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Baley ne rendit pas le sourire.

— Pouvez-vous me dire quelle est cette affaire très délicate ?

— Je n’en sais rien.

— Pourrait-elle concerner Aurora ?

— R. Geronimo a reçu l’ordre de vous dire cela, s’il le fallait, mais je ne sais rien du tout.

— Alors comment pouvez-vous savoir, monsieur le préfet, que c’est une affaire très délicate ?

— Voyons, Baley, vous êtes un enquêteur qui élucide des mystères. Qu’est-ce qui amène à la Ville un membre du ministère terrestre de la Justice, alors que vous auriez pu aisément être convoqué à Washington, comme il y a deux ans pour l’incident de Solaria ? Qu’est-ce qui fait froncer les sourcils à ce sous-secrétaire à la Justice, qu’est-ce qui lui fait manifester sa mauvaise humeur et s’impatienter parce qu’on ne peut pas vous joindre instantanément ? Votre décision de vous couper de toute liaison était une erreur, et je n’en suis en rien responsable. Elle n’est peut-être pas fatale en soi, mais vous partez du mauvais pied, je crois bien.

— Et vous me retardez encore davantage, cependant, protesta Baley.

— Pas vraiment. Le sous-secrétaire à la Justice prend un léger rafraîchissement, vous connaissez les remontants que les Terriens se permettent. On nous rejoindra après. La nouvelle de votre arrivée a été transmise, alors vous n’avez qu’à attendre, comme moi.

Baley attendit. Il avait toujours su que la dramatique en Hyperonde, qui lui avait été imposée contre sa volonté, avait peut-être servi la position de la Terre mais l’avait détruit dans la Police. Elle l’avait projeté en relief tridimensionnel sur la platitude bidimensionnelle de l’organisation et avait fait de lui un homme marqué.

Il avait été haussé à un rang plus élevé, il avait bénéficié de plus grands privilèges mais cela aussi avait accru l’hostilité de la Police. Et plus il s’élèverait, plus il se briserait facilement en cas de chute.

S’il commettait la moindre erreur…

4

Le sous-secrétaire entra, regarda distraitement autour de lui, contourna le bureau de Roth et s’assit dans le fauteuil. En sa qualité de personnage de classe supérieure, c’était une conduite correcte. Roth prit calmement un siège plus modeste.

Baley resta debout, en faisant un effort pour garder une figure impassible.

Roth prétendait l’avoir averti, mais ce n’était pas vrai. Il avait choisi volontairement ses mots, pour ne rien laisser deviner.

Le personnage officiel était une femme.

Rien ne s’y opposait. Une femme avait le droit d’occuper n’importe quel poste. Le Ministre-Général pouvait être une femme. Il y avait des femmes dans la police, l’une d’elles était même capitaine.

Mais simplement, comme ça, sans avertissement, on ne s’attendait pas à une femme. Il y avait eu des temps, au cours de l’Histoire, où des femmes étaient entrées en nombre considérable dans la fonction publique. Baley le savait, il connaissait très bien l’Histoire. Mais on ne vivait plus à l’une de ces époques.

Elle était grande, cette femme, et se tenait assise très droite dans le fauteuil. Son uniforme n’était pas différent de celui des hommes, pas plus que sa coiffure. Ce qui trahissait immédiatement son sexe, c’était sa poitrine, dont elle ne cherchait pas à dissimuler les rondeurs.

Elle devait avoir une quarantaine d’années, ses traits étaient réguliers et bien ciselés. Elle avait cette séduction de l’âge moyen et pas le moindre gris dans ses cheveux foncés.

— Vous êtes l’inspecteur Elijah Baley, classe C-7, dit-elle.

C’était une constatation, pas une question, mais Baley répondit néanmoins :

— Oui, madame.

— Je suis le sous-secrétaire Lavinia Demachek. Vous ne ressemblez guère à ce que vous étiez dans cette production en Hyperonde vous concernant.

On avait souvent dit cela à Baley.

— Ils ne pouvaient pas me représenter tel que je suis et attirer un aussi vaste public, madame, répliqua-t-il ironiquement.

— Je n’en suis pas tellement sûre. Vous paraissez plus fort que l’acteur à figure poupine qu’ils ont utilisé.

Baley hésita une seconde ou deux et décida de risquer le coup ; ou peut-être ne pouvait-il y résister. Très gravement, il dit :

— Vous avez des goûts raffinés, madame.

Elle rit et Baley respira mieux.

— J’aime à le penser, dit-elle. Et maintenant, que signifie que vous m’ayez fait attendre ?

— Je n’avais pas été informé de votre visite possible, madame, et c’était mon jour de congé.

— Que vous avez passé à l’Extérieur, paraît-il.

— Oui, madame.

— Vous êtes de ces cinglés, dirais-je si je n’avais pas des goûts raffinés. Je me permettrai donc de vous demander si vous êtes un de ces enthousiastes.

— En effet, madame.

— Vous espérez émigrer un jour et fonder de nouveaux mondes dans les étendues désertes de la Galaxie ?

— Peut-être pas moi, madame. Je risque de me révéler trop vieux, mais…

— Quel âge avez-vous ?

— Quarante-cinq ans, madame.

— Eh bien, vous les paraissez. Moi aussi j’ai quarante-cinq ans, justement.

— Vous ne les paraissez pas, madame.

— Je parais moins ou plus ? demanda-t-elle, puis elle éclata de rire et reprit son sérieux. Mais ne jouons pas à ces petits jeux. Insinueriez-vous que je suis trop vieille pour être une pionnière ?

— Dans notre société, personne ne peut être pionnier sans un entraînement à l’Extérieur. Cet entraînement est plus bénéfique avec les jeunes. Mon fils, je l’espère, ira un jour dans un autre monde.

— Vraiment ? Vous savez, naturellement, que la Galaxie appartient aux mondes spatiens ?

— Ils ne sont que cinquante, madame. Il y a des millions de mondes habitables dans la Galaxie, ou qui peuvent être rendus habitables, et qui ne possèdent probablement pas de vie indigène intelligente.

— Oui, mais pas un vaisseau ne peut quitter la Terre sans l’autorisation des Spatiens.

— Elle pourrait être accordée, madame.

— Je ne partage pas votre opinion, monsieur Baley.

— Je me suis entretenu avec des Spatiens qui…

— Je le sais, interrompit Lavinia Demachek. Mon supérieur est Albert Minnia qui, il y a deux ans, vous a envoyé à Solaria. (Elle eut un petit sourire.) Un acteur l’a incarné, dans un petit rôle, dans cette fameuse dramatique ; il lui ressemblait beaucoup, si j’ai bonne mémoire. Il n’en était pas content du tout, encore une fois si je me souviens bien.

Baley changea de conversation :

— J’ai demandé au sous-secrétaire Minnia…

— Il a été promu, vous savez.

Baley comprenait parfaitement l’importance des grades dans l’administration.

— Quel est son nouveau titre, madame ?

— Vice-ministre.

— Merci. J’ai demandé au vice-ministre Minnia de solliciter pour moi l’autorisation de visiter Aurora, afin de traiter de cette question.

— Quand ?

— Peu après mon retour de Solaria. J’ai renouvelé ma demande deux fois, depuis.

— Vous n’avez reçu aucune réponse favorable ?

— Aucune, madame.

— En êtes-vous surpris ?

— Je suis déçu, madame.

— Cela ne sert à rien.

Elle s’adossa un peu plus confortablement dans le fauteuil.

— Nos rapports avec les mondes spatiens sont très délicats. Vous pensez peut-être que vos deux exploits de détection ont aplani la situation et vous n’avez pas tort. Cette horrible dramatique y a contribué aussi. Mais dans l’ensemble, tout n’a été aplani que de ça (elle rapprocha son pouce de son index) comparé à cela, dit-elle en écartant les bras. Dans ces conditions, nous ne pouvons guère prendre le risque de vous envoyer sur Aurora, où ce que vous feriez pourrait créer une tension interstellaire.