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« Feierabend ! »

« La journée est finie! » C'est bien le moins... Et bon, on se met en route.

Ronsin ricane et applaudit à chaque explosion. Il nous raconte, avec les gestes :

« Pendant que vous. faisiez les boy-scouts, moi je me suis régalé la bite. Elle avait dans les quarante balais, mais très baisable. C'te pétoche ! C'est celle qui gueulait, vous voyez qui je veux dire, elle gueulait, elle gueulait, elle pouvait plus s'arrêter. Je lui dis de fermer sa gueule, « Maul zu ! » je lui gueule, si y a une chose que je sais dire en boche c'est bien celle-là, mais elle, comme si que dalle, complètement hystéro. Merde, je l'alpague aux épaules, et alors je sens que c'est du pas dégueulasse sous la poigne, question fermeté de viande, je savais même pas laquelle c'était, il faisait noir comme dans mon cul, je la prends contre moi, je la berce, je lui dis « Nix schreien ! Schon fertiche ! Ailes goûte! », comme à un bébé, quoi. Je lui tapote la joue, je lui caresse la figure. Petit à petit, elle se rassure, mais elle tremblait comme une feuille, alors j'ai commencé à placer mes poignes, elle a des nichons, la vache, pour son âge, putain ! Moi, aussi sec je me mets à triquer. Je lui prends la main pour lui faire toucher, merde, elle a sauté, comme une brûlée! La salope... Mais juste là, dis donc, juste bien, v'ià que ça se remet à dégringoler ! La v'ià repartie à gueuler, à trembler, elle se serre contre moi, merde, je bandais tellement, j'oubliais d'avoir les jetons. J'ai dit merde, ma salope, tu vas y passer, y a pas de bon Dieu ! J'y ai écarté les cuisses, j'y ai un peu cogné dessus, elle avait tellement peur de me lâcher qu'elle a fini par se laisser faire. Tu parles d'un boulot, enlever la culotte d'une bonne femme qui te serre comme si elle se noyait ! Mais elle y est passée, merde ! Je lui ai foutu mon ciflard, il était temps, j'allais lâcher la purée dans la nature. Et je vais te dire, eh ben, une fois en train, elle s'y est mise aussi, ouais, mon pote ! Ah ! la vache, ce coup de cul! Elle m'a harponné la langue, je croyais qu'elle allait me l'avaler! Et sur la fin, je te jure que c'est plus de trouille qu'elle gueulait ! Ah ! merde, ça fait du bien, tiens ! »

Un silence. Des images nous passent derrière les yeux. René la Feignasse dit :

« Ben, ma vache ! Pendant que nous on se brûlait les roustons sur le toit de l'autre vieux branque...

Viktor a au moins compris les gestes. Il brame de joie :

« Marcel fick-fick starou kourrvou! Marcel immer fick-fick! »

Et puis il supplie :

« Eh, Marcel, singen « Pass mal auf » !

Ronsin, faut pas lui dire deux fois. Il attaque à tue-tête :

 

Finie la guerre,

Nix pommes de terre.

C'est la misère Partout!

Papa canon.

Maman ballon,

Toujours fabrication!

Ah, pass mal auf27 !

Grosse machine de retour!

Fraiilein fick-fick,

Ein Marek zwanzig,

Toujours machine kapoutt!

 

On braille tous le refrain en chœur, en guettant Pépère. Pépère s'en fout. Il y en a comme ça cinq ou six couplets. Le dernier se termine par :

 

Ah, pass mal auf,

Disait un Marseillais,

Vive le pastis

Et vive de Gaulle !

Vive la France, et nous v'là !

 

Tout ça est bien joli, mais je voudrais qu'on marche plus vite. Je voudrais déjà être arrivé. Savoir. Cette saleté de poigne qui me tord la tripe tord de plus en plus fort. J'en suis sûr : Maria est morte. La panique monte. Ne pas y penser. Marcher, merde, marcher.

Cette lumière de fin du monde exalte mon angoisse. En plein irréel. La fumée a étouffé le soleil, tout danse à la lueur rouge des flammes. La chaussée n'est que cratères et crevasses, des geysers jaillissent des conduites crevées, les fils électriques du tramway traînent à terre. Au fond d'un trou béant, les rails du métro. Partout, des crayons incendiaires. Incroyable, la quantité qu'ils ont pu balancer ! Au moins cinq ou six par mètre carré! Ce sont des prismes d'aluminium, trente centimètres de long, cinq de large, à six pans, c'est pourquoi on les appelle des crayons. Qu'ils tombent n'importe comment, à peine sont-ils posés qu'ils crachent par un bout une flamme effroyable, ardente comme un chalumeau, capable de foutre le feu dans un rayon de plusieurs mètres à n'importe quoi d'un tant soit peu combustible. Il y en a des millions. Chacun d'eux prolongé, sur le pavé, par un long éventail de brûlé noir qui part du bout actif. Et maintenant, dans cette demi-nuit, si tu marches dessus tu te casses une jambe. Scheisse !

Sur des pans de mur encore debout, de longues dégoulinures brillantes bavent jusqu'à terre. La pierre est creusée de vilaines plaies aux bords boursouflés. Le pavé même semble avoir bouillonné comme une confiture.

« Phosphor! » dit Pépère, impressionné.

Oui, on connaît. On l'a trop souvent vu dégringoler, la saloperie, en chuintant, étincelant dans la nuit comme une coulée d'acier fondu, éclaboussant, rebondissant, accrochant immédiatement des flammes dévorantes à tout ce que ses plus infimes gouttelettes peuvent effleurer, liquéfiant tout ce qui ne veut pas brûler. On parle de milliers de degrés, de crânes creusés par une seule goutte comme des coquilles d'oeuf vides.

Répandus aussi à foison, de longs filaments de papier à chocolat. On m'a expliqué que ça sert à faire du boucan, ça multiplie le bruit des moteurs et empêche les oreilles-robots de la Flak de détecter la direction des avions.

Ça, c'était fatal : on se fait réquisitionner au passage par des mecs à brassards pour dégager une cave où l'on entend faiblement crier. On s'y met, et que veux-tu faire d'autre ? Pendant qu'on s'acharne sur le tas de briques, de poutrelles et de tout ce que tu voudras emmêlés agrippés arc-boutés l'un à l'autre, les gars de l'autre moitié de l'équipe, ceux de Mémère, viennent à passer par là, se font alpaguer eux aussi, et bon, avec- les flics et les passants on finit par être une vingtaine de types à s'activer, on arrive enfin à la porte, on l'enfonce, c'est pas beau à voir. Il en reste troiis d'un peu vivants, dont un gosse. Ils étaient assis par terre, le long du seul mur qui ait tenu. Tous les autres sont aplatis.

Je suis secoué. J'en oublie un instant que Maria est peut-être comme ça, elle aussi, en ce moment même.

Ronsin ricane :

« C'que t'en as à foutre, de ces cons-là? Fais pas cette gueule! Ils l'ont cherchée, ils l'ont trouvée, non? La guerre, c'est pas que la victoire, la guerre. C'est aussi ça. Ils l'ont voulue, ils l'ont dans le cul. Bien fait pour leurs gueules. On leur en fera jamais assez baver. »

Qu'est-ce que tu veux répondre ? Je voudrais bien que les choses soient aussi nettes dans ma tête. Les problèmes sont vites résolus, pour Ronsin.

On presse le pas. Voilà Tempelhof, l'aérodrome. Pour ne plus risquer de se faire réquisitionner, on quitte l'avenue et on marche sur la voie du S-Bahn qui longe le terrain. C'est là que, derrière le grillage, sont exposés les avions ennemis abattus. Je contemple au passage ces forteresses volantes si bien nommées. Sidéré qu'on puisse dépenser tant de science et d'amour pour ces usines à tuer. Bon, la philosophie à deux ronds, ce sera pour un autre jour... Vite, vite, au camp!

Il me semble que la voûte de flammes se fait moins ardente, à mesure qu'on avance vers l'est. Qu'on suffoque moins. Je reconnais des carcasses de maisons, intactes extérieurement mais entièrement vidées par le feu, qui étaient déjà comme ça avant.

Neukölln. Pas trop touché. Baumschulenweg. Mon cœur cogne. On passe le canal. On passe sous le talus du S-Bahn... Tout est paisible. Les vieilles ruines n'ont pas changé de silhouette, les baraques de bois trois fois jetées et trois fois rafistolées ont la même gueule de travers que ce matin, à l'ombre des grands blocs détruits il y a six mois. La lune se lève sur cette paix, Maria m'attend, tout est bien.