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— Viens près de moi.

Elle s’assit au bord du lit et je la suivis.

C’est à ce moment-là que je ressentis mon coup de pompe. J’étais écrasé de fatigue. Mes yeux se fermaient. Je voyais Claudine à travers un voile. Je l’entendais parler, je lui répondais machinalement mais je ne prêtais aucune attention à ce qu’elle me racontait. J’avais trop sommeil, à la fin. C’était tout l’éreintement des jours passés qui revenait.

— Écoute, lui dis-je, je rentre à peine de voyage, je suis crevé. Je vais dormir un peu. Viens dans mes bras.

Elle se coucha aussi et mit sa tête sur mon épaule. Je la serrai contre moi et je plongeai aussitôt dans un sommeil noir.

Lorsque je me réveillai, Claudine était déjà levée. Elle faisait chauffer quelque chose sur un petit réchaud électrique.

— Je te fais du café, dit-elle. J’ai pensé qu’en te réveillant tu aimerais ça.

— Tu es un ange, répondis-je.

— Alors, ça s’est bien passé, ton voyage. Tu as eu de la place ?

— J’ai toujours de la place.

— Comment fais-tu ?

— Je me débrouille.

— Tu as gagné beaucoup d’argent ?

— Assez.

— Mais quel genre de marché noir fais-tu ? La soie ?

— Je laisse la soie aux soyeux, je n’y entends rien. Oh ! c’est beaucoup plus compliqué que ça. Il s’y mêle des histoires de contrebande.

— Avec l’Espagne ?

Elle dit ça d’un air tellement détaché que le ton n’y était pas. Ça sonnait faux comme un dé pipé.

— Pourquoi me demandes-tu ça ? ripostai-je.

Elle me regarda d’un air étonné.

— Puisque tu étais à Perpignan.

— Oui, évidemment…

— Et les Espagnoles, elles sont jolies ?

— Je n’en sais rien, je ne suis pas allé en Espagne.

— Bah ! il y en a bien à Perpignan, tout de même.

Comme tout à l’heure, elle avait cet air tranquille qui m’indisposait.

— Qu’est-ce que tu veux encore insinuer ?

— Mais rien, je t’assure. Simplement je sais qu’à Perpignan il y a beaucoup d’Espagnoles.

— À Lyon aussi.

— Oui, bien sûr, mais ce n’est pas la même chose. Là-bas, elles sont sans doute plus belles. Ce sont des filles à qui il faut du soleil. Et puis elles ont des noms si charmants. Consuelo, par exemple…

— Quoi, criai-je.

Ma parole, je sautai presque du lit.

— Ne fais pas l’enfant, dit-elle sèchement en retirant de mes mains ma tasse vide. C’est pour affaires, n’est-ce pas, que tu es allé à Perpignan ? Mais pour affaires sentimentales. Tu es allé voir une femme, voilà tout.

— Non, par exemple.

— Ne me mens pas.

— Mais d’où as-tu sorti cette nouvelle théorie ?

— D’un papier qui est tombé de ta poche, pendant que tu dormais. Le voilà.

Elle le déplia, l’éleva et lut :

— Consuelo Raphaël, rue Saint-Mathieu, Perpignan.

— C’est une adresse d’affaires.

— Avec du rouge à lèvres ?

Elle jeta le papier sur le lit. En effet le dessin des lèvres de Consuelo s’y écrasait. La gitane avait dû embrasser ce morceau de papier avant de le mettre dans ma poche. Je me souvenais en effet qu’elle avait noté son adresse pour ne pas que je l’oublie. Ça faisait du joli, maintenant !

— Je n’y comprends rien, dis-je, ou plutôt je comprends trop bien. C’est un spécimen des rouges à lèvres dont on fait le trafic avec l’Espagne.

Elle haussa les épaules et me regarda avec pitié.

— Tu as réponse à tout, mais tu manques trop visiblement d’imagination. C’est comme si tu me disais que tu étais allé là-bas pour descendre le chef de la Milice.

Je sursautai et me sentis blêmir.

— Qu’est-ce que c’est encore que ça ? criai-je.

— Rien. J’ai vu ça dans les journaux. On a tué le chef de la Milice de Perpignan.

— Et alors ? criai-je plus fort encore, au paroxysme de la rage. Qu’est-ce que tu veux que ça me foute ? Je ne le connaissais pas, ce type, je ne l’avais jamais vu. Je n’ai rien à faire avec la Milice, rien, tu entends ?

Elle me regarda debout au pied du lit, grave, un peu effrayée.

— Mais qu’est-ce qui te prend ? Je n’ai rien dit !

Ça me fit l’effet d’une douche froide. Je me calmai aussitôt et, me rejetant sur le pieu, je tournai la tête.

— D’ailleurs, continuait cependant Claudine en rangeant les tasses, je n’ai rien à te reprocher. Tu es libre. Nous ne sommes pas mariés et je ne veux pas te forcer la main. Si tu ne m’aimes pas ou si tu veux continuer tes frasques, nous nous quitterons. Je ne veux pas te partager.

— Fiche-moi la paix, grommelai-je, plus fâché contre moi-même que contre la fille. Si tu savais à quel point les filles me laissent indifférent, à l’heure actuelle ! Je n’ai vraiment pas le temps de m’en occuper.

Elle revint s’asseoir au bord du lit et passa sa main dans mes cheveux.

— Mais enfin, cette Consuelo, qui est-ce ? demanda-t-elle doucement avec une petite voix mouillée.

— C’est une femme qui trafique, je te l’ai déjà dit ! expliquai-je agacé. Si c’est pour me faire subir un interrogatoire que tu m’as réveillé, il valait carrément mieux me laisser dormir, je te jure.

Elle poussa un soupir et se releva. J’en profitai pour allumer une cigarette et pour réfléchir à tout ça.

Qu’est-ce qu’elle savait exactement, cette gosse ? Pourquoi avait-elle parlé de cette crapule de Pourguès et de sa mort tragique. Est-ce qu’elle se doutait que j’étais dans le coup ? Ça faisait un petit paquet de questions déjà, et qui seraient difficiles à éliminer. Et elle, qu’est-ce qu’elle faisait exactement ? Qu’est-ce qui pouvait l’intéresser ? Était-ce vraiment de la jalousie ou avait-elle un plan beaucoup moins sentimental.

Il avait bougrement raison, Bodager, il partageait les opinions de Jimmy sur les femmes. On ne saurait être trop prudent avec elles. Ça peut avoir des conséquences extraordinaires, le moindre geste, lorsqu’on est en rapport avec l’une d’elles.

En tout cas l’intervention posthume de M. Pourguès dans cette affaire ne me plaisait pas du tout. Ça me semblait louche au dernier degré.

Évidemment, le hasard est un grand maître. Il se pouvait parfaitement que la môme ait parlé de cette affaire-là comme elle aurait parlé des courses à Auteuil. Seulement, comme c’était une combine qui, naturellement, m’intéressait au premier chef, j’y avais tout de suite vu une allusion à mon crime.

C’est comme cette histoire de papier tombé de ma poche ! Il s’était trouvé précisément que c’était celui-là, ce n’était pas un vieux ticket de métro ou toute autre bricole. Non, il avait fallu précisément que ce soit celui-là. Il y avait, à mon goût, beaucoup trop de hasards dans cette affaire. À vrai dire, j’avais la conviction qu’elle m’avait fouillé pendant mon sommeil. Et alors ça, ça n’arrangeait rien du tout, parce que, dans ce cas elle avait dû, cette fois, repérer mon feu. Pourquoi ne m’en parlait-elle pas ? Quel intérêt avait-elle à dissimuler ce qu’elle savait sur mon compte ?

Je n’aime pas le mystère, ni les questions qui sont son expression, surtout quand ces questions sont si nombreuses. Ça me fatigue le cervelet. Je veux tout de suite avoir le résultat.

Je sautai du lit, sans un mot, allai à la cafetière et m’en servis un grand coup. C’était du vrai café, bien sucré, il était drôlement bon quoique moi, comme digestif ou comme réveil matin, je préfère encore le cognac.

— Excuse-moi, dit la môme.