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— Merci. Prends bien soin de toi en mon absence… et aussi de ta mère.

Il s’éloigna sans se retourner. Il avait dit à Ben qu’il allait à Aurora discuter le projet de colonisation. Si cela avait été le cas, peut-être serait-il rentré triomphalement. Mais dans ces circonstances…

Il se dit : « Je vais revenir en disgrâce… si jamais je reviens ! »

II. Daneel

6

C’était la seconde fois que Baley prenait un vaisseau spatial et les deux ans écoulés n’avaient pas effacé le souvenir de son premier voyage. Il savait exactement à quoi il devait s’attendre.

Il y aurait l’isolement, le fait que personne ne le verrait ou n’aurait de rapports avec lui à l’exception (peut-être) d’un robot. Il y aurait les soins médicaux constants, la fumigation et la stérilisation. (Pas d’autre moyen d’exprimer ça.) Il y aurait la tentative pour le rendre apte à aborder les Spatiens éternellement conscients de la maladie, qui considéraient les Terriens comme des réceptacles ambulants d’une multitude d’infections variées.

Mais il y aurait aussi des différences. Cette fois, il ne craindrait pas autant le processus, le sentiment de privation du sein maternel serait sûrement moins pénible.

Il serait moins surpris par un environnement plus vaste. Cette fois, se disait-il audacieusement (mais avec une petite crispation d’estomac malgré tout), il serait même capable de réclamer une vue de l’espace.

Serait-ce différent, se demandait-il, des photos du ciel nocturne vu de l’Extérieur ?

Il se souvenait de sa première vision d’un dôme de planétarium (en sécurité dans l’enceinte de la Ville, bien sûr). Il n’avait éprouvé aucune sensation d’Extérieur, pas le moindre malaise.

Et puis il y avait eu les deux fois – non, trois – où il avait été en plein air la nuit, où il avait vu les vraies étoiles de la véritable voûte céleste. C’était infiniment moins impressionnant que le planétarium mais à chaque fois un vent frais soufflait et il avait eu une impression de distance, ce qui rendait le panorama plus effrayant que le dôme artificiel mais moins que dans la journée, car la nuit obscure était comme un mur rassurant autour de lui.

Alors, est-ce que la vue des étoiles par le hublot d’un vaisseau spatial ressemblerait plus au planétarium ou à la nuit de la Terre ? Ou serait-ce une sensation entièrement nouvelle ?

Il se concentra sur ces questions, comme pour éviter de penser à Jessie, à Ben, à la Ville.

Par fanfaronnade, pas autre chose, il refusa la voiture et tint à faire à pied la courte distance entre la porte d’embarquement et le vaisseau. Dans le fond, ce n’était qu’une rue avec un toit.

Le passage bifurquait légèrement et, alors qu’il pouvait encore voir Ben à l’autre extrémité, il se retourna et leva nonchalamment une main, comme s’il prenait simplement la Voie Express pour Trenton. Ben répondit en agitant les deux bras, l’index et le majeur des deux mains écartés pour former l’ancien symbole de la victoire.

La victoire ? Un geste futile, Baley en était certain.

Il passa à d’autres pensées, pour s’occuper. Quel effet cela ferait-il d’embarquer de jour dans un vaisseau spatial, avec le soleil étincelant sur le métal et lui-même, ainsi que les autres passagers, tous exposés à l’Extérieur ?

Quel effet cela lui ferait-il de se trouver dans un petit monde cylindrique, qui se détacherait du monde infiniment plus grand auquel il était temporairement attaché, pour s’élever et se perdre dans un Extérieur infiniment plus immense que n’importe quel Extérieur de la Terre, jusqu’à ce que, après une étendue infinie de Néant, il trouve un autre…

Il se forçait à marcher posément en ne montrant aucun changement d’expression, ou du moins le croyait-il. Le robot qui l’accompagnait l’arrêta cependant.

— Vous vous sentez mal, monsieur ?

(Pas « maître », simplement « monsieur ».)

— Je vais très bien, boy, répliqua Baley d’une voix sourde. Avance.

Il garda les yeux baissés et ne les leva que lorsqu’il fut au pied du vaisseau.

Un engin aurorain !

Il en était sûr. Sous la chaude lumière d’un projecteur, il se dressait, plus grand, plus gracieux et pourtant plus puissant que le solarien qu’il avait pris deux ans plus tôt.

Baley entra et la comparaison demeura favorable à Aurora. Sa cabine était plus grande que celle de l’autre fois, plus luxueuse, plus confortable.

Comme il savait exactement ce qui allait venir, il se déshabilla entièrement, sans hésitation. (Ses vêtements seraient peut-être désintégrés à la torche plasma. Il ne les retrouverait certainement pas en retournant sur Terre… s’il y retournait. On ne les lui avait pas rendus, la première fois.)

Il ne recevrait pas d’autres habits avant d’avoir été entièrement baigné, examiné, désinfecté et avoir reçu une piqûre et une potion. Il en venait presque à accepter cette humiliante procédure qu’on lui imposait. Elle l’aidait à ne pas penser à ce qui se passait. Il eut à peine conscience de l’accélération initiale et il n’eut pour ainsi dire que le temps de penser au moment pendant lequel ils quittaient la Terre et pénétraient dans l’espace.

Quand il fut enfin rhabillé, il s’examina tristement dans la glace. L’étoffe était lisse, brillante et changeait de couleur à chaque mouvement. Les jambes du pantalon étaient serrées aux chevilles et couvertes par les tiges des souliers souples qui se moulaient sur ses pieds. Les manches de la tunique étaient également serrées aux poignets et il portait des gants très fins et transparents. La tunique avait un col montant cachant le cou et un capuchon qui pouvait, s’il le désirait, recouvrir sa tête. Il savait qu’il était ainsi couvert non pour son confort mais pour réduire le danger qu’il représentait pour les Spatiens.

Il pensait, en contemplant sa tenue, qu’il devrait se sentir engoncé, mal à l’aise, moite, qu’il devrait avoir trop chaud. Mais pas du tout. A son grand soulagement, il ne transpirait même pas.

Il fit la déduction normale et demanda au robot qui l’avait accompagné et qui était encore auprès de lui :

— Boy, est-ce que ces vêtements sont climatisés ?

— Certainement, monsieur. C’est une tenue toutes saisons et elle est jugée très désirable. Elle est aussi extrêmement chère. Peu de gens d’Aurora ont les moyens de la porter.

— Vraiment ? Par Jehosaphat !

Baley considéra le robot. C’était apparemment un modèle plutôt primitif, pas très différent de ceux de la Terre. Cependant, il avait une certaine subtilité d’expression qui faisait défaut aux modèles terrestres. Celui-ci pouvait changer d’expression, dans une certaine mesure. Par exemple, il avait légèrement souri en révélant que Baley avait reçu des vêtements que peu d’Aurorains pouvaient s’offrir.

Son corps ressemblait à du métal mais avait pourtant l’aspect de quelque chose de tissé, de légèrement changeant à chaque mouvement, avec des couleurs agréablement contrastées. Autrement dit, à moins de le regarder de près, très attentivement, on avait l’impression que le robot, tout en n’étant nettement pas anthropoïde, portait des vêtements.

— Comment dois-je t’appeler, boy ? demanda Baley.

— Je suis Giskard, monsieur.

— R. Giskard ?

— Si vous voulez, monsieur.

— Y a-t-il une bibliothèque à bord ?

— Oui, monsieur.

— Peux-tu me procurer des films sur Aurora ?

— Quel genre, monsieur ?

— Historiques, de science politique, de géographie, tout ce qui me fera connaître la planète.