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Corson s’agrippa au bord de la nacelle et se releva. La brutalité du départ l’avait jeté sur le plancher d’osier tressé, qui craquait de façon inquiétante. Il lança un regard au Noir en pantalon rouge qui s’accrochait des deux mains aux suspentes et déposa son sabre au fond de la nacelle. Puis il aida Antonella à se redresser.

— Quel que soit votre camp, dit-il au Noir, je vous remercie de vous être trouvé là. Je me nomme Corson. Je faisais partie de l’équipage du…

Il s’interrompit. Absurde d’évoquer ici l’Archimède, croiseur spatial de ligne engagé dans la guerre entre la Terre et Uria… En vérité, il était un soldat sans armée et sans cause, un soldat perdu. Et n’eût été l’énorme champ de bataille d’Aergistal, il aurait même oublié qu’il avait été soldat.

— Je suis le zouave Touré, dit le Noir. Maréchal des logis et pour le moment aérostier dans un régiment de transmissions. Mon ballon était initialement captif, mais, à la suite d’un tir heureux ou malheureux de l’adversaire, il a cessé de l’être. J’ai aussi un diplôme d’infirmier. Et je…

Il hésita.

— Et… insista Corson, sans brutalité.

— Vos tenues me rappellent quelque chose. Je n’ai pas toujours été aérostier. J’ai été ingénieur. Et pilote d’hélicoptère. C’est d’ailleurs pour ça qu’on m’a confié ce ballon.

Il se mit à rire.

— J’ai dit que je connaissais quelque chose à l’aéronautique. Il me paraissait préférable de me trouver au-dessus de la mêlée. Et vous, de quelle guerre venez-vous ?

Corson hésita à son tour.

— D’une guerre interplanétaire, dit-il au bout d’un moment. Mais je ne suis pas venu directement ici.

— Une guerre interplanétaire, dit Touré, pensif. Alors, vous devez venir d’une époque bien postérieure à la mienne. On commençait tout juste à s’intéresser à l’espace, de mon temps. Je me souviens encore du jour où le premier homme est arrivé sur Mars. Un événement…

Il pointa le menton vers Antonella.

— Et elle ? Elle vient de la même guerre que vous ?

Corson secoua la tête.

— Antonella vient d’une époque pacifique.

Le visage du Noir se ferma.

— Alors, elle ne devrait pas être ici, dit-il catégoriquement.

— Pourquoi ?

— Il n’y a dans cet univers que des guerriers, des soldats, des gens qui ont été déclarés criminels de guerre pour une raison ou pour une autre. Moi, j’ai balancé des roquettes sur un village où il n’y avait que des civils, quelque part en Europe, dans une île qui s’appelait et s’appelle peut-être encore la Sicile. Je ne dis pas que je savais ce que je faisais, mais je ne dis pas non plus que je l’ignorais. C’est ça, la guerre.

Une question traversa l’esprit de Corson.

— Vous parlez pangal. Je croyais que le pangal n’était pas en usage avant la conquête des étoiles.

— Ce n’est pas ma langue maternelle. Je l’ai appris ici. Tout le monde parle pangal en Aergistal, avec quelques variantes.

— Et quelle était votre langue maternelle ?

— Le français.

— Ah bon, dit Corson. Le mot ne lui disait rien.

Son esprit fourmillait d’énigmes. Elles pouvaient attendre. Le ballon avait vogué jusque-là le long du rivage, mais il manifestait une fâcheuse tendance à dériver vers la haute mer. Et l’océan plat, devant eux, s’étendait à l’infini.

18

Ils survolèrent un groupe de drakkars qui cherchaient furieusement à s’éperonner mais qui étaient gênés par la faiblesse du vent et qui n’avançaient que lentement, à force de rames. Un peu plus loin, ils aperçurent des structures alvéolaires pour la conquête desquelles se battaient des arachnoïdes. Il n’y avait pas que des humains en Aergistal, bien que dans la région qu’ils avaient explorée les humains parussent être en majorité. Une fois ou deux, ils distinguèrent de grandes ombres sous la mer.

Le ballon s’écartait progressivement de la côte, mais celle-ci demeurait encore visible.

— Inutile de se laisser mourir de faim, dit Touré avec bonne humeur en ouvrant un coffre d’osier qui occupait une partie de la nacelle.

Machinalement, Corson chercha à son épaule la bretelle du sac de vivres. Il ne la trouva pas. Il avait perdu le sac en se battant avec le recruteur.

— Voilà du saucisson, du pain qui est encore assez frais et du rouge, dit le Noir. Il tira d’une poche de son pantalon bouffant un énorme canif et se mit à découper le pain en tranches et le saucisson en rondelles. Puis il déboucha la bouteille et la tendit à Antonella.

Corson le regardait faire avec intérêt.

— Vous n’avez jamais rien vu de tel, hein ? dit Touré en remarquant son étonnement. Je suppose que dans votre époque on se nourrit de pilules et autres composés chimiques. Mais ceci n’est pas mauvais. À la guerre comme à la guerre, hein !

Le vin réchauffa Corson. Il mordit dans une tranche de pain et se décida à poser quelques questions. Il avait, après tout, en face de lui un homme qui disposait d’une expérience beaucoup plus vaste que la sienne de ce monde étrange.

— Ce qui m’étonne, commença-t-il prudemment, c’est que le ciel reste vide. La guerre aérienne devrait faire rage un peu partout.

— Il y a des règles, dit Touré. Du moins, je le suppose. Pas d’avions, ni de fusées, ni d’hélicoptères dans ce secteur-ci. Mais ça ne veut pas dire que dans une autre région d’Aergistal, des combats aériens ne se déroulent pas. Le contraire m’étonnerait plutôt.

— Des règles ?

Corson cessa de mâcher.

— Vous avez peut-être remarqué une chose, poursuivit Touré, c’est que personne n’utilise ici d’armes nucléaires. Cela a dû vous surprendre, non ? si on en utilise toujours en votre temps. Mais de l’autre côté des montagnes, des bombes atomiques explosent de temps à autre. Et des grosses.

Corson se souvint des piliers de feu et des champignons de fumée qu’il avait vus par-dessus les montagnes. Il acquiesça.

— Et qui se charge de faire respecter ces règles ?

— Si je le savais, j’irais lui demander poliment de me faire sortir d’ici. Un dieu ou un démon, probablement !

— Vous croyez réellement que nous sommes en enfer ?

Le terme d’enfer n’avait pas grand sens pour Corson. Il l’avait utilisé en faisant référence à des mythologies presque oubliées en son époque qui avait été dominée par un positivisme utilitaire et froid. Dans la langue galactique, un enfer n’était rien de plus qu’un endroit particulièrement désagréable.

— J’ai pas mal réfléchi à cette question métaphysique, avoua Touré, mais ça me paraît un enfer rudement matériel. Ce ciel, par exemple, je jurerais qu’il est aussi dur qu’une plaque de verre. J’ai fait quelques calculs de triangulation en montant et en descendant avec ce ballon et j’ai le sentiment que le plafond se trouve entre dix et douze kilomètres d’altitude. Cela dit, pour être matériel, cet endroit ne me paraît guère naturel. Absence d’horizon, monde plat, ce n’est pas la surface d’une planète. Ou alors, sur une planète de ce rayon, la pesanteur devrait être colossale. Nous aurions tous été écrasés dès la première minute.

Corson acquiesça, avec une pointe d’étonnement : cet homme de l’ancien temps manifestait de surprenantes connaissances.

— Nous ne sommes pas dans un espace normal, dit Antonella. Je ne peux rien prévoir de l’avenir. Je ne sens plus rien. Au début, je ne me suis pas inquiétée parce que notre prescience disparaît quelquefois. Mais pas aussi complètement. Ici, c’est comme si… comme si j’étais aveugle.