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« Les jours ont passé. Les siècles. Puis les millénaires. Mais le plus pur duvet d’Uria – devrais-je dire la fine fleur pour me faire comprendre – n’a pas oublié. Les temps sont peut-être venus de secouer le joug. D’après ce que nous savons, l’Office galactique est malade ; il renoncera à intervenir pendant un siècle ou deux. Plus de temps qu’il ne nous en faut pour reconstruire une flotte et retrouver les voies de la conquête. Mais avant cela, il nous faut reprendre ce monde, notre monde, et en chasser les humains.

Il se tut un moment, dardant ses yeux à la double paupière et que fendait un iris vertical sur Corson qui n’avait pas bronché.

— Et c’est ici que vous intervenez. Nous avons oublié la pratique de la guerre. Non pas la théorie, car la spéculation ne néglige chez nous aucun sujet, mais la dure pratique. Nous possédons des armes terrifiantes, celles-là mêmes que les plus avisés des Princes d’Uria cachèrent dans les profondeurs de la planète voici plus de six mille ans. Mais nous avons besoin d’un petit animal qui avec son esprit rusé et entêté sache nous dire quand frapper et où frapper. Nous avons besoin de vous. Je ne sous-estime pas les humains, je les méprise, ce qui n’est pas la même chose. Et dans les nuits profondes de mes méditations, je me suis dit : use contre les humains de la meilleure des armes, un humain.

« Ne protestez pas, homme Corson. Votre intérêt est de notre côté. Vous avez été jugé, condamné et rejeté par les vôtres. Il n’est pour vous point de salut parmi eux. Tandis que si vous servez la gloire de l’œuf bleu d’Uria, vous serez libre, aussi libre qu’un Urien véritable, issu de l’œuf, et vous régnerez sur les esclaves humains. Si vous décidiez de nous résister, homme Corson, votre volonté ne prévaudrait pas. Nous sommes experts dans les sciences interdites et nous n’avons rien oublié des expériences que nous fîmes, voici plus de six mille ans, sur quelques-uns des vôtres. Mais, je le crains, vous cesseriez d’être vous-même. Et vous n’êtes pas le seul disponible, homme Corson. Il se fait, ces temps-ci, un grand trafic d’hommes de guerre. Il y a, sur bien des mondes, des êtres qui aspirent à se débarrasser de la tutelle de l’Office et qui achètent à bon prix des mercenaires. Et ceux-ci, d’ordinaire, n’ont rien de plus pressé que de se venger. La haine pour leur propre espèce décuple leur talent. J’espère, homme Corson, pour vous et pour nous, que ceux qui vous ont livré à nous ne nous ont pas trompé sur votre talent. Car vous êtes sur une voie où il n’est qu’une issue : vaincre pour nous.

— Je vois, dit Corson.

Les Uriens avaient la réputation d’être bavards et celui-là n’échappait pas à la règle. Mais il n’avait pas livré le seul renseignement que désirait Corson : la date. Était-il revenu avant ou après son premier passage sur Uria ? Ce nouveau danger coïncidait-il avec les deux précédents, le Monstre lâché dans les forêts d’Uria et la folie conquérante de Veran ? La coïncidence n’était-elle pas excessive ? Y avait-il un principe d’équilibre selon lequel on pouvait retarder les catastrophes, mais non les éviter ?

Et ce nom, Ngal R’nda, Floria Van Nelle l’avait prononcé devant lui. « Ngal R’nda est l’un de mes meilleurs amis. » Sur le moment, il n’y avait pas attaché une telle importance. Il se souvenait avec précision de la phrase. C’était singulier.

Il renonça à demander la date. Il n’avait jamais su l’année de son premier séjour. Mais il disposait d’un repère.

— Est-ce qu’un hipprone sauvage a été repéré ces temps derniers sur Uria ?

— Vous posez des questions singulières, homme Corson. Mais celle-ci me paraît inoffensive. Aucun hipprone sauvage n’a été observé sur ce monde depuis des siècles et peut-être des millénaires.

Deux possibilités. La présente scène se déroule avant que je sois tombé sur Uria, ou juste après, pendant que le Monstre, dans un terrier, prépare sa portée de dix-huit mille petits. Dans la seconde hypothèse, l’intervalle d’incertitude se trouve réduit à six mois au plus.

— O.K. ! dit Corson, utilisant une formule archéologique, vous m’avez convaincu. Je marche avec vous. Avez-vous une armée ?

— Une armée est une façon peu subtile de faire la guerre.

— Quelle est votre façon ?

— Le chantage, le meurtre, la propagande.

— Des subtilités, en effet, dit Corson. Mais il vous faut une armée.

— Nous avons des armes, dit l’Urien, qui n’ont pas besoin de servants. D’ici, je puis effacer n’importe quelle ville d’Uria ou n’importe quelle brindille. Ou n’importe quel humain, où qu’il soit. Vous aussi, bien entendu.

— Alors pourquoi avez-vous besoin de moi ?

— Vous nous direz quels objectifs il convient de frapper, quelle gradation il faut observer dans l’escalade. Vos propositions seront étudiées avec soin avant d’être retenues. Vous serez chargé des négociations avec les humains. Après cela, ils vous haïront suffisamment pour que vous ne soyez plus tenté de nous trahir.

— Quelles sont les conditions de leur reddition ?

— Pour commencer, neuf femmes sur dix devront être mises à mort. La fécondité des humains doit demeurer à l’intérieur de limites acceptables. Tuer les hommes ne servirait à rien. Un seul homme peut féconder beaucoup de femelles. Mais les femelles sont le point faible de votre espèce.

— Ils ne se laisseront pas faire, dit Corson. Ils se défendront comme des démons. L’espèce humaine peut se montrer terriblement coriace si on l’aiguillonne trop.

— Ils n’auront pas le choix, dit l’Urien.

Corson grimaça.

— Je suis fatigué et j’ai faim, dit-il. Comptez-vous partir en guerre tout de suite, ou ai-je le temps de me reposer et de me restaurer ?… Et de réfléchir ?

— Nous avons le temps, dit l’Urien.

Sur un signe, les gardes abaissèrent leurs armes et s’approchèrent de Corson.

— Emmenez notre allié, dit le vieil Urien, et traitez-le avec soin. Il vaut plus que son poids de l’élément 164.

24

Corson fut éveillé avec douceur par un Urien de basse caste à la houppe écrêtée.

— Vous devez vous préparer à la cérémonie, mon homme Corson, dit l’indigène.

Il conduisit Corson dans une salle d’eau dont les équipements n’avaient pas été conçus pour un humain. L’eau avait une abominable odeur de chlore et Corson en usa avec parcimonie. Il put tout de même se laver et se raser. Puis l’Urien lui fit revêtir une tunique jaune semblable à celle qu’il portait lui-même. Bien qu’elle eût visiblement été préparée pour Corson, les manches en étaient un peu courtes et la traîne exagérée. Une connaissance approfondie de l’anatomie humaine avait fait défaut au tailleur.

L’Urien emmena Corson dans un office où il put se restaurer. Les métabolismes des humains et des Uriens étaient si différents que la nourriture des uns était du poison pour les autres, et Corson éprouva d’abord de la méfiance à l’endroit de ce qu’on lui présentait. Mais l’oiseau géant le rassura.