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Baley se retourna vers Ben et lui cria :

— Accorde-leur encore une demi-heure et puis dis que je veux qu’ils rentrent. Je suis obligé de partir tout de suite.

Et il se mit en marche à longues foulées, en grommelant avec mauvaise humeur :

— Ils ne pouvaient pas te dire de me dire ça tout de suite ? Et pourquoi est-ce qu’ils ne te programment pas pour conduire une voiture, au lieu de me faire marcher ?

Il savait très bien pourquoi cela ne se faisait pas. Tout accident mettant en cause une voiture conduite par un robot déclencherait une nouvelle émeute antirobots.

Il ne ralentit pas son allure. Il y avait près d’un kilomètre et demi, avant d’arriver aux murs de la Ville et, ensuite, ils auraient à se frayer un chemin jusqu’au siège dans une circulation embouteillée.

Aurora ? Quelle espèce de crise y avait-il encore ?

2

Baley mit vingt minutes à atteindre l’entrée de la Ville et il se prépara à ce qui l’attendait, tout en se disant que peut-être – peut-être ! – cela n’arriverait pas cette fois.

En atteignant l’espace séparant l’Extérieur de la Ville, établissant la distinction entre le chaos et la civilisation, il appliqua la main sur la plaque signalisatrice et une ouverture apparut. Comme d’habitude, il n’attendit pas qu’elle soit totalement ouverte et se glissa dès qu’elle fut assez large pour lui. R. Geronimo le suivit.

La sentinelle de la police, de service ce jour-là, sursauta comme toujours lorsque quelqu’un arrivait de l’Extérieur. A chaque fois, c’était la même expression de stupeur, la même mise au garde-à-vous soudaine, la même main sur la crosse du foudroyeur, le même froncement de sourcils indécis.

De mauvaise grâce, Baley présenta sa carte d’identité et la sentinelle le salua. La porte se referma derrière lui… et ce fut comme d’habitude.

Baley était à l’intérieur de la Ville. Les murs se refermaient autour de lui et la Ville devenait l’Univers. Il était de nouveau plongé dans l’éternel bourdonnement infini et l’odeur des gens et de la machinerie, qui disparaîtraient bientôt sous le seuil de la conscience ; dans la douce lumière artificielle indirecte qui ne ressemblait en rien à l’éclat variable et partiel de l’Extérieur, avec ses verts, ses bruns, ses bleus, ses blancs, ses taches de rouge ou de jaune. Ici, il n’y avait pas de vent capricieux, pas de chaleur, pas de froid, pas de menace de pluie ; ici, c’était le calme permanent de courants d’air intangibles qui conservaient tout au frais. Ici régnait une combinaison de température et d’humidité parfaitement conçue et si bien adaptée aux humains qu’on ne la sentait pas.

Baley poussa un soupir frémissant et tout son être se réjouit d’être sain et sauf, en sécurité dans le connu et le connaissable.

Cela se passait toujours ainsi. Encore une fois, il acceptait la Ville comme le sein de sa mère et y revenait avec un joyeux soulagement. Il savait que l’humanité devait émerger et naître de ce sein. Alors pourquoi y replongeait-il toujours ainsi ?

Est-ce que ce serait éternel ? Allait-il conduire des multitudes hors de la Ville, loin de la Terre et les envoyer vers les étoiles et lui-même, à la fin, serait-il incapable d’y aller aussi ? Se trouverait-il toujours chez lui uniquement dans la Ville ?

Il serra les dents… Inutile d’y penser ! Il dit au robot :

— Est-ce que tu as été conduit ici en voiture, boy ?

— Oui, maître.

— Où est-elle maintenant ?

— Je ne sais pas, maître.

Baley se tourna vers la sentinelle.

— Factionnaire, ce robot a été amené ici même il y a moins de deux heures. Où est passé le véhicule ?

— Monsieur, il y a moins d’une heure que j’ai pris mon service.

A vrai dire, c’était idiot de le demander. Les conducteurs de la voiture ignoraient combien de temps il faudrait au robot pour trouver Baley, alors ils n’avaient aucune raison d’attendre. Baley eut un instant envie de téléphoner, mais on lui répondrait de prendre la Voie Express ; ce serait plus rapide.

S’il hésitait, c’était à cause de R. Geronimo. Il ne voulait pas de sa compagnie sur la Voie Express et pourtant, on ne pouvait ordonner au robot de rentrer seul au siège parmi une population hostile.

D’ailleurs, il n’avait pas le choix. Sans aucun doute, le préfet n’entendait pas lui faciliter les choses ; il devait être irrité de ne pas l’avoir eu immédiatement à ses ordres, congé ou pas.

— Par ici, boy, dit Baley.

La Ville couvrait quinze cents kilomètres carrés et contenait près de mille kilomètres de Voies Express, plus deux fois cette longueur de Voies Antennes, pour les besoins de ses vingt millions d’habitants. Le réseau complexe perpétuellement en mouvement existait sur huit niveaux et il y avait des centaines d’artères communicantes et d’échangeurs plus ou moins compliqués.

En sa qualité d’inspecteur de police, Baley était censé les connaître tous et il les connaissait bien. On pouvait le déposer, les yeux bandés, dans n’importe quel quartier de la Ville, lui arracher le bandeau et il trouverait son chemin sans la moindre hésitation ni erreur vers n’importe quel point donné.

Il savait donc très bien comment se rendre au siège central de la police. Il y avait huit chemins également commodes. Cependant, et durant un moment, il chercha lequel serait le moins encombré à cette heure.

Son hésitation ne dura pas, sa décision fut vite prise, et il ordonna :

— Viens avec moi, boy.

Le robot suivit docilement sur ses talons.

Ils sautèrent sur une Antenne qui passait et Baley agrippa l’une des barres verticales, blanches et tièdes, d’une texture permettant de bien les tenir. Il ne prit pas la peine de s’asseoir car ils ne resteraient pas là bien longtemps. Le robot avait attendu le geste rapide de Baley avant de placer sa main sur la même barre. Il aurait aussi bien pu rester debout sans se tenir, il n’aurait eu aucun mal à garder son équilibre ; mais Baley ne voulait pas courir le risque qu’ils soient séparés. Il était responsable du robot et il n’avait aucune envie de devoir rembourser à la Ville la perte financière, si jamais quelque chose de fâcheux arrivait à R. Geronimo.

Il y avait peu de monde à bord de l’Antenne et les yeux de tous les usagers se tournèrent inévitablement, avec curiosité, vers le robot. Un par un, Baley soutint froidement ces regards. Il avait l’aspect d’un homme habitué à l’autorité et tout le monde se détourna avec un peu de gêne.

Baley fit un nouveau signe quand il sauta de l’Antenne. Elle avait maintenant atteint les bretelles roulantes et avançait à la même allure que la bretelle voisine, ce qui fait qu’elle n’eut pas besoin de ralentir. Baley passa sur l’autre bretelle et sentit l’air le fouetter, quand ils ne furent plus protégés par la coque de plastique.

Il se pencha face au vent, avec l’aisance d’une longue pratique, en levant un bras pour en atténuer la force, à la hauteur des yeux. Il courut de bretelle en bretelle, en descendant vers l’échangeur de la Voie Express, puis il remonta par celle, plus rapide, qui longeait cette Voie.

Il entendit alors le cri de « Robot ! » lancé par de jeunes voix et comprit tout de suite ce qui allait se passer (il avait été adolescent lui-même): un groupe de gosses, deux ou trois, parfois une demi-douzaine, cavalaient de haut en bas des bretelles d’accès et s’arrangeaient pour faire tomber un robot, dans un grand fracas métallique. Ensuite, s’ils étaient surpris et arrêtés, ils prétendraient devant le magistrat que le robot les avait heurtés et que ces engins-là étaient dangereux sur les bretelles… et sans aucun doute on les relâcherait.