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— N’y pense plus. Ça ne va pas se faire si facilement.

— Nous devons essayer. Le gouvernement ne nous laissera pas partir si Aurora ne nous donne pas le feu vert. C’est le plus grand et le plus fort des mondes spatiens et sa parole…

— … a force de loi, je sais. Nous avons parlé de ça des millions de fois. Mais tu n’as pas besoin d’aller là-bas pour obtenir l’autorisation. Les hyper-relais ne sont pas faits pour les chiens. Tu peux leur parler d’ici. Ça aussi, je te l’ai dit je ne sais combien de fois.

— Ce n’est pas pareil. Nous aurons besoin d’un contact face à face, je te l’ai assez souvent répété.

— Oui, enfin, quoi qu’il en soit, nous ne sommes pas encore prêts.

— Nous ne sommes pas prêts parce que la Terre ne nous donne pas les vaisseaux. Les Spatiens nous les donneront, et avec toute l’aide technique nécessaire.

— Quelle naïveté ! Pourquoi est-ce que les Spatiens feraient ça ? Depuis quand ont-ils de la bienveillance pour les Terriens comme nous, à la vie courte ?

— Si je pouvais leur parler…

Ben s’esclaffa.

— Allons, papa. Tu veux simplement aller à Aurora pour revoir cette femme !

Baley fronça les sourcils.

— Une femme ? Par Jehosaphat, qu’est-ce que tu racontes ?

— Ecoute, papa ! Entre nous, et pas un mot à maman, qu’est-ce qui s’est vraiment passé avec cette femme de Solaria ? Je suis assez grand. Tu peux me le dire, quoi !

— Quelle femme de Solaria ?

— Comment peux-tu me regarder en face et prétendre ne rien savoir de la femme que tout le monde sur Terre a vue dans la dramatique en Hyperonde ? Gladïa Delamarre. Cette femme-là !

— Il ne s’est rien passé. Ce truc de l’Hyperonde était grotesque. Je te l’ai dit et répété mille fois. Elle n’était pas comme ça. Moi, je n’étais pas comme ça. Tout a été inventé, et tu sais que ça a été fabriqué en dépit de mes protestations, simplement parce que le gouvernement pensait que ça ferait bien voir la Terre, aux yeux des Spatiens. Et tâche de ne pas aller insinuer autre chose à ta mère !

— Loin de moi la pensée. Quand même, cette Gladïa est allée à Aurora et c’est là que tu veux tout le temps aller.

— Tu veux me faire croire que tu penses réellement que ma seule raison d’aller à Aurora… Ah, Jehosaphat ! Ben haussa les sourcils.

— Qu’est-ce qui t’arrive ?

— Ce robot. C’est R. Geronimo.

— Qui ça ?

— Un de nos robots-messagers de la police. Et il est là dehors ! Je suis en congé et j’ai fait exprès de laisser mon récepteur à la maison, parce que je ne voulais pas qu’on puisse me joindre. C’est mon droit de C-7 et pourtant ils m’envoient chercher par robot !

— Comment sais-tu que c’est pour toi qu’il vient, papa ?

— Par une déduction très astucieuse. Premièrement, il n’y a personne d’autre ici qui ait des rapports avec la police et, deuxièmement, ce misérable objet se dirigé droit sur moi. D’où j’en déduis que c’est moi qu’il veut. Je devrais me glisser de l’autre côté de l’arbre et y rester.

— Ce n’est pas un mur, papa. Il peut faire le tour de l’arbre.

A ce moment, le robot appela :

— Maître Baley, j’ai un message pour vous. On vous demande au siège.

Le robot s’arrêta, attendit, puis répéta :

— Maître Baley, j’ai un message pour vous. On vous demande au siège.

— J’entends et je comprends, répliqua Baley d’une voix sans timbre.

Il devait dire cela, sinon le robot continuerait de se répéter.

Fronçant légèrement les sourcils, il examina le robot. C’était un nouveau modèle, un peu plus humanoïde que les précédents. Il avait été déballé et activé depuis un mois à peine, en assez grande pompe. Le gouvernement cherchait constamment quelque chose – n’importe quoi – qui ferait mieux accepter les robots.

Sa surface était grisâtre à revêtement mat et quelque peu élastique au toucher (vaguement comme du cuir souple). L’expression, tout en restant inchangée, n’était pas tout à fait aussi stupide que chez la plupart des robots. Mais, en réalité, il était mentalement aussi idiot que les autres.

Baley pensa un instant à R. Daneel, le robot spatien qui avait accompli deux missions avec lui, une sur Terre, l’autre sur Solaria. Daneel était un robot si humain que Baley pouvait le traiter comme un ami et, encore aujourd’hui, il lui manquait. Si tous les robots étaient comme ça…

— C’est mon jour de congé, boy, dit Baley. Il n’est pas nécessaire que j’aille au siège.

R. Geronimo hésita. Une légère vibration se produisit dans ses mains. Baley la remarqua et comprit aisément que cela signifiait un certain conflit dans les circuits positroniques. Les robots devaient obéir aux êtres humains mais il était courant que deux humains exigent deux espèces d’obéissance différentes.

Le robot fit son choix et dit :

— C’est votre jour de congé, maître… On vous demande au siège.

Ben, inquiet, intervint :

— Si on a besoin de toi, papa…

Baley haussa les épaules.

— Ne te laisse pas avoir, Ben. S’ils avaient réellement besoin de moi, ils auraient envoyé une voiture fermée et employé probablement un volontaire humain, au lieu d’ordonner à un robot de venir à pied et de m’irriter avec un de ses messages.

Ben secoua la tête.

— Je ne crois pas, papa. Ils ne pouvaient pas savoir où tu étais, ni combien de temps il faudrait pour te trouver. Je ne crois pas qu’ils voudraient envoyer un être humain pour des recherches incertaines.

— Ouais ? R. Geronimo, retourne au siège et dis-leur que je serai au travail à neuf heures du matin… Va ! C’est un ordre !

Le robot hésita visiblement, puis il pivota, s’éloigna, se retourna encore, tenta de revenir et finit par s’arrêter sur place. Il vibrait de tout son corps.

Baley, encore une fois, comprit fort bien et marmonna à Ben :

— Il va probablement falloir que j’y aille. Jehosaphat !

Ce qui troublait le robot, c’était ce que les roboticiens appelaient un équipotentiel de contradiction au second niveau. L’obéissance était la Deuxième Loi et R. Geronimo souffrait en ce moment de deux ordres également impératifs et contradictoires. Dans le public, on faisait vulgairement allusion au robot-blocage ou plus fréquemment, pour simplifier, au robloc.

Lentement, le robot se retourna. L’ordre initial était le plus fort, mais pas de beaucoup, et sa voix fut altérée, éraillée.

— Maître, on m’a dit que vous diriez ça. Dans ce cas je devais dire… (Il hésita puis il ajouta, d’une voix encore plus rauque :) Je devais dire, si vous êtes seul…

Baley fit signe à son fils et Ben n’attendit pas. Il savait quand son père était « papa » et quand il était un policier ; il battit donc en retraite promptement.

Pendant quelques instants, Baley, irrité, envisagea de renforcer son ordre, ce qui rendrait le robloc plus total, mais cela provoquerait sûrement des dégâts exigeant une analyse positronique et une reprogrammation. Les frais de ces réparations seraient déduits de sa feuille de paie et risquaient fort de se monter à une année de salaire.

— Je retire mon ordre, dit-il. Que t’a-t-on dit de me dire ?

Aussitôt, la voix de R. Geronimo s’éclaircit.

— Je devais dire que l’on vous demande pour une affaire concernant Aurora.