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— C’est une présentation de l’Œuf, mon homme Corson, dit-il d’un ton solennel à Corson qui s’était enquis de la cérémonie.

— De quel œuf ? demanda abruptement Corson, la bouche pleine.

Il crut que l’Urien allait se trouver mal. Des pépiements s’échappèrent de son bec, que Corson interpréta comme des jurons ou encore comme des formules rituelles.

— Le très vénérable Œuf bleu du Prince, articula enfin l’Urien qui paraissait avoir la bouche pleine de majuscules.

— Je vois, dit Corson, surpris.

— Aucun humain n’a jamais assisté à une présentation de l’Œuf. C’est une très grande chance que vous avez et un très grand honneur que vous fait le Prince R’nda.

Corson acquiesça.

— J’en suis persuadé.

— Il est temps d’aller, maintenant, dit l’Urien.

Ils gagnèrent une grande salle elliptique, dépourvue d’ouvertures. Depuis qu’il était tombé aux mains des Uriens, Corson n’avait pas entrevu une seule baie, une seule ouverture donnant sur l’extérieur. La base secrète devait être profondément enterrée.

Une centaine d’Uriens se pressaient dans la salle et observaient un silence respectueux. La foule s’ouvrit devant Corson et son guide qui se retrouvèrent au premier rang. Les assistants portaient des tuniques de différentes couleurs et s’étaient regroupés selon les teintes. Corson et l’Urien de basse caste étaient les seuls à porter des tuniques jaunes dans le groupe des premiers rangs qui étaient vêtus uniformément de violet, tirant sur le bleu. Corson entendait caqueter autour de lui et il en déduisit sans effort que ses voisins étaient de haute noblesse pour se permettre une telle incorrection. Il tourna la tête et regarda vers le fond de la salle. Derrière les violets, des rouges attendaient sagement, et derrière eux encore, des oranges. Tout au fond, des tuniques jaunes baissaient la tête.

Devant lui, presque à la pointe de l’ellipse que dessinaient les parois de la salle, se dressait un bloc de métal. Une table, un coffre, un autel. Un frisson lui parcourut l’échine.

J’espère n’être pas destiné au sacrifice, pensa-t-il, plaisantant à demi. Je préférerais ne pas jouer le rôle de la jeune vierge dans les romans historiques. Pour ce qu’il en savait, il n’avait rien de tel à redouter. Les Uriens ignoraient le concept de divinité. Ils n’honoraient que symboliquement leurs morts. Leur métaphysique – si on pouvait lui donner ce nom – était uniquement orientée vers l’idée de famille. La famille était réputée immortelle, et l’individu n’en était qu’un appendice transitoire.

La lumière baissa. Un orifice naquit dans la paroi, à la pointe de l’ellipse, derrière le bloc de métal, et se dilata. Le silence s’établit. Ngal R’nda franchit l’iris. Il portait une toge somptueuse d’un bleu violent, métallique, dont les plis traînaient sur le sol. Il alla se placer derrière le bloc de métal, faisant face à l’assistance, leva ses bras décharnés au-dessus de sa tête et prononça quelques mots en vieil urien.

La foule lui répondit sur un mode plus aigu.

Ils nous ressemblent beaucoup, pensa Corson, malgré la différence de nos origines. Est-ce un hasard ? Ou est-ce que l’intelligence emprunte toujours à peu près les mêmes voies ?

Ngal R’nda fixa ses yeux jaunes sur Corson.

— Regarde, homme de la Terre, regarde ce qu’aucun humain avant toi n’a jamais vu, dit-il de sa voix sifflante.

Le coffre de métal s’ouvrit et une colonne ouvragée en surgit lentement, qui supportait un énorme œuf bleu, enserré de trois griffes d’or.

Corson faillit éclater de rire.

C’était l’œuf bleu dont était issu Ngal R’nda. On en avait, peu après son éclosion, soigneusement recueilli les fragments et on l’avait reconstitué avec soin. Corson pouvait voir, de là où il se trouvait, les lignes de suture qui faisaient ressembler l’œuf à un crâne poli. Ngal R’nda entendait rappeler à ses fidèles son origine. En leur montrant l’œuf bleu, il évoquait l’histoire glorieuse des Uriens, les longues lignées de Princes belliqueux. Sans l’œuf, Ngal R’nda, quels que fussent ses talents particuliers, n’était rien. L’œuf était le signe incontestable, la preuve de son appartenance à une famille légendaire.

Malgré lui, Corson était fasciné par l’œuf. La partie scientifique de son esprit réunissait des bribes de souvenirs historiques. Avant la Première Civilisation Communautaire, sur la Vieille Terre, les familles avaient joué un rôle comparable – superficiellement – à celui qu’elles tenaient encore dans la vie sociale des Uriens. Il valait mieux, alors, naître dans une famille puissante. La destruction brutale de la Première Civilisation Communautaire, entraînée par la guerre de coexistence puis par la dispersion dans les étoiles des humains fuyant la Terre devenue momentanément inhabitable, n’avait pas pour autant rendu aux familles leur importance d’antan. Les sociologues – du temps de la première vie de Corson – prétendaient que l’humanité avait franchi une étape technologique irréversible. Mais pourquoi les Uriens avaient-ils atteint un niveau technique équivalent sans dépasser le stade d’une société fondée sur l’hérédité ? Historiquement parlant, c’était une sorte de paradoxe.

La solution, se dit Corson, se trouvait sous ses yeux. Les Uriens – au moins les hautes castes – avaient pratiqué, presque depuis le début de leur histoire, une impitoyable politique de sélection génétique. Ils avaient découvert, peut-être empiriquement, que la pigmentation des œufs avait quelque rapport avec les qualités intrinsèques de l’Urien qui allait éclore. Et il était sans doute beaucoup plus facile, du point de vue de l’affectivité, de ne pas couver, ou même de détruire, un œuf immobile que d’abandonner ou de tuer un petit être gigotant et fragile. Les humains et les Uriens différaient profondément, après tout.

— Regarde, homme de la Terre, répéta l’Urien. Quand je périrai, cet œuf sera réduit en poussière comme le furent ceux de mes ancêtres, et cette poussière sera mêlée à mes cendres. Voilà l’œuf dont je suis sorti et que j’ai brisé une première fois avec mon bec. Voilà l’œuf qui protégea le dernier Prince d’Uria.

Un tumulte naquit dans le fond de la salle. Ngal R’nda fit un geste et l’œuf disparut dans le coffre. Une toge jaune qui s’était difficilement frayé un chemin dans la foule bouscula Corson et s’inclina devant Ngal R’nda, en pépiant sur un ton suraigu.

Ngal R’nda l’écouta puis se tourna vers Corson et dit en pangal :

— Une troupe d’hommes armés vient de prendre position à cinquante kilomètres d’ici. Ils sont accompagnés de monstres, d’hipprones. Ils édifient un camp fortifié. Est-ce une trahison ?

Veran, pensa simplement Corson.

— Il vous fallait une armée, Prince d’Uria, dit-il. Elle vient d’arriver.

25

Ils marchaient dans la forêt.

Il était étrange de penser qu’il allait, d’un moment à l’autre, tomber avec Antonella aux mains de Veran.

Un cercle était en train de se fermer. Là-bas, il vivait sa vie pour la première fois, dans l’innocence, et déjà, ici, il connaissait la suite. L’angoisse, le camp, la fuite sous la conduite d’un étranger masqué, le voyage au travers du temps et de l’espace, l’escale inutile sur la planète mausolée, la chevauchée vers les confins de l’univers, Aergistal, les combats, le ballon, le séisme, l’autre côté du ciel, la parole du dieu et de nouveau Uria. Ici et maintenant.