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— Ah ! s’écria-t-il, quand il vit que ça ne rendait rien, tu ne sais pas te démerder, Gustave. Avec la proximité de la gare et la clientèle que tu as, si tu manques de charbon c’est que tu es un couillon.

— Pas si couillon que ça, dit l’autre, derrière son comptoir et en s’efforçant de prendre l’air fin. Je sais ce qui s’est passé je ne sais plus où. Un mec s’est fait piquer à faucher du charbon à la Compagnie, les Allemands l’ont fusillé.

— Tu n’as qu’à le demander à l’un d’eux, mon gars. Il ne te refusera pas ça. Il te l’apportera lui-même. Huit à dix kilos par jour c’est toujours ça. Pas vrai, Sigmund ?

— Nicht ! répondit le boche interpellé. Moi bien ici. Sehr gut. Si moi pris, puni, Allemagne ou Russie. Peut-être kaputt. Sabotage.

Oui, en somme il ne tenait pas du tout, cet homme, à se coller une sale affaire sur les bras et à être réexpédié dans un endroit où les marrons tombaient tout rôtis.

— C’est vrai, dit Gustave, qu’on vous fusille les types, maintenant, pour des haricots.

— Deux dans la peau de qui je n’aimerais pas être, dit le second des jeunes gens, ce sont les mecs qui ont descendu un type de la Gestapo et un troufion allemand, en gare de Dijon.

— Sans blague ?

— Quand ça ?

— Comment ça s’est passé ?

Les exclamations se croisaient, curieuses, incrédules.

Je regardai Jimmy. Il serrait les mâchoires. Il avait glissé sa main dans la poche de son veston et je savais que ce qu’il tenait, ce n’était pas son bréviaire. Ça, c’était un coup dur. Si le môme se mettait à déballer tout ce qu’il savait et c’était plus que sûr qu’il allait le faire, ne fût-ce que pour se faire mousser, les autres allaient comprendre que c’était nous, le couple idéal.

— Laissez-moi parler, quoi, Bon Dieu ! répondit le jeune homme. Voilà tout ce que je sais, il paraît que c’étaient deux types qui venaient de Paris où ils avaient déjà abattu deux Allemands et une femme. Quand la Gestapo a voulu les arrêter, dans le train, ils en ont balancé un par la portière.

— C’est des professionnels ! s’écria quelqu’un.

— Après ça, ils ont mis les voiles et se sont évanouis dans le décor. Là, ils se sont trouvés sans doute nez à nez avec un soldat. On ne sait pas exactement ce qui s’est passé, on n’a pas entendu de coup de feu. Mais, ce qu’il y a de certain, c’est que le militaire était bien mort, avec une balle entre les yeux.

— Celle-là, elle est raide. C’est du cinéma !

— Si tu ne le crois pas, andouille, tu n’as qu’à le demander à Gervais. Il arrive de Dijon avec le 418, tu verras ce qu’il te dira.

— Je ne te dis pas que ce n’est pas vrai. Je te dis que c’est du cinéma. Ce doit être des parachutistes anglais.

— Paraît que non. Ce sont des Français.

— Peut-être, mais parachutés.

Il y tenait, le singe, à la toile de soie ! Il avait dû lire trop de romans d’aventures. — C’est possible, dit le môme, honnêtement, mais ça, je ne te le dirai pas, parce que je n’en sais rien.

Où allait-on en venir, maintenant ? J’en avais des palpitations de mon cœur. Il suffisait d’un mot, d’un regard trop appuyé, je le sentais et il y aurait de la casse. Depuis trop longtemps je mettais mes nerfs à rude épreuve. À la moindre histoire, ils allaient me lâcher. Je serrai les mâchoires, je crispai mes poings pour m’empêcher de me lever et de sortir mon Colt.

— En tout cas, ajouta le jeune homme, on le saura bientôt. Les deux types ont été arrêtés dans la gare.

Silence consterné, même parmi les Allemands qui faisaient cercle comme les autres mais n’avaient rien compris.

— Arrêtés ? m’entendis-je demander.

— Oui monsieur. On les a crevés dans la lampisterie. Ils étaient allés se cacher là. Mais ils n’avaient plus d’armes. On ne sait pas ce qu’ils en ont fait. Ils n’ont pas voulu le dire. C’est des mecs drôlement gonflés, faut le reconnaître, quelle que soit l’opinion.

— C’est la guerre, répéta le Boche, qui ne devait savoir dire que ça.

J’étais pris d’une énorme envie de rire. Ça alors, ça dépassait tout. On aurait pu me raconter la plus belle histoire du monde, je ne l’aurais pas trouvée si comique. C’était sans doute aussi l’avis de Jimmy, car lui, il se marrait franchement.

— Ça vous fait rire ? demanda le bistrot, aigrement.

Je compris qu’on allait trop loin, et qu’il fallait jouer serré. On commençait à nous regarder d’un sale œil. Le mieux, c’était de mettre les Allemands de notre côté.

— Parfaitement, dis-je, ça m’amuse. Et puis j’espère qu’ils ne vont pas faire de vieux os en prison. Ce n’est pas la peine de payer des impôts pour nourrir de tels voyous. Il vaut mieux les fusiller tout de suite.

Tout le monde baissa la tête et personne ne dit plus un mot. Ils devaient me prendre pour quelque huile.

Je payai et on s’en fut, Jimmy et moi. En passant la porte, j’entendis un des prolétaires murmurer à un de ses voisins :

— Ça doit encore être de ces marchands de vin. Ils sont tous nazis.

Chapitre 7

Je m’expliquais maintenant pourquoi nous n’avions eu aucun ennui, et pourquoi les Allemands ne nous couraient plus derrière.

Ils croyaient nous avoir retrouvés.

Je n’en revenais pas d’une pareille chance. Mais ce que je ne parvenais pas à m’expliquer, c’est par quel miracle ils avaient trouvé deux types bouclés dans la lampisterie et ce qu’ils faisaient là. Et surtout qui ils étaient. Si nous, nous avions eu de la veine, eux, par contre, manquaient vraiment de pot. Ça doit être particulièrement sanglant de se planquer pour une affaire et de tomber au lieu et place de deux autres malfrats.

J’en riais tout seul en suivant le chemin qui nous menait vers le centre de la ville. Peu à peu, la rue s’étoffait, on voyait paraître quelques boutiques à la fois mercerie-épicerie, buvette, librairie. Mais le propriétaire s’était trop avancé en voulant vendre de tout, le dieu des commerçants s’était vengé, maintenant il ne vendait plus rien. Ça l’énervait tellement cet homme, une telle situation, qu’il foutait presque les clients à la porte. C’est ce qui m’arriva lorsque j’entrai chez l’un deux dans le but pourtant bien innocent d’acheter une boîte d’allumettes. Il me reçut si mal que Jimmy me tirait le bras, mais je pris le temps de bien lui dire tout ce que je pensais, à ce marchand de mort lente, de bien lui faire comprendre que ses airs de noble ruiné ne m’impressionnaient pas et que je n’avais rien à foutre de lui, ni de sa femme ni même de l’ensemble de sa corporation. Alors seulement je sortis, en claquant les portes.

L’honnête boutiquier n’avait rien dit.

Il était pourtant trapu et sans doute costaud, mais il faut croire que j’avais une gueule si menaçante, avec mon chapeau penché sur l’œil, qu’il préféra ne pas insister et laisser passer l’orage.

Je me retrouvai dans la rue vert de rage.

— Qu’est-ce qui te prend, dit Jimmy, de faire un tel scandale ? Tu tiens absolument à te faire repérer ? Au point où nous en sommes, mon gars, il faut tout avaler ou presque.

— Et que diable ! répondis-je, à quel point en sommes-nous donc ? Nos affaires n’ont pas été si bonnes depuis longtemps. Les Boches tiennent deux types qu’ils ont pris pour nous. On joue sur le velours.

— Tu trouves, toi ? Tu t’imagines que la police française va laisser choir l’affaire comme ça ? Mais mon pauvre vieux, dans vingt-quatre heures, toutes les gendarmeries de France et de Navarre vont avoir un mandat d’arrêt à notre nom. Quant aux Frizés, ils finiront bien par s’apercevoir qu’ils se sont gourés. Ne serait-ce que lorsqu’on les mettra en présence du type qui nous a arrêtés. Celui-là, il va voir tout de suite l’erreur. Et rien ne prouve que ce ne soit pas déjà fait.