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— Si encore on avait la veine que notre train démarre, ça irait tout seul. Une fois dans un autre bled on s’en sortirait bien.

— Tiens, m’écriai-je, regarde !

Le train de marchandises voisin du nôtre se mettait lentement en marche, précisément.

— Nom de Dieu ! s’exclama Jimmy, faut tenter la chance, vas-y, grouille-toi.

J’ouvris la porte et me laissai glisser au bas de l’échelle. Je jetai un regard rapide autour de moi. Il n’y avait personne. Je me mis à courir vers le train qui prenait de la vitesse et je bondis dans un wagon vide dont la porte était entrebâillée. Je sentais dans mon dos haleter Jimmy.

— J’ai jamais tant couru de ma vie, s’exclama-t-il. Presque aussitôt on entendit un cri rauque.

— Halte !

Jimmy avait déjà sauté près de moi. Nous nous retournâmes. Un soldat allemand que le train avait dévoilé, était planté au milieu du ballast, les jambes écartées et nous mettait en joue. Il était seul.

Jimmy leva son Colt.

Chapitre 6

Jimmy tira. Je vis le fridolin lâcher son flingue, trébucher et rouler sur le sol.

— Et voilà, dit Jimmy, les avantages du silencieux. Si je ne l’avais pas eu, ça aurait fait un tel pétard qu’à l’heure actuelle nous aurions toute la gare aux trousses et il est plus que probable que le train serait stoppé.

C’était vrai. Maintenant, avant qu’on retrouve le macchabée, nous avions le temps de faire du chemin.

D’ailleurs, on ne se douterait pas obligatoirement que nous étions dans ce tortillard.

Mon pote remit son Colt dans sa poche et s’assit sur une caisse. Il paraissait soudain déprimé, vieilli.

— Qu’est-ce que tu as ? ricanai-je. C’est le fait d’avoir ratatiné ce mec qui ne te réussit pas ?

Il me jeta un regard triste que je ne lui avais jamais connu.

— Tu me croiras si tu veux, répondit-il, en choisissant une cigarette, c’est la première fois que je descends un homme. J’en ai dérouillé pas mal mais tué comme ça, de loin, avec un feu, je ne l’avais jamais fait. C’est dégoûtant.

— Hé ! répondis-je. On ne peut pas toujours choisir. On ne choisit pas davantage sa mort que les moyens de conserver sa vie. Ce serait trop beau.

— Oui, mais ça m’écœure.

Pareil aux héros du Moyen Âge au moment de l’invention des armes à feu, Jimmy estimait que c’est une défense de lâche. Lui, il comptait surtout sur ses poings.

— Ne te frappe pas, répondis-je. Fallait bien que ça arrive.

— En plus, continua mon copain, voilà que maintenant, moi, je suis dans la sauce jusqu’au cou, autant que toi. Je me suis embarqué dans la même galère et bien involontairement.

Il y eut un silence, si je puis dire, car le roulement du train faisait un tel boucan qu’il n’y avait presque pas moyen de s’entendre. Jimmy paraissait de plus en plus accablé.

— Tu te rends compte ? dit-il soudain, ce que le plus petit événement peut avoir de conséquences. Quand tu y penses, tu es épouvanté.

— Faut vraiment, ricanai-je, que ça t’ait drôlement retourné, cette exécution. Voilà que tu fais de la philosophie, à présent ?

— C’est vrai, répondit Jimmy. Vise un peu cette succession de salades, c’est une véritable cascade d’emmerdements. Si on m’avait dit qu’il suffisait qu’une fille aille pager avec un type pour que ça coûte la vie à quatre mecs, je ne l’aurais jamais cru.

Je me mis à rire, troublé quand même par ce raisonnement.

— Compte, continuait cependant Jimmy, Meister et son copain, le gars de la Gestapo qui allait mesurer le trottoir de la gare et le péquenot encore plus anonyme que je viens de mettre en l’air. Ça fait déjà quatre. Quatre qui sont morts, parce que Mademoiselle Hermine avait envie de se farcir Meister.

— Elle est morte aussi, elle. Tu devrais la compter, ça ferait cinq.

— Oh ! elle, c’est pas pareil. Elle est en quelque sorte le personnage central. En tout cas, tu verras, d’une maniéré ou d’une autre, ce n’est pas fini. Il y aura encore de pauvres cons pour se faire crever et pour payer les conséquences de cette histoire de cocu, conséquences dont, évidemment, ils ignorent tout. Ce troufion, par exemple, tu crois qu’il en a entendu parler d’Hermine ? Penses-tu ! Est-ce que tu t’imagines qu’on lui a dit : voilà, mon vieux, il y a quelque part en gare deux types qu’il nous faut parce que ceci, parce que cela. On lui a dit : allez me les chercher et que ça saute. Conclusion, il se fait lessiver. Suppose, maintenant, que cet anonyme est devenu immortel, puisqu’il est mort pour sa patrie, maintenant que tout son village et sa famille en particulier vont le considérer comme un héros malchanceux, qu’on vienne leur dire à l’oreille : vous savez pourquoi il est mort, Fritz, Otto ou Albrecht ? Pour que vive l’Allemagne, qu’ils répondraient, naturellement. Non monsieur, il est mort parce que Maurice le Braqueur était amoureux et qu’il a été doublé. Ça leur rabattrait salement leur enthousiasme national. Ils finiraient peut-être par comprendre que nous sommes tous considérés comme des cloches par une puissance mystérieuse, tout ce qu’il y a de plus rigolo.

Il faisait une mine si triste, si désabusée, que je ne pus résister plus longtemps.

— C’est ça, grommela-t-il, marre-toi, marre-toi bien fort, profites-en, parce qu’on ne sait pas comment ça va finir, cette aventure. Tout ce qu’il faut souhaiter, c’est de ne pas être les prochains pigeons de cette riflette.

— Il ne faut pas être si pessimiste. Jusqu’ici on s’en est bien tirés.

— Tu trouves, qu’on s’en est bien tirés, toi ? Moi je trouve que ça a été tangent. Il s’en est fallu d’un quart de poil. C’est comme ce train, maintenant, dans lequel nous sommes embarqués. Si on savait seulement où il va. Tu ne vois pas qu’il nous mène franco en Allemagne ? C’est ça qui serait joli !

— Ne t’en fais pas, il s’arrêterait bien avant. Mais tu as raison, je voudrais quand même bien savoir où nous allons. De toute manière, ça ne m’a pas l’air d’être une ligne bien importante, on va sans doute débarquer dans un bled perdu.

On en était là de notre raisonnement lorsque le tortillard commença à donner des signes d’essoufflement et à faire grincer ses freins.

— C’est le moment de faire gaffe, dit Jimmy et de ne pas se faire coincer à la sortie. Faut se barrer de cette gare avec toute la discrétion nécessaire. Il faudrait être les rois des caves pour se faire épingler pour infraction à la police des chemins de fer.

On se tira un peu en arrière, on gagna les coins du wagon. En montant sur une caisse je pus arriver à la hauteur d’une petite fenêtre grillagée derrière laquelle j’avais des chances de ne pas être vu. On passa devant plusieurs poteaux surmontés de planchettes portant le nom d’une station. C’était un nom composé et, à cause de la vitesse, de l’éloignement et de l’inattendu avec lequel elles se présentaient je ne pouvais pas le lire.

J’aurais bien voulu qu’on s’arrête là, c’était encore la campagne et en y regardant de plus près je m’aperçus que c’était composé uniquement de vignes. Ce n’est pas qu’on puisse aisément se cacher dans les vignes au mois de décembre, car ça manque de végétation, mais enfin, si on réussissait à gagner la route que j’apercevais de l’autre côté de la voie, on avait des chances de sortir sans ennui.

Malheureusement, le train ralentissait à peine, et maintenant je voyais la gare se rapprocher dangereusement. Pourvu que cet arsouillé de mécano ne nous arrête pas pile devant le bureau du chef de gare ! On aurait dit, en effet, que ça prenait cette tournure.