La coque désarticulée de l’Archimède plongeait vers les jungles d’Uria. Il sembla à Corson que quelque chose s’en échappait. Une illusion. Il n’avait pas encore le pouvoir de percer le temps du regard.
Mais cela viendrait, songea-t-il, en pensant à ses compagnons morts. Il ne pouvait rien pour eux. Il ne pouvait pas revenir en arrière et entrer en lutte contre lui-même pour s’empêcher de délivrer l’ampoule. Longtemps après, la coque atteignit l’atmosphère d’Uria et flamba. Au sol, les batteries se déchaînèrent enfin. L’espace se peupla d’espions. Corson s’efforça de croire que le navire aurait été, de toute façon, détruit. Une autre illusion.
Le navire achevait de brûler entre des étoiles indifférentes.
Quelque part sur Uria, dans six mille ans, un autre Corson essayait de survivre. Il ignorait encore qu’il effacerait un conflit sous le regard froid des ères, qu’il entendrait en Aergistal la voix des dieux réels, et qu’il gagnerait, peut-être, l’hypervie.
— Pourquoi moi ? se dit Corson en reprenant le chemin de l’avenir.
Moi, dirent les échos de Corson répartis tout au long de la vie de Corson et, à côté, tout au long des autres vies de Corson. Et il crut entendre sa conscience se remplir de murmures là où naissent les mots, qui étaient les ressacs de leurs consciences, et il se sentit sur le point d’entrer en communication avec eux, les innombrables Corsons divergents de l’avenir, et il crut qu’il allait savoir ce qu’ils vivaient et voir par leurs yeux et penser avec eux. Mais il demeura sur le seuil, hésitant, trébuchant, car le temps n’avait pas encore fait son œuvre, ni l’expérience, et parce que ces Corsons-là commençaient tout juste d’avoir l’ombre d’une chance.