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— Et aujourd’hui… je ne sais plus…

Elle voudrait me parler d’Ignat. Elle ne comprend pas ce qui lui est arrivé, pourquoi elle a failli se retrouver au lit avec un homme rencontré par hasard. Elle a l’impression d’avoir perdu la raison. Tous ceux qui sont confrontés aux Autres ont la même impression.

— Svetlana, vous… tu t’es peut-être brouillée avec quelqu’un ?

Un procédé un peu grossier, mais je veux faire vite. La tornade s’est pourtant stabilisée et commence à diminuer. Mais curieusement, je sens que je dois accélérer les choses.

— Qu’est-ce qui te fait dire ça ?

Svetlana n’est pas étonnée et ne trouve pas la question trop personnelle. Je hausse les épaules et j’essaye de lui expliquer :

— Ça m’arrive assez souvent.

— Non, je ne me suis brouillée avec personne. Il n’y a personne avec qui je pourrais me brouiller. C’est plutôt moi qui…

Tu te trompes, ma petite. Tu n’imagines même pas à quel point. Une tornade aussi grosse que celle qui plane au-dessus de toi, on n’en voit jamais plus d’une par siècle. Quelqu’un te hait avec une force qui est rarement donnée à un être humain… ou à un Autre.

— Tu devrais partir te reposer. Dans un endroit tranquille et désert…

En prononçant ces mots, j’ai pensé que c’était une solution. Qui certes ne sauverait pas la jeune femme, mais limiterait les dégâts. L’envoyer dans un endroit perdu. Dans la taïga, dans la toundra, ou au pôle Nord. Un volcan ferait irruption, un astéroïde s’écraserait ou une fusée à tête nucléaire lui tomberait dessus. L’inferno effectuerait sa percée, mais elle serait la seule victime.

Heureusement, ce genre de décision nous est aussi impossible à prendre que celle de l’assassinat pur et simple proposé par Zébulon.

— A quoi penses-tu, Anton ?

— Que s’est-il passé, Sveta ?

— Anton, tu es trop direct ! Il faut détourner la conversation ! 

— Ça se voit donc tant que ça ?

— Oui.

Svetlana a baissé les yeux. J’attendais le cri d’Olga qui m’avertirait que la tornade avait recommencé à grossir, que tout était perdu, que j’avais tout gâché et que j’aurais bientôt des milliers de morts sur la conscience. Mais Olga est demeurée silencieuse.

— J’ai trahi…

— Quoi ?

— J’ai trahi ma mère.

Elle me regardait d’un air sérieux, sans la pose abjecte de quelqu’un qui est capable de commettre une lâcheté et qui en est fier.

— Je ne comprends pas.

— Ma mère est malade. Ce sont les reins. Elle est sous dialyse… mais ce n’est une solution qu’à court terme. Bref, on m’a proposé… une greffe.

— Pourquoi à toi ?

Je ne comprenais toujours pas.

— On m’a proposé de lui faire don d’un rein. Qui serait compatible, presque à coup sûr, j’ai même passé les analyses… et puis j’ai refusé. J’ai… j’ai eu peur.

Je n’ai rien dit. Tout était clair. Un courant était effectivement passé entre nous, quelque chose en moi avait disposé Svetlana à se confier pleinement.

Sa mère !

— Bravo, Anton. Nos amis sont déjà en route. (La voix d’Olga était triomphante : nous avions trouvé le mage noir !) Ça alors, personne n’a rien senti lors du premier contact avec la mère, nous étions persuadés qu’elle n’avait aucun pouvoir… Bien joué, Anton. Tu dois la réconforter, continue à lui parler…

Dans la Pénombre, on ne peut pas se boucher les oreilles. J’étais bien obligé de l’écouter.

— Svetlana, personne n’a le droit d’exiger un tel sacrifice…

— Oui, bien sûr, j’en ai parlé à ma mère, et elle m’a ordonné de ne plus y penser. Elle m’a dit qu’elle préférerait se suicider plutôt que d’accepter qu’on me charcute. Que… qu’elle avait déjà vécu les plus belles années de sa vie. Et que je n’avais pas le droit de m’amputer de cette manière. Je n’aurais jamais dû lui dire. J’aurais dû lui faire don de mon rein. Elle l’aurait appris. Mais après l’opération. On peut même avoir des enfants avec un seul rein, il existe des précédents…

Les reins. Quelle bêtise. Une heure de travail pour un vrai mage blanc. Mais nous n’avons pas le droit de guérir, chaque guérison sérieuse est une indulgence accordée à un mage noir pour lancer une malédiction. Sauf que cette malédiction-là avait été lancée par une mère qui ne se rendait pas compte de ce qu’elle faisait. En paroles, elle avait interdit à sa fille d’envisager un don d’organe, mais elle l’avait secrètement maudite sous l’effet de l’émotion.

Entraînant la naissance de cette monstrueuse tornade.

— Je ne sais plus où j’en suis, Anton. Je n’arrête pas de faire des bêtises. Aujourd’hui, j’ai failli coucher avec un inconnu.

Svetlana s’était tout de même décidée à le dire, un aveu sans doute aussi difficile que celui concernant sa mère.

— Sveta, on peut certainement trouver une solution, le plus important est de ne pas baisser les bras. Tu ne dois pas te sentir coupable.

— Mais j’ai fait exprès de lui dire ! Je savais parfaitement comment elle réagirait ! Elle aurait dû me maudire, pauvre folle que je suis !

Là, Svetlana, tu n’imagines pas à quel point tu as raison. Personne ne comprend les mécanismes qui entrent en jeu, ce qui se passe exactement au niveau de la Pénombre et la différence entre la malédiction d’un étranger et celle d’un amant, d’un fils, d’une mère. La malédiction d’une mère, c’est la pire de toutes.

— Doucement, Anton. 

La voix d’Olga m’a ramenée à la réalité.

— C’est trop simple. Tu as déjà travaillé avec des malédictions maternelles ? 

— Non, ai-je dit à haute voix, répondant à la fois à Olga et à Svetlana.

— C’est ma faute, a dit Svetlana. Merci, Anton, mais j’ai mal agi.

— Moi si, a répondu Olga. Et c’est très différent! La colère d’une mère se traduit par un flash noir aveuglant et une grosse tornade. Mais qui se dissipe instantanément. Presque toujours.

Peut-être. Je n’avais rien à objecter. Olga était une spécialiste en la matière et elle avait une riche expérience. Bien sûr, on ne saurait vouloir du mal à son propre enfant, en tout cas pas dans la durée. Mais il peut y avoir des exceptions.

— Il y a des exceptions, a reconnu Olga, sa mère va subir une vérification complète. Mais… je ne compte pas trop sur un résultat rapide.

— Svetlana, ai-je demandé, il n’y a pas d’autre solution ? Pour aider ta mère ? A part cette greffe ?

— Non, je suis médecin, j’en parle en connaissance de cause. La médecine n’est pas toute-puissante.

— Et à part la médecine ?

Elle a semblé étonnée.

— De quoi veux-tu parler ?

— De la médecine parallèle. Il y a d’autres modes de guérison.

— Anton…

— Oui, je sais, c’est difficile d’y croire. Il y a tellement de charlatans, d’escrocs et de cinglés en tous genres. Mais se peut-il qu’absolument tout soit faux ?

Elle m’a regardé avec ironie.

— Anton, montre-moi une seule personne qui ait guéri une maladie grave. Et ne te contente pas de m’en parler, montre-la-moi avec ses patients, de préférence avant et après le traitement. Alors je me mettrai à y croire. A croire à tout ce qu’on voudra. Aux extralucides, aux guérisseurs, aux maîtres en magie blanche et en magie noire…