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Oui. C’était évident. Son visage respirait la bonté et la gentillesse,

on y lisait de la fatigue, mais aucun sentiment négatif. Auprès d’une telle personne, tu ne te sens pas tel que tu es en réalité. Tu essayes de devenir meilleur, et ça te pèse. Le genre de fille avec qui les hommes entretiennent des liens d’amitié, flirtent parfois un peu et se confient volontiers. On en tombe rarement amoureux, mais en contrepartie, tout le monde les aime.

A l’exception d’une seule personne qui a payé un mage noir.

Une tornade noire est un phénomène assez répandu. Avec un peu d’attention, je pouvais en remarquer cinq ou six au-dessus d’autres passagers. Mais elles étaient floues et remuaient à peine. Elles résultaient de malédictions ordinaires. Quelqu’un s’était exclamé : « Je te souhaite de crever. » Ou plus modérément : « Va te faire pendre. » Et un minuscule tourbillon avait jailli des ténèbres, qui détruisait la chance et minait les forces.

Mais une malédiction banale prononcée par un dilettante ne dure guère qu’une heure ou deux, un jour au maximum. Et ses conséquences, bien que déplaisantes, n’ont rien de mortel. La tornade au-dessus de la jeune femme était d’une autre trempe : stable, élaborée par un mage expérimenté. La jeune femme l’ignorait, mais elle était déjà morte.

Machinalement, j’ai porté la main à ma poche avant de me souvenir où j’étais. J’ai fait la moue. Pourquoi les téléphones portables ne fonctionnent-ils pas dans le métro ? Leurs propriétaires sont censés rouler en voiture ?

J’étais déchiré entre ma mission que je devais poursuivre, même sans espoir de succès, et la jeune femme condamnée. J’ignorais s’il était encore possible de l’aider, mais il était de mon devoir de retrouver le coupable…

A cet instant, j’ai éprouvé un deuxième choc. Différent. Sans frisson, sans douleur. Ma gorge est devenue sèche, mes gencives se sont engourdies, le sang s’est mis à battre à mes tempes, une démangeaison est née à l’extrémité de mes doigts.

Je venais de toucher au but !

Pourquoi le moment était-il si mal choisi ?

Je me suis levé. Le train ralentissait pour entrer dans la station.

En passant devant la jeune femme, j’ai senti son regard. Elle me suivait des yeux. Elle avait peur. La tornade noire provoquait sans doute en elle une inquiétude diffuse.

Ce qui expliquait peut-être sa survie.

Évitant de regarder dans sa direction, j’ai plongé la main dans ma poche et j’ai saisi l’amulette : une tige froide en onyx. J’ai hésité une seconde, à la recherche d’une autre solution.

Non, c’était la seule chose à faire.

Ma main s’est crispée sur l’amulette. Un picotement a transpercé mes doigts, la pierre est devenue tiède, diffusant sa réserve d’énergie. Une chaleur réelle, mais qu’aucun thermomètre n’aurait pu mesurer. J’avais l’impression de serrer un charbon, enrobé de cendre froide, mais encore ardent au centre.

J’ai absorbé le contenu de l’amulette. La tornade vacillait et s’inclinait légèrement vers moi. Elle était si puissante qu’elle possédait un semblant de conscience.

J’ai frappé.

N’importe quel Autre se trouvant dans ce wagon, ou même dans le train, aurait pu voir un flash aveuglant, apte à transpercer avec la même facilité le métal et le béton.

Jamais encore je n’avais attaqué une tornade noire d’une structure aussi complexe. Et jamais je n’avais utilisé d’amulette avec une charge aussi puissante.

L’effet produit fut inattendu. Les faibles malédictions suspendues au-dessus des personnes présentes furent balayées. Une femme d’un certain âge qui se massait le front contempla sa main avec étonnement : sa terrible migraine venait de s’évanouir. Un jeune gars qui regardait par la fenêtre d’un air obtus sursauta et ses traits se détendirent, l’angoisse et la tristesse disparurent de ses yeux.

La tornade noire fut déportée de cinq mètres, elle sortit même à moitié du wagon. Mais pour revenir aussitôt en zigzaguant vers sa victime, sans perdre sa forme.

Quelle force !

Quelle persévérance !

On raconte, bien que je ne l’aie jamais observé, qu’une tornade

déportée ne serait-ce que de deux ou trois mètres perd le sens de l’orientation, se colle à la personne la plus proche. Ce qui est fort regrettable, mais une malédiction destinée à autrui agit beaucoup plus faiblement et la nouvelle cible a toutes les chances de s’en sortir.

Mais cette tornade regagnait ses positions, comme un chien fidèle qui revient vers son maître.

Le train était en passe de s’arrêter. La tornade, de nouveau suspendue au-dessus de la jeune femme, tourbillonnait même plus vite que quelques instants plus tôt. Je ne pouvais rien faire de plus. A cette station se trouvait le but d’une semaine d’errances à travers Moscou. Impossible de le laisser filer. Le chef m’aurait mangé tout cru… peut-être même au sens propre.

Lorsque les portes se sont ouvertes en chuintant, j’ai regardé une dernière fois la jeune femme pour mémoriser son aura. Je n’avais pas beaucoup de chances de la retrouver dans une ville aussi immense. Cependant, il faudrait essayer.

Mais pas maintenant.

Je suis sorti du wagon et j’ai observé les passagers. Je manquais d’expérience sur le terrain, le chef avait raison. Mais sa méthode pour parfaire mon apprentissage ne me plaisait pas le moins du monde.

Comment diantre étais-je censé trouver ce que je cherchais ?

Personne alentour n’éveillait mes soupçons. Station Koursk, sur la ligne circulaire, les voyageurs étaient nombreux : les uns débarquaient de la gare, les autres avaient hâte de prendre leur correspondance pour regagner les faubourgs. Il y avait aussi les vendeurs du bazar qui rentraient chez eux… En fermant légèrement les yeux, je pouvais observer un spectacle plus intéressant : celui de leurs auras, faiblissantes vers le soir. Parmi elles brûlait la tache écarlate d’une colère, un couple qui avait hâte de se retrouver au lit étincelait d’une lueur orange vif, les traînées brun-gris de quelques ivrognes vacillaient çà et là en se disloquant.

Pas la moindre trace. Juste cette sécheresse dans la gorge, les

gencives qui démangent et le cœur qui bat la chamade. Et aussi un goût de sang sur les lèvres. Une excitation grandissante.

Des symptômes indirects mais trop flagrants pour être négligés.

Qui était-ce donc ?

Le train s’est ébranlé derrière mon dos. La sensation de toucher au but ne me quittait pas, nous étions donc tout près l’un de l’autre. Un second train arrivait en sens inverse. J’ai senti mon objectif bouger dans cette direction.

En avant !

J’ai traversé le quai, louvoyant entre les voyageurs qui cherchaient leur correspondance sur les panneaux indicateurs, pour me diriger vers la queue du convoi, la sensation de proximité s’est affaiblie, je me suis élancé vers le wagon de tête… oui, c’était par là.

Comme dans un jeu d’enfant. Je « brûlais ».

Les gens montaient. Je courais le long du train, sentant ma bouche s’emplir de salive épaisse, mes dents me faisaient mal, mes doigts se crispaient. Dans mes écouteurs résonnait :

In the shadow of the moon, She danced in the starlight Whispering a hauting tune To the night…

Une chanson appropriée aux circonstances.