit retentirait.

Des cris ? Des vrombissements ? Une vague vibration ?

Il n’entendit rien du tout.

— Vous me paraissez tendu, camarade Elijah, dit Daneel. Je préférerais que vous n’attendiez pas pour me parler de tout malaise que vous pourriez éprouver. Je dois vous aider au moment même où, pour une raison ou pour une autre, vous êtes malheureux.

Le mot « dois » était un peu appuyé.

Baley pensa distraitement que Daneel était mû par la Première Loi. Il se dit : « Il a sûrement souffert à sa façon autant que j’ai souffert moi-même en esprit quand je me suis effondré, ce qu’il n’avait pas prévu à temps. Un déséquilibre interne de potentiels positroniques ne signifie sans doute rien pour moi mais risque de produire chez lui le même effet et la même réaction qu’une vive douleur chez moi. »

Et il alla plus loin, pensant : « Comment puis-je savoir ce qui existe sous la pseudo-peau et la pseudo-conscience d’un robot, pas plus qu’il ne peut comprendre ce qui se passe en moi ? »

Puis, éprouvant du remords d’avoir pensé à Daneel comme à un robot, Baley regarda au fond de ses yeux chaleureux (quand avait-il commencé à trouver leur expression chaleureuse ?) et dit :

— Je t’avertirai immédiatement du moindre malaise. En ce moment, je n’en éprouve aucun, je cherche seulement à entendre les bruits qui pourraient me révéler tant soit peu de la procédure d’atterrissage, camarade Daneel.

— Merci, camarade Elijah, répondit gravement Daneel en inclinant légèrement la tête. L’atterrissage ne devrait provoquer aucun malaise. Vous sentirez sans doute l’accélération mais elle sera réduite au minimum car cette cabine s’infléchira, dans une certaine mesure, dans la direction de l’accélération. La température montera peut-être, mais d’à peine deux degrés Celsius. Quant aux effets soniques, vous percevrez un léger sifflement bas, quand nous traverserons l’atmosphère épaissie. Est-ce que cela vous dérangera ?

— Je ne le pense pas. Ce qui me chiffonne, c’est de n’être pas libre de participer à l’atterrissage. J’aimerais apprendre comment ça se passe. Je ne veux pas être emprisonné et tenu à l’écart des événements.

— Vous avez découvert, camarade Elijah, que la nature des événements ne convient pas à votre tempérament.

— Et comment vais-je surmonter ça, Daneel ? Ce n’est pas une raison suffisante pour me garder ici !

— Camarade Elijah, je vous ai déjà expliqué que vous êtes gardé ici pour votre propre sécurité. Baley secoua la tête d’un air nettement écœuré.

— J’y ai réfléchi et je trouve ça ridicule. Mes chances d’éclaircir cette regrettable affaire sont déjà si minces, avec toutes les restrictions qu’on m’impose et avec la difficulté que je vais avoir à comprendre quoi que ce soit d’Aurora, qu’il me semble qu’aucune personne de bon sens ne devrait se donner le mal d’essayer de me retenir. Et si on essaie, pourquoi prendre la peine de m’attaquer personnellement ? Pourquoi ne pas saboter le vaisseau ? Si nous imaginons que nous affrontons une horde de malfrats qui estiment que tous les coups sont permis, ils devraient se dire qu’un vaisseau est un prix bien léger à payer, un vaisseau et tous ceux qui sont à bord, bien sûr, Giskard et toi, et moi bien entendu !

— Cela a été envisagé, camarade Elijah. Le vaisseau a été soigneusement étudié et examiné. La moindre trace de sabotage aurait été détectée.

— En es-tu certain ? Sûr à cent pour cent ?

— Il est impossible d’être absolument certain de ce genre de chose. Cependant, Giskard et moi avons été rassurés par la pensée que la certitude était très élevée et que l’on pouvait partir avec un risque infime de catastrophe.

— Et si vous vous trompiez ?

Quelque chose de semblable à un vague signe d’inquiétude passa sur la figure de Daneel, comme s’il pensait qu’on lui demandait de considérer un sujet allant à l’encontre du bon fonctionnement des circuits positroniques de son cerveau. Il répliqua :

— Mais nous ne nous sommes pas trompés.

— Tu ne peux pas encore l’affirmer. Nous allons bientôt atterrir et c’est le moment le plus dangereux. En fait, à ce stade, il n’est pas besoin de saboter le vaisseau. Mon danger personnel est plus grand maintenant, en ce moment même. Je ne peux pas rester caché dans cette cabine, si je dois débarquer à Aurora. Je vais devoir traverser le vaisseau et être à la portée de tous les autres. As-tu pris des précautions pour assurer la sécurité de l’atterrissage ?

(Baley savait qu’il était mesquin, en s’attaquant inutilement à Daneel pour la simple raison que son long emprisonnement l’exaspérait… et à cause de l’indignité de son instant de défaillance.)

Mais Daneel répondit calmement :

— Nous en avons pris, camarade Elijah. Et, incidemment, nous avons atterri. Nous sommes en ce moment posés sur la surface d’Aurora.

Baley fut tout à fait ahuri. Il se retourna vivement de tous côtés mais, naturellement, il n’y avait rien à voir que les parois de la cabine. Il n’avait rien senti, rien entendu, rien de ce que Daneel avait décrit. Pas la moindre accélération, pas de chaleur, pas de sifflement du vent… A moins que Daneel n’ait volontairement abordé le sujet du danger personnel qu’il courait, afin de le détourner d’autres questions inquiétantes mais sans importance ?

— Et pourtant, insista Baley, il y a encore la question du débarquement. Comment vais-je descendre sans m’exposer à des ennemis possibles ?

Daneel s’approcha d’une paroi et toucha un endroit précis. Aussitôt, la paroi se fendit en deux et les deux moitiés s’écartèrent. Baley vit devant lui un long cylindre, un tunnel.

Giskard entra alors dans la cabine par l’autre porte et annonça :

— Nous allons passer tous les trois par le tube de sortie, monsieur. D’autres personnes le surveillent de l’extérieur. A l’autre extrémité du tube, le Dr Fastolfe attend.

— Nous avons pris toutes les précautions, déclara Daneel.

— Je te demande pardon, Daneel, marmonna Baley. A Giskard aussi.

La mine sombre, il s’engagea dans le tube de sortie. Tous les efforts pour le rassurer, pour lui dire que toutes les précautions avaient été prises, l’assuraient aussi que ces précautions étaient jugées nécessaires.