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Corson n’avait jamais entendu dire que des humains soient passés du côté des Princes d’Uria. Dans une guerre qui avait comme premier et peut-être comme unique fondement une profonde différence biologique alliée à la capacité de vivre sur le même type de mondes, le métier de traître n’avait pas cours. Il se souvint brusquement qu’il n’avait pas senti l’odeur caractéristique des Uriens en pénétrant à bord du navire. Il aurait détecté l’odeur de chlore si un seul Urien s’était trouvé à bord. Et pourtant…

— Vous êtes prisonnière ?

Il n’espérait pas qu’elle l’avouât, mais seulement qu’elle lui fournît un indice.

— Vos questions sont bizarres.

Elle ouvrait de grands yeux. Ses lèvres se mirent à trembler.

— Vous êtes un étranger. Je croyais… Pourquoi serais-je prisonnière ? Les femmes sont prisonnières sur votre planète ?

Son expression changea soudain. Il lut une terreur intense dans son regard.

— Non.

Elle hurlait et reculait, elle cherchait un objet qui pût lui servir d’arme. Il sut alors ce qu’il devait faire. Il traversa la pièce, esquiva le faible coup qu’elle voulait lui porter, lui plaqua une main sur la bouche et la saisit à bras-le-corps. Son pouce et son index cherchèrent les points vitaux, à la gorge. Elle s’effondra. S’il avait pressé un peu plus fort, elle serait morte. Il s’était contenté de l’étourdir. Simple syncope. Il voulait se donner le temps de réfléchir.

Il parcourut le navire et se convainquit qu’ils étaient seuls à bord. Cela lui parut fantastique. La présence d’une jeune femme à bord d’un navire de plaisance – il n’y avait pas une seule arme à bord – qui croisait au-dessus des forêts d’une planète ennemie était une chose pour lui inconcevable. Il découvrit le tableau de bord, mais les commandes lui demeurèrent incompréhensibles. Un point rouge qui devait figurer le navire se déplaçait sur une carte murale. Il ne reconnut ni les continents ni les océans d’Uria. Le commandant de l’Archimède s’était-il trompé de planète ? Absurde. La flore, le soleil, la composition de l’air suffisaient à identifier Uria, et l’attaque qu’ils avaient subie dissipait le dernier doute.

Il jeta un coup d’œil par un hublot. L’appareil volait à une altitude d’environ trois mille mètres et, pour autant que Corson pût l’estimer, à une vitesse de l’ordre de quatre cents kilomètres à l’heure. Dans une dizaine de minutes, au plus, ils survoleraient l’océan.

Il revint dans la première salle et s’assit sur un siège baroque en fixant la jeune femme qu’il avait allongée sur le sol en prenant la peine de disposer un coussin sous sa tête. On trouve rarement des coussins à bord des navires de guerre. Des coussins brodés. Il essaya de se rappeler exactement ce qui s’était passé depuis qu’il avait mis le pied dans le navire.

Elle l’avait appelé par son nom.

Avant qu’il ait ouvert la bouche.

Elle avait semblé terrifiée.

Avant qu’il ait eu l’idée de se jeter sur elle.

Jusqu’à un certain point, c’était la terreur qu’il avait lue dans ses yeux qui l’avait poussé à agir.

Télépathe ?

Alors elle savait son nom et sa mission et l’existence du monstre et elle devait disparaître, surtout si elle travaillait pour les Princes d’Uria.

Mais elle avait reculé avant même qu’il songeât à la maîtriser.

Elle commença à remuer. Il entreprit de la ligoter, arracha de longues bandes d’étoffes à une tenture. On ne trouve pas de tentures à bord d’un navire de guerre. Il lui attacha les poignets et les chevilles. Il ne la bâillonna pas. Il essaya de se rendre compte de la nature du vêtement qui l’entourait. Ce n’était pas un tissu, ni un gaz. Quelque chose comme un brouillard scintillant, si léger qu’il défiait le regard. Seul le coin de l’œil en percevait nettement les contours. Une sorte de champ, mais certainement pas un champ protecteur.

La langue qu’elle avait employée pour lui parler était du pur pangal. Mais cela ne signifiait rien. Les Uriens le pratiquaient aussi bien que les Terriens. Il avait même essayé d’enseigner les rudiments du pangal – la langue qui se prétendait vaniteusement le commun multiple de l’intelligence – au Monstre, mais en vain. Comme tout le reste.

Mais le Monstre lui donna la clé de l’énigme.

La jeune femme avait au moins un point commun avec le Monstre. Elle était capable de prévoir l’avenir, sous certaines limites. Elle avait su dès l’instant où il était entré dans le navire qu’il lui poserait la question : « Comment savez-vous que je m’appelle Corson ? » Le fait que sa terreur ait décidé Corson à l’attaquer ne changeait rien à l’affaire, mais posait le problème de savoir qui avait commencé. Comme dans la plupart des paradoxes temporels. Et ceux qui approchaient les Monstres apprenaient quelque chose, le plus souvent à leurs dépens, des paradoxes temporels. Il pouvait donc évaluer la prescience de la jeune femme à deux minutes environ. Elle faisait mieux que le Monstre. Mais cela n’ôtait rien au mystère de sa présence sur Uria.

4

Le jour était levé depuis plus d’une heure et ils survolaient l’océan hors de vue de tous les continents. Corson commençait à se demander ce qu’attendait la flotte urienne pour intervenir lorsque la jeune femme s’éveilla tout à fait.

— Vous êtes une brute, Corson, dit-elle. Depuis les temps barbares des Puissances Solaires, on n’a jamais vu un aussi méprisable lâche. S’attaquer à une femme qui vous a recueilli.

Il l’examina attentivement. Bien qu’elle se tordît dans ses liens, il ne lut aucune anxiété sur son visage, seulement de la colère. Donc, elle savait qu’il ne lui ferait pas de mal dans l’immédiat. Ses traits fins se détendirent et la colère fit place à une froide détermination. Elle était trop bien élevée pour lui cracher à la figure, mais, moralement, c’était bien ce qu’elle était en train de faire.

— Pas le choix, dit-il. C’est la guerre.

Elle le fixa, interloquée.

— De quelle guerre parlez-vous ? Vous êtes fou, Corson.

— Georges, dit-il. Georges Corson.

Cela, du moins, elle ne l’avait pas prévu, ces deux syllabes qui formaient son prénom, ou encore elle ne s’était pas souciée de les employer. Posément il entreprit de la délier. Il comprit que c’était la raison pour laquelle son visage s’était détendu. Elle le laissa faire sans mot dire. Puis elle se releva d’un seul mouvement, se frotta les poignets, se planta en face de lui et, avant qu’il ait eu le temps de faire un mouvement, le gifla, deux fois. Il ne réagit pas.

— C’est bien ce que je pensais, dit-elle, avec mépris. Vous n’êtes même pas capable de prévoir. Je me demande d’où une régression pareille peut sortir. Et à quoi vous pourrez bien être bon. Il n’y a qu’à moi que ces choses arrivent.

Elle haussa les épaules et se détourna, promenant son regard gris sur la mer que le navire survolait silencieusement.

Exactement comme une héroïne des vieux films, pensa Corson. Des films d’avant la guerre. Elles ramassaient des types sur le bord de la route et il leur arrivait des choses plus ou moins épouvantables. Généralement elles en tombaient amoureuses. Des mythes. Comme le tabac ou le café. Ou comme un navire tel que celui-ci.

— Cela m’apprendra à recueillir des gens que je ne connais pas, poursuivit-elle comme si elle jouait le rôle d’un des films mythiques. Nous verrons qui vous êtes à notre arrivée à Dyoto. Jusque-là, tenez-vous tranquille. J’ai des amis puissants.