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Elle se dirigea vers la porte et sortit. Elle devait aller aux lavabos. Ça, ça m’arrangeait drôlement. Je bondis sur la machine à écrire. C’était une petite portative. Je regardai le clavier. Allemand, sans aucun doute, le double ss qui affecte vaguement la forme d’un b s’y trouvait. Mais ça, ça ne prouvait encore rien. Il y avait des machines allemandes en France avant la guerre et on en trouvait parfois encore en occasion.

J’avais encore dans la bouche cette saveur du vrai café et je réfléchis tout à coup qu’au fait cette denrée était contingentée, ce qui signifiait qu’il n’y en avait plus un grain sur le marché français. Seuls, les Allemands…

Oh ! oh ! Mais ça commençait à prendre tournure.

Je perdis un temps fou à trouver son sac à main. Elle l’avait caché sous une robe négligemment jetée sur une chaise. C’était sans doute par inadvertance.

Je le fouillai rapidement. Rien. Je me grattais la tête pour savoir ce que je pourrais bien encore vérifier lorsque je m’aperçus que cette robe comprenait une poche assez profonde. J’y glissai la main et j’en sortis une lettre. Il ne me fallut pas longtemps pour m’apercevoir que cette lettre était rédigée en allemand. Avec leur foutue écriture gothique, lorsque ces types laissent courir leur plume, un pharmacien ne s’y reconnaîtrait pas.

Toutefois, je pouvais déchiffrer la première ligne :

« Mein Lieber Claudine… »

Chapitre 2

Il n’était pas nécessaire de s’être fait inscrire à une université américaine et d’y suivre des cours d’éducation sexuelle pour comprendre qu’il s’agissait d’une lettre d’amour. Et le type qui l’avait écrite devait être en pleine effervescence car, pour les points d’exclamation, il s’était montré généreux. Mais, quant à savoir ce qu’il disait ensuite, c’était midi sonné.

Je remis le sac en place et fourrai le poulet dans ma poche. On verrait ça plus tard, ce soir par exemple, avec Mordefroy. Il devait bien parler l’allemand, ce zèbre, c’était un type qui avait été à l’école.

J’entendis un pas sur le palier et le bruit d’une chasse d’eau. C’est Claudine qui revenait. Je me jetai sur le lit comme si, après avoir bu mon café, j’y étais revenu aussitôt.

Ah ! madame fouille les poches des messieurs ? On allait lui faire voir que monsieur sait aussi fouiller les sacs à main des dames.

Elle se pencha sur moi, mit un baiser très appuyé sur mon front et reprit ses occupations.

Moi je me demandais ce que ça pouvait être que cette lettre. Certainement, Claudine était la poule d’un soldat allemand. Ça devait être lui qui lui avait donné cette machine et ce café. Pendant que je faisais le zouave à Perpignan, avec mes crocodiles, cette salope flirtait avec les Frizés. À moins qu’elle ne l’ait déjà connu quand nous nous étions rencontrés et qu’elle m’ait pris pour un pigeon. Ce qui était encore possible. Allons, fallait me faire une raison, j’étais cocu, une fois de plus. J’en devenais peu à peu enragé. Quand je pensais qu’elle avait eu le culot de me faire une sérénade terrible au sujet de Consuelo et qu’elle, de son côté…

C’était d’autant plus révoltant que ça avait dû se passer dans cette chambre qui était, qu’on le veuille ou non, ma chambre et mon plumard. Et encore avec mon pognon.

Je regardai ma montre-bracelet, il était près de six heures, déjà. Il y avait un bon bout de temps que Claudine avait fermé les rideaux et allumé l’électricité, ce qui fait que, dans cette boîte carrée et silencieuse, on perdait toute notion du temps. Je me dis qu’il valait mieux changer d’atmosphère. J’allais sortir et aller faire un tour. Je m’avancerais tranquillement vers les Ambassadeurs en prenant soin de m’arrêter chez Ricardo boire un pastis.

Je sautai du pieu et allai arranger ma cravate devant la glace. Claudine vint et passa ses bras autour de mon cou.

— Tu m’en veux ? demanda-t-elle d’une petite voix de fillette qui boude. Faisons la paix. Il y a au moins deux heures que tu ne m’as pas dit un mot.

Je pris ses poignets et les écartai violemment, sans répondre, avec un regard où devait danser la haine. Je lui en voulais à mort. Elle me faisait perdre confiance en moi. Décidément, je n’étais pas fait pour l’amour. Les filles se moqueraient toujours de moi. Moi, je serais éternellement bon pour banquer et entretenir les maîtresses des autres. C’est tout. L’amour, pfuit ! pour les voisins. Ah ! Nom de Dieu !

Je haussai des épaules découragées, j’enfilai ma canadienne et je sortis. Claudine s’était assise au bord du lit et elle me regarda partir avec le regard triste et soumis d’un chien battu.

Je retrouvai Mordefroy aux Ambassadeurs à l’heure dite. Il parut très heureux de me revoir. Il n’avait pas changé. Il avait toujours l’air aussi minable. C’est vrai qu’il n’avait guère eu le temps d’évoluer, depuis mon départ. Je ne m’étais absenté qu’une quinzaine et il me semblait qu’il y avait des années, tant il s’était passé d’événements.

— Voilà, dit-il enfin, les papiers que vous avez demandés. Vous vous appellerez Maurice Pierrard. Avec ça, les miliciens peuvent toujours courir.

Je les enfouis vivement dans ma poche.

— À propos, dis-je, j’ai quelque chose à vous soumettre. Est-ce que vous parlez l’allemand ?

— Parfaitement. J’y ai vécu dix ans, dans leur satané pays.

— Vous le lisez aussi manuscrit ?

— Mais oui, pourquoi ?

— Traduisez-moi cette lettre, alors.

Mordefroy saisit le papier, le flaira, chaussa des lunettes à monture fil de fer et commença sa lecture.

« Ma chère Claudine,

« Je vous envoie un peu de café que nous avons touché ce matin même. J’en profite pour vous dire à nouveau combien je vous aime. Je n’ai que la chance de vous le dire par lettre puisque lorsque je vous parle vous me riez au nez ou vous vous débarrassez de moi. Et pourtant, si vous saviez à quel point je suis sincère.

« Je voudrais vous épouser quand la guerre sera finie, et vous amener chez mes parents à Karlsruhe. J’ai une grande sœur qui est blonde comme vous et un frère plus jeune qui va au Gymnase… »

— C’est le collège, s’interrompit Mordefroy.

— Ah bon !

« … et tout le monde serait très gentil pour vous. Vous voyez que je suis très sérieux.

« Vous m’avez dit que vous ne vouliez pas épouser un Allemand parce que vous êtes Française et que vous seriez mal vue en Allemagne. Ce n’est pas exact. Nous ne sommes pas des sauvages… »

— Ils y tiennent à ne pas passer pour des sauvages.

— Continuez, dis-je.

« … Je crois plutôt que vous aimez un autre homme et que vous ne serez jamais à moi. C’est dommage. Nous aurions été si heureux ! La guerre ne durera pas toute la vie. Mais moi, je continuerai à penser à vous, à vous écrire et à vous aimer si fort qu’un jour peut-être vous serez obligée de vous apercevoir que j’existe et que vous m’aimez aussi un peu.

Franz. »

— Eh bien ! s’exclama gaillardement Mordefroy, qu’est-ce que vous dites de ça ? Voilà un jeune homme qui est dans la plus belle tradition allemande. Des roses et un fusil, des sérénades tristes et des rafales de mitraillette.

— Je pense que c’est une belle saloperie, dis-je, rêveur.

— Quoi donc ?

— La guerre. Voilà un garçon qui ne rêve que d’amour, de vie paisible, de mariage et de famille, et le voilà ici, en France, à la merci d’une rencontre avec mon Colt ou celui d’un confrère. Vous conviendrez que c’est un tantinet idiot.