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Et brusquement ma main crocha dans le vide. L’échelle s’arrêtait là. Il n’y avait rien au-dessus et j’étais tout seul, perdu dans la nuit et la tempête, à trente mètres en l’air, en proie aux rafales qui s’efforçaient, diaboliquement, de m’arracher à ma précaire position.

Je me dis alors que si toutes ces aventures continuaient, quelque jour ma chance finirait par me plaquer, comme ces femmes dont on tire trop et alors, moi aussi, je ferais un beau mort.

Chapitre 7

Tout de même, ma situation actuelle prenait les proportions d’un désastre. Je sentais mes doigts s’engourdir. Le froid était extrêmement sensible. D’autant plus que je savais que je ne pouvais pas lutter contre lui. L’imagination aidant, c’était infernal.

Si je devais rester longtemps dans cette position, mes forces finiraient par me lâcher. Il suffisait d’un rien, le pied qui manque, la main qui ne croche plus dans l’échelon de fer et ce serait le grand saut. Ma position était trop acrobatique pour n’être pas fatigante. Sans parler du vent qui me harcelait. Peut-être m’étais-je trompé, tout à l’heure, et y avait-il un moyen de continuer cette ascension ? Je lançai ma main droite à la rencontre de la nuit, je me haussai sur la pointe des pieds, et tâtai le mur.

En bas, les miliciens patrouillaient, armés de lampes électriques. Ils s’arrêtèrent un tiers de seconde au bas du mur et repartirent. Mais maintenant mon cœur battait à tout rompre et je dus attendre que mon effervescence se soit calmée pour recommencer mes recherches.

Peu à peu, cependant, mes yeux s’étaient habitués à l’obscurité. Je levai la tête. Au-dessus de moi, comme un écran posé sur les étoiles, se détachait la masse sombre d’une plate-forme.

Elle n’était pas très éloignée de moi. Je parvins à la toucher et même à m’agripper. Puis, sitôt que je fus sûr de moi, je lançai ma deuxième main et crachai vivement. Il me fallut, pour améliorer ma position, escalader le dernier échelon.

À ce moment-là j’étais pendu en quelque sorte dans le vide, en arrière. Un coup de vent un peu brusque m’aurait cueilli comme une fleur.

Je me reposai, afin de récupérer absolument toutes mes forces puis je donnai un coup de reins. Un instant, je me sentis glisser mais, je bandai ma volonté et je me retrouvai à plat ventre sur la fameuse plate-forme.

Elle ne comportait aucun garde-fou, aucune mesure de sécurité n’avait été prise et on se demandait à quoi elle devait bien servir. Ce devait être un escalier de secours, comme je l’avais d’abord pensé, mais il était certainement abandonné et je me demandais même si cette porte, qui s’ouvrait sur la plate-forme, donnait quelque part. Parce que naturellement, pour redescendre, fallait pas y compter. Et si je ne pouvais pas sortir d’ici et que les miliciens me repèrent, de deux choses l’une, ou il faudrait qu’ils aillent chercher les pompiers ou il faudrait qu’ils m’abattent à la carabine, comme au tir aux pigeons. C’était déjà duraille de grimper, mais pour descendre c’était impossible. Valait mieux piquer tout de suite une tête dans l’ombre glacée qui montait de la nuit avec son rude parfum d’hiver.

Au point où j’en étais, je n’avais plus grand-chose à craindre des hommes. Il valait mieux tenter la chance, si minime soit-elle.

De la porte venait un ronronnement de machine. Il devait y avoir là un des appareils électriques qui faisaient fonctionner le cinéma. Je tapai à la porte. Le ronronnement continua mais je ne perçus pas le moindre bruit humain. En outre, bousculé par la tempête, je commençais à avoir le vertige.

J’insistai, bien persuadé que ça ne servait à rien et beaucoup plus pour gagner du temps, vis-à-vis de moi-même et de mon dégoût de la vie que je sentais monter, que pour obtenir un résultat.

Et voilà que tout à coup j’entendis une clef fouiller une serrure. Je me collai contre le battant, ivre d’une joie intense. Et je faillis être précipité dans le vide car la lourde s’ouvrait extérieurement. Fallut encore me cramponner. Heureusement, le type qui était derrière ne poussa pas à fond car aussitôt, un jet de lumière envahit cette maudite plate-forme et il m’aperçut immédiatement.

La surprise le cloua sur place. Je ne sais pas combien de temps nous restâmes ainsi, lui, soufflé d’étonnement et moi écrasé de bonheur. C’était un type jeune qui avait l’air de savoir prendre ses responsabilités.

— Qu’est-ce que vous faites là ? demanda-t-il enfin.

— Je vous l’expliquerai tout à l’heure, dis-je. Laissez-moi entrer.

Il s’effaça et nous refermâmes la porte derrière nous.

C’était la salle de projection du cinéma. Une énorme machine tournait à grand bruit. C’était ça que j’avais entendu à travers la porte, mais le panneau était si épais que ça m’avait semblé un bruit infime. Il faisait là-dedans une chaleur très lourde, qui sentait le caoutchouc et la pellicule.

— Comment diable, demanda le bonhomme, avez-vous fait pour arriver là ? Il manque la moitié de l’échelle.

— M’en parlez pas ! répondis-je. Je me le demande moi-même. Je me savais moyennement costaud et entraîné à pas mal de choses mais l’acrobatie, j’en avais jamais fait. Je ne m’en croyais pas capable.

— Vous n’êtes pas beau à voir, dit l’opérateur avec simplicité. Ce n’est pas en grimpant que vous vous êtes arrangé comme ça. Ça serait plutôt en tombant.

S’agissait maintenant de tomber sur un individu qui ait la Milice et le Maréchal en sympathie et j’étais cuit. Foutu pour foutu, je plongeai dans la baille. On verrait bien.

De temps en temps l’opérateur regardait où le film en était afin de changer le rouleau juste au moment où celui qui passait serait terminé.

— Je me suis barré des pattes de la Milice, répondis-je.

— Je vois, fit-il, en continuant son boulot, comme si rien n’était. C’est un bal auquel il vaut mieux ne pas aller en smoking. J’en sais quelque chose, non pas personnellement, mais mon beau-frère est allé faire un tour chez eux, un soir où, après pas mal de libations, il en a incendié un. Ferait que les flics, à côté d’eux, ce sont des enfants de Marie.

— Je ne me rends pas compte, j’en ai dérouillé un, à la suite d’une rafle, et ils m’ont assommé. Je n’ai rien senti de la valse. Excepté, bien sûr, en me réveillant.

Je ne me souciais tout de même pas de lui raconter pourquoi j’étais venu à Perpignan, ce que j’y avais fait, ni l’histoire du revolver. Voilà un truc que je regrettais, tiens, mon revolver ! c’était comme si j’avais perdu une personne chère. Il avait été si longtemps mon gagne-pain, mon vengeur et, plus récemment, mon défenseur que je lui devais une certaine reconnaissance.

— Mais comment avez-vous fait pour venir ici ? C’est diablement loin de la rue Saint-Martin.

— Oh ! je leur ai raconté une salade. Je leur ai joué le rôle du type qui n’en peut plus et qui avoue. Je leur ai fait croire qu’ils m’avaient poussé dans mes derniers retranchements et je leur ai dit que j’étais un espion.

— Ah ! ah ! rit l’opérateur, en changeant de bobine.

— Quant à savoir quel genre d’espion j’étais, c’était midi. Je les ai laissés dans le doute. Ils ne savaient pas si j’étais un espion nazi ou allié. Mais comme je leur demandais de me conduire aux bureaux de l’Abwehr, ils se sont dit qu’ils ne risquaient rien. Si j’étais un ennemi, ils seraient félicités, sinon on serait obligé de convenir qu’ils faisaient bien leur boulot. Quand on a été devant la porte, je leur ai fait la malle.

— C’est un film policier ! s’exclama le jeune homme.

— Oh ! vous savez, on en voit comme ça tous les jours. Nous traversons une drôle d’époque.