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Les coups dans la porte reprirent de plus belle. La lame pâle d’un jour pluvieux tranchait en deux la pénombre de la carrée. Jimmy dormait toujours. Je le secouai.

— Hé ! fit-il en se réveillant.

Il s’assit sur le lit et me regarda avec un peu d’étonnement, puis se frotta les yeux.

— Qu’est-ce qu’il y a ? demanda-t-il.

— J’en sais rien, dis-je. Mais je pense que ce sont les poulets. Il n’y a qu’eux pour taper dans une porte de cette manière.

— Les poulets ? sursauta-t-il.

Je crois, parole, qu’il avait oublié l’histoire de la veille.

J’avais récupéré mon pétard. Je tirai la culasse. Avec un déclic la cartouche glissa dans le canon.

— Qu’est-ce qu’on fait ? demanda-t-il en se grattant la tête.

— Va ouvrir, dis-je. C’est le mieux. Moi, je reste en planque. Si ce sont les flics, écarte-toi vivement. Il y aura du grabuge.

Un nouveau roulement de coups de poings sur la porte.

Jimmy sauta du pieu, enfila une robe de chambre et se dirigea vers la lourde.

Il n’avait pas plutôt fait jouer le pêne que le panneau s’écarta violemment. Je vis Jimmy lever les mains.

Un des types, celui qui portait une gabardine, lui avait mis son pétard sur le ventre. L’autre s’approcha de moi, le revolver au poing. Je levai mon feu.

— Pas de salades, dit le mec. Si tu fais le zouave, mon copain sucre ton pote.

— Tire pas ! hurla Jimmy. Ce n’était pas un gars qui avait les foies blancs, mais ça fait quand même un petit effet d’être braqué. Et il savait que son cavalier ne pardonnerait pas.

J’hésitai, une seconde. Il n’y avait rien à faire. Toutes les chances qu’on avait, c’était de se faire descendre tous les deux et de n’en déquiller qu’un. La partie n’était pas égale. Il fallait réserver l’avenir, c’était le mieux qu’on avait à faire.

Je laissai tomber mon Colt sur le dessus de lit et il me sembla que j’étais à poil, nu et mou comme un ver de terre avec pas plus de défense.

Jimmy revint dans la pièce, à reculons, les mains toujours en l’air. Le flic à gabardine ferma la porte derrière lui.

— Police, dit enfin celui qui le menaçait.

Il avait plutôt l’air d’un zazou que d’un poulet. Il portait une veste si longue qu’elle dépassait presque sa canadienne. Avec ça, des pantalons trop courts et trop étroits. Sur son front resplendissait une houppe à la Jean Cocteau. Il pouvait avoir vingt-deux à vingt-cinq piges, c’était le bout du monde.

— Police, répéta-t-il.

— Laquelle ? ricanai-je.

— Française.

— Et alors ? demandai-je, qu’est-ce que c’est que ce turbin ?

— C’est à toi qu’il faut le demander, répliqua-t-il. Qu’est-ce qui te prend ? Tu reçois tes visiteurs avec des pruneaux à la poudre, maintenant ?

Il s’approcha du plumard et saisit le pétard. C’est impossible de dire mon serrement de cœur quand je le vis disparaître dans la poche du type.

— Voilà, dit avec satisfaction cette grande vache, maintenant on peut causer.

Il s’assit au bord du lit, son feu aux doigts, comme toujours.

— Mets ton cul sur cette chaise, intima l’autre acrobate. Et Jimmy obéit.

— Tu n’es pas fou ? continuait cependant mon bourre. Tu n’en as pas assez avec les braquages ? Voilà que tu mets les Boches en l’air, à présent ? C’est les chagrins d’amour qui te poussent au suicide ?

— Foutez-moi la paix avec mes chagrins d’amour, répliquai-je aigrement, ça ne vous regarde pas. Ne mettez pas vos pattes là-dedans.

Le zazou haussa les épaules.

— Un vrai cave, murmura-t-il comme pour lui-même. Voilà un mec, une fille lui fait un turbin, ça y est, il descend tout le monde. Il aurait déquillé Pétain, s’il s’était trouvé là.

— Ce n’est pas ce qu’il aurait fait de plus mal, grommela Jimmy.

— Ta gueule, répondit le flic. Et tout ça pour une paire de fesses, continua-t-il. Comme si tous les derrières ne se ressemblaient pas !

Je grimaçai un sourire de mépris et pris une cigarette sur la tablette de nuit. J’étais très calme. Pourtant, j’étais fait comme un rat. Je n’y coupais pas. J’avais passé l’âge des illusions et je savais que toute cette histoire allait se terminer dans les bureaux de la Gestapo, puis contre un mur quelconque avec douze balles dans le bide. C’était très simple, parfaitement prévisible et pourtant ça ne me semblait pas vrai.

— Tu sais ce que tu vas chercher ? demandait cependant le policier. Le peloton. Oui. Le petit matin blême, le fossé et rrran ! La rafale de mitraillette. Il aurait mieux valu, conviens-en, que tu mettes une trempe à ta souris. Ça t’aurait coûté moins cher et ça aurait emmerdé moins de monde.

— Voilà une chose, par exemple, dont je me tamponne, grinçai-je, et si je pouvais vous emmerder davantage vous pouvez être sûrs que je ne me priverais pas.

Le poulet se tourna vers son acolyte.

— Il a vraiment une tête de cochon, soupira-t-il. Exactement l’esprit du type qui se fait buter pour des clopinettes. Comment veux-tu t’y prendre avec des mecs pareils ?

— Embarque-les, conseilla l’autre, et n’y pense plus. Ce n’est pas eux qui sont des caves, c’est toi.

— Il y a des moments, répondit le flic, où on se demande si ça vaut vraiment le coup.

Qu’est-ce que ça voulait dire tout ça ? Mon regard allait de l’un à l’autre. J’essayais de lire quelque chose sur leurs gueules fermées.

— Écoute-moi bien, reprit le zazou, et examinons ensemble les faits. Hier soir, un peu avant onze heures, tu as déquillé ta poule, place des Ternes. Elle était accompagnée de deux mecs de la Gestapo. Tu en as fait du boudin. D’accord ?

— C’était un attentat terroriste, ricanai-je. Ce n’est pas moi et je n’y suis pour rien.

— Ne parle pas de ça, malheureux ! On dirait que tu fais exprès d’aggraver ton cas.

— Je vous dis que ce n’est pas moi.

— À d’autres ! On est drôlement rencardés. Et le plus ennuyeux c’est qu’on n’est pas les seuls. Tout le Quai des Orfèvres l’est autant que nous. Et la Gestapo aussi, naturellement. Elle doit être en train de fouiller ta carrée, la Gestapo, à l’heure qu’il est. Tu as encore de la veine que ce soit nous qui t’ayons trouvé ici.

— Drôle de veine ! ricanai-je. Il n’y a pas de quoi remercier le ciel.

— Tu crois ? demanda le flic, avec un air bizarre. Moi je pense, au contraire, que tu as un pot que tu ne mérites pas.

Jimmy se taisait. Il examinait la scène, les sourcils froncés et comme moi, il essayait de comprendre.

Mon flic se releva et fit trois pas dans la chambre, la tête basse, comme s’il cherchait le secret de la quatrième dimension.

— Pour te dire la vérité, reprit-il enfin en se campant devant moi, tu es un type foutu. Si on fait abstraction du temps, c’est comme si tu avais une croix de bois à la tête et un petit jardin sur le ventre. C’est pareil. Tu es un vivant incroyablement provisoire. Alors, je vais te parler d’homme à homme. Tu as descendu les Fritz, pas vrai ?

Ouais ! S’il croyait m’avoir de cette manière comment qu’il se gourait ! Je ne suis pas un mec à me déballonner avec un peu de pommade. Ce n’est pas exactement de cette manière que j’ai appris à procéder.

— Et puis quoi ? répliquai-je. Vous êtes bien sûr que ce n’est pas moi qui ai rectifié Darlan ?

— Ne joue pas au con, conseilla-t-il. Ce qui nous empoisonne le plus, c’est le meurtre de la poupée, parce que ça, ça tombe sous le coup de la loi française. Mais pour les deux sagouins, comment qu’on s’en fout. Ça regarde les boches, fallait pas qu’ils y viennent. Et même, pour te faire un aveu, ce genre de désinfection ne déplaît pas tellement à quelques-uns d’entre nous Quai des Orfèvres. Pas vrai, Toto ?