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— Drôle de nom. Pourquoi, qu’est-ce qui s’y passe là-bas. On y danse ?

Le type ne crut pas devoir répondre. Je tremblais que tout mon truc vienne à se découvrir. Aussi je résolus de brusquer les choses.

— Je vois qu’il n’y a rien à faire, dis-je, vous êtes trop forts. Je vais parler. Donnez-moi un verre d’eau et une cigarette.

Ils furent chics, ils me donnèrent du pinard.

— Je suis un espion, dis-je froidement. Il y a bien un bureau de l’Abwehr, ici ? Veuillez m’y faire conduire.

Je savais où il était, le fameux bureau. Il se trouvait au bord de la Basse, derrière le Nouveau-Théâtre, dans une villa qui ressemblait à un décor pour les Mille et une Nuits.

— Qu’est-ce que vous me chantez là ? s’exclama le gros père. C’est la première fois que je vois un espion se mettre à table avec cette facilité.

— Dans quoi avez-vous vu des agents secrets ? demandai-je. Au cinéma ? Ou bien dans les romans d’aventures, peut-être.

— Mais enfin, est-ce que vous avez une carte qui me prouve…

— Mais oui, mon gros, naturellement. Je vais me balader avec un brassard, pour faire plaisir à la Milice. « Agent Secret. Très dangereux. À ne pas chatouiller ». Comme ça vous seriez sûrs de ne pas vous tromper.

J’avais repris mes esprits et mon courage. Je me disais que si je voulais me ménager quelques chances de sortie, il fallait jouer serré et payer d’audace.

— Mais quelle sorte d’agent secret êtes-vous, demanda quelqu’un, dans mon dos. Avec nous ou avec les Alliés ?

— Tu demanderas ça au patron local de l’Abwehr. S’il veut te rencarder, moi je veux bien. Mais ça m’étonnerait.

On entendit flotter ce silence plus lourd que l’air qui suit immédiatement les paroles annonçant une catastrophe.

Ils commençaient tous à se demander s’il fallait jouer pair et impair, s’ils n’avaient pas fait une blague colossale et comment ça allait finir, en définitive. Et surtout qui j’étais en réalité.

— En somme qu’est-ce que vous désirez ? demanda finalement le chef.

Ils étaient tous beaucoup plus calmes, maintenant, et plus polis, ce ramassis de chiens de garde et de larbins. Ils se demandaient si leur maître allemand ne leur donnerait pas du fouet.

— Je vous l’ai déjà dit, répondis-je. Être conduit au bureau de l’Abwehr.

— Soit, acquiesça le chef. Nous allons vous y conduire. J’y vais moi-même. Mais vous croyez qu’à cette heure-ci on nous recevra ?

— Il n’y a pas d’heure pour le service des renseignements. Est-ce que vous vous imaginez, par hasard, qu’on ne faisait que quarante plombes ? C’est une question de circonstances.

— Allons-y, dit le papa. Gaffard et Pelu, vous viendrez avec moi. Gaffard conduira la voiture.

Il mit son béret sur la tête et enfila sa capote noire. Un des types sortit, sans doute pour aller chercher la bagnole. Puis on descendit tous dans la cour. Je n’étais pas attaché. Ils n’osaient plus me traiter comme un prisonnier. Ils avaient peur que je fasse partie d’un service allemand.

Pour peu que j’insiste, ma parole, je crois qu’ils m’auraient fait des excuses.

Je montai derrière, encadré par mes deux phénomènes, tandis que le nommé Gaffard prenait le volant. La voiture démarra. Le grand portail s’ouvrit et nous nous trouvâmes dans la rue.

Le vent n’avait rien perdu de sa violence. Il faisait bigrement froid, maintenant, on voyait les gens courir vers leurs foyers tièdes.

Ils étaient tranquilles, eux, ils n’avaient pas d’histoires sanglantes, comme les miennes. Ils étaient certains que la Gestapo ne les attendait pas chez eux.

À Perpignan, rien n’est loin. Il suffisait de tourner sur le pont d’Envestit, de tourner encore et de suivre la rivière jusqu’au Nouveau-Théâtre. Je pus constater que le quai était strictement désert. C’est pas dur, il n’y avait pas ombre qui vive. Seuls parfois des tourbillons de poussière donnaient une apparence d’animation à ce quartier morose.

Mon cœur battait, fallait voir. J’avais déjà réussi à sortir de la caserne de ces salauds. C’était le plus dur. Mais la partie décisive, c’est maintenant qu’elle se jouait.

La bagnole s’arrêta devant le perron de marbre d’un somptueux hôtel. Le chef descendit le premier, lourdement. Je le suivis et alors là, je n’attendis pas que les autres aient le temps de réagir. En même temps que, de toutes mes forces, j’envoyais à mon milicien un superbe coup de poing en pleine figure qui dut, par la suite, lui constituer un joli souvenir, je lui faisais le coup du croc-en-jambe qui m’avait si bien réussi avec son copain. Il partit en arrière si vivement que sa tête, avec un choc sourd, heurta une des marches.

Naturellement je ne restai pas là pour voir s’il se relevait tout seul ou s’il fallait l’aider. Je me lançai dans la nuit, à toute vitesse. J’avais le vent dans le dos et je filai bon train.

La rafale m’apporta les imprécations de toute l’équipe. Mais par Dieu, je me fichais bien de leurs injures, je ne me souciais pas de m’arrêter pour savoir ce qu’ils racontaient.

Je me dis pourtant que je ne pouvais pas cavaler comme ça toute la nuit et que, de toute manière, ils allaient me prendre en chasse et, à coups de sifflet, alerter toute la population policière du secteur.

Il fallait que je dégotte quelque part une échappatoire. C’est à ce moment-là que, sur la face pile du Nouveau-Théâtre, dans une encoignure, j’aperçus par miracle une échelle de fer. Elle n’arrivait pas tout à fait à terre et il fallait effectuer un petit rétablissement pour y grimper. Ce n’était pas ça qui m’effrayait. Ce qui m’effrayait c’était de deviner dans mon dos le souffle infernal de cette meute de chiens lancée à mes trousses.

Je me retournai. Je ne voyais personne. Si ! L’un d’eux était en train de sonner à la porte de l’Abwehr. Voilà encore un bonhomme qui allait se faire bien recevoir, tiens !

Moi, à l’endroit où j’étais, je pouvais y aller, je pouvais me permettre de perdre quelques secondes. D’ailleurs, j’étais dans une ombre si dense qu’un chien de chasse n’y aurait pas retrouvé un bifteck.

Je fis un rétablissement et je commençai à grimper en me salissant drôlement les doigts, entre parenthèses, car la peinture se boursouflait et s’écaillait. C’était une sortie de secours qu’on n’avait sans doute jamais utilisée.

Il me semblait que je grimpais depuis une éternité, silencieusement, vers les étoiles. Maintenant, j’atteignais presque la hauteur des platanes, qui n’étaient pourtant pas de jeunes plants. Je grimpais toujours. La lampe bleue qui s’efforçait d’éclairer le quai n’avait maintenant pas plus de puissance qu’un bec de gaz.

Ici, où l’on n’était plus à l’abri des pâtés de maisons, le vent était d’une violence extrême. Il me plaquait parfois contre l’échelle. Ou alors, heurtant le mur et revenant en arrière, il tentait de m’en arracher. À ces moments-là, j’étais obligé de me cramponner, le souffle coupé. Ah ! quel bled ! Je n’y viendrai pas en voyages de noces !

Je finis par être saisi d’inquiétude. Et si cette damnée échelle ne menait nulle part ? J’allais être frais, moi, collé comme une punaise sur un mur glacé, sans pouvoir monter ni descendre ! Ou alors elle menait peut-être à quelque verrière sur laquelle il ne fallait pas s’engager sous peine de passer au travers. Ou alors à une porte close, ou à la pointe d’un paratonnerre. Ou… Et puis zut ! on verrait bien. J’étais mieux là que dans les pattes de la Milice. J’espérais quand même qu’ils ne m’avaient pas suivi jusqu’ici. À mon idée, je n’avais pas fait de bruit, et ils ne pouvaient pas se douter que j’aurais pris cette échelle comme moyen d’évasion. Encore fallait-il qu’ils la voient.